Mali: «Les autorités devraient explorer les voies d'une diplomatie équilibrée»
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« Mali : éviter le piège de l'isolement », est le titre du rapport que vient de publier l'International Crisis Group (ICG). Dans ce texte, le think tank se penche sur les conséquences du renversement d'alliance opéré par les autorités de transition à Bamako. Le rapprochement avec la Russie n'a pas seulement transformé les relations avec la France, il a aussi profondément modifié la diplomatie du Mali avec ses voisins et avec les pays occidentaux. Entretien avec Ibrahim Maïga, conseiller spécial d'ICG pour le Sahel.
RFI - Votre rapport appelle les autorités maliennes à éviter le piège de l’isolement, vous diriez que le Mali n’est pas seulement en train de s’éloigner de la France, mais également de ses partenaires occidentaux et régionaux ?
Ibrahim Maïga - C’est un peu ce qu’on constate avec les récentes tensions entre le Mali et une partie de ses voisins, mais aussi entre le Mali et certains pays occidentaux, notamment européens. Cela a conduit l’Union européenne à suspendre l’aide budgétaire qu’elle apporte à ce pays, ça l’a aussi conduit à déconsidérer un certain nombre de programmes, y compris de formations et d’appuis aux forces de sécurité et de défense maliennes. Donc oui, l’éloignement de la France est en train de se traduire par un éloignement avec une partie des pays occidentaux.
Vous pensez à quels pays par exemple ?
Dans le rapport, nous évoquons le cas des Pays-Bas, du Luxembourg, de la Suisse, de l’Union européenne, qui ont maintenu leur présence au Mali et qui ont indiqué à plusieurs reprises leurs disponibilités à accompagner le pays dans différents domaines.
Quel bilan sécuritaire faites-vous du rapprochement qu’il y a eu entre le Mali et la Russie ?
Ce que nous constatons, et ce que nous disons dans ce rapport, c’est qu’il y a effectivement une montée en capacité de l’armée malienne, cela se traduit notamment par sa capacité à mener des opérations complexes sans l’aide française, que ce soit dans le centre, ou dans le nord du pays. Cela est dû non seulement à l’acquisition d’équipement militaire, mais cela traduit aussi un nouvel état d’esprit, une nouvelle dynamique sur le terrain. L’armée malienne est beaucoup plus dynamique qu’elle ne l’était il y a encore quelques années. Donc il y a des choses qui bougent malgré tout. Néanmoins la situation reste précaire, elle ne s’est pas améliorée, et c’est la raison pour laquelle nous disons que si la tendance est à la militarisation de la réponse, donc une réponse à prédominante militaire, il y a de fortes chances que la Russie échoue là où la France a déjà échoué.
Votre rapport effectivement appelle plus que jamais à sortir du tout militaire et envisager des réponses politiques plus locales, plus endogènes, concrètement vous pensez à quoi ?
Ce que nous préconisons dans ce rapport, c’est que les autorités maliennes saisissent aussi ce momentum créé par le départ de la France, qui était un des partenaires militaires privilégiés du Mali depuis au moins une dizaine d’années, mais qui était hostile à l’idée de dialogue avec les groupes jihadistes notamment. On appelle les autorités maliennes à saisir cette opportunité-là pour explorer d’autres voies, d’autres options y compris la voie du dialogue politique avec les groupes armés qualifiés de terroristes.
Dans vos recommandations, vous appelez les dirigeants maliens à pratiquer une diplomatie de règlement des différends avec les pays voisins. Vous appelez aussi à une réouverture à l’égard des partenaires occidentaux les plus disposés au compromis, à quoi est-ce que vous faites référence dans les deux cas ? Qu’est-ce qui devrait se passer ?
Déjà, il y a une situation de fait, c’est cette interconnexion entre les pays, et surtout le caractère transnational de la menace à laquelle fait face le Mali, je pense notamment à la menace posée par les groupes jihadistes. Les autorités maliennes sont obligées de travailler avec les voisins immédiats, je pense notamment au Niger avec lequel les autorités maliennes ont quelques difficultés. Je pense aussi à la Côte d’Ivoire, même si la parenthèse concernant l’affaire des 49 soldats ivoiriens a été refermée, mais les plaies sont encore ouvertes, et donc il faut travailler à raffermir les relations avec ces deux pays en particulier, parce qu’encore une fois, le Mali tout seul, ne pourra pas faire face à cette menace.
Ensuite, sur le plan international, ce que nous recommandons c’est qu’effectivement, il faudrait que les autorités maliennes explorent les voies d’une diplomatie rééquilibrée, en tout cas moins clivante avec les partenaires les plus disposés, j’en avais déjà évoqué quelques-uns. Je pense que cela pourrait passer d’abord par l’abandon de cette rhétorique martiale un peu clivante des autorités maliennes, qui au fond risque d’abimer considérablement les relations avec ses partenaires occidentaux. Nous appelons aussi les partenaires occidentaux, notamment, à faire preuve de plus de pragmatisme et d’ouverture, et à se concentrer peut-être sur des domaines où ils peuvent venir en complément de l’action russe par exemple, parce qu’il nous parait contreproductif à ce stade de presser les autorités maliennes pour abandonner cette relation dans laquelle elles ont beaucoup investi.
Mais est-ce que ces revendications ne sont pas des vœux pieux, est-ce que ce qui est manifesté de part et d’autre ne montre pas que finalement les deux parties s’engagent dans le chemin inverse ?
Je ne pense pas qu’il y ait des positions totalement figées, parce que ce que nous entendons autour de nous sur la base des entretiens que nous avons eus avec un certain nombre d’acteurs, de décideurs, que ce soit du côté malien comme du côté européen, occidental, ou international, il y a des voies modérées de part et d’autre. C’est une ligne extrêmement difficile, mais nous espérons que ce rapport contribue justement à donner un peu plus de substance à cette position médiane qui est effectivement très difficile à assumer aujourd’hui.
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