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Conflit entre la RDC et le M23: «La guerre de l'information crée une distorsion de la situation réelle»

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Entretien avec Christophe Vogel, chercheur et enquêteur spécialisé sur les groupes armés en RDC. Il signe une tribune intitulée « La dangereuse guerre des mots dans l’est du Congo », alors que la propagande et les fausses informations jouent à plein dans le conflit qui oppose le M23 et Kigali d’un côté, et Kinshasa de l’autre.

La guerre de l'information fait rage dans le conflit qui oppose la RDC au M23 (photo d'illustration).
La guerre de l'information fait rage dans le conflit qui oppose la RDC au M23 (photo d'illustration). © CC0 Pixabay/Contributeur
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RFI : Christophe Vogel, la guerre de l’information, on en parle beaucoup pour la guerre en Ukraine, mais elle bat aussi son plein dans le conflit qui se joue en ce moment dans l’est de la RDC.

Christophe Vogel : Exactement. Cette guerre se manifeste à plusieurs niveaux. D’un côté, des communications officielles de la part des gouvernements impliqués dans ce conflit, donc la RDC, le Rwanda voisin et l’Ouganda aussi dans une certaine mesure, mais aussi des prises de positions diplomatiques ou des institutions internationales. Mais de l’autre côté, il y a un mécanisme aussi qui est beaucoup plus diffus où il y a plein d’acteurs, des individus qui s’organisent en réseau avec l’évolution autour de Facebook, de twitter, WhatsApp, etc., qui non seulement s’engagent à rediffuser des prises de position officielles, mais qui s’organisent pour participer dans cette guerre d’information avec des accusations, des contre accusations, des démentis, de ce qu’on appelle « l’infox », le mélange de vraies informations du terrain avec une certaine lecture qui crée une distorsion de la situation réelle.

C’est-à-dire des discours de haine, des images manipulées ?

Oui. Il y a un peu de tout cela. Il y a à la fois une montée quand même des discours de haine, disons d’altérité dans un sens général qui sont liés à des questions de citoyenneté, d’identité qui ont déjà joué un rôle très important dans les guerres dans la région auparavant ces derniers trente ans, mais aussi des manipulations. Récemment, j’ai découvert aussi sur Twitter une vidéo qui voulait montrer en fait comment le groupe rebelle est en train d’abattre un hélicoptère de l‘armée gouvernementale. Mais si on regardait de plus près, c’était une séance copiée d’un jeu vidéo qui a des éléments graphiques très réalistes. Donc, il y a vraiment un mélange de désinformations ou d’informations orientées qui, de plus en plus, emballent un peu tous les sympathisants d’un côté ou de l’autre. 

Un des exemples que vous donnez, c’est ce qui s’est passé à Kishishe, un petit village de la province du Nord-Kivu, où le M23 aurait tué plusieurs dizaines de civils. En quoi est-ce un exemple de cette guerre de l’information ?

Les chiffres qui ont été avancés concernant ce massacre potentiel ont varié entre un minimum de 8 personnes, ce qui était le chiffre avancé par le M23 lui-même, jusqu’au chiffre de 272 personnes, ce qui était un chiffre avancé par un officiel congolais quelques jours après. Ensuite, les Nations unies dans leur propre enquête préliminaire ont suggéré qu’au moins 131 personnes ont été assassinées pendant ce massacre. Tout cela a été repris par les uns et par les autres, sans que pour autant des preuves pour un chiffre ont été avancées. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui, malgré les affirmations des uns et des autres, il reste impossible de véritablement comprendre ce qui s’est passé ou ce qui ne s’est pas passé à Kishishe.

Et Kishishe n’est pas facile d’accès. Il faut bien en parler. Comment doivent faire les médias s’ils ne peuvent pas se rendre sur les lieux d’un massacre, sauf à être invités par l’une des parties en conflit ?

Cela soulève évidemment ce problème d’accès, le problème de vérification. Néanmoins, cette guerre d’information qui se met en place souvent quand il y a de tels événements est encore un facteur qui complique davantage, parce qu’une fois qu’une certaine opinion ou proposition est placée, elle peut développer une vie à elle-même, ce qui rend difficile en fait de corriger le narratif par des faits qu’on ne peut pas forcément établir à la première heure.

Chaque camp justement a son narratif. Les uns insistent sur la présence des extrémistes hutus des FDLR [Forces armées de la République démocratique du Congo] aux côtés de l’armée congolaise, les autres sur l’ingérence des forces étrangères qui seraient la cause de tous les maux du pays. Et vous mettez en garde contre les risques de ce genre de discours ?

Exactement. Souvent, si on regarde d’après plus près, on se rend compte que ces discours ne sont pas seulement incorrects, mais chaque partie au conflit a sa manière de présenter une partie de l’histoire entière afin de mobiliser du soutien. Donc, c’est un peu l’autre côté de cette guerre d’information. Il ne s’agit pas uniquement de la propagande ou de fausses informations en tant que telles, mais surtout de lecture et diffusion sélectives d’une partie de beaucoup de choses qui se passent au même moment, au même endroit.

Quels sont les risques ?

Les risques sont surtout un antagonisme croissant et des tensions croissantes non seulement dans l’espace numérique où le débat est devenu déjà assez hostile, mais surtout qui se retransmet dans l’espace non numérique et qui peut davantage augmenter les tensions entre des populations ou entre des acteurs sur le terrain.

 

► À lire ici : Les présidents de RDC et du Rwanda à un sommet des États d'Afrique de l'Est peu fructueux

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