Le grand invité Afrique

Restitution des œuvres d’art africaines: le but à l’époque était «de reconnecter les pays africains avec leurs cultures»

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Le débat sur la restitution des œuvres d’art africaines n’est pas neuf. Il a eu une première vie dans les années 70 et ceux qui ne souhaitaient pas le retour des œuvres ont alors réussi à l’étouffer. Quelles leçons tirer de ce premier échec au moment où le débat ressurgit ? C’est la question qui traverse le dernier ouvrage de l’historienne de l’art Bénédicte Savoy. Celle qui avait déjà co-signé avec Felwine Sarr un rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain publie aujourd’hui le Long combat de l’Afrique pour son art. Elle est l'invitée de RFI avec Laurent Correau.

Bénédicte Savoy.
Bénédicte Savoy. © AFP/Alain Jocard
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RFI : Bénédicte Savoy, on découvre dans votre ouvrage les moments clé de ce premier combat pour les restitutions et ses principaux acteurs. L’archéologue nigérian Ekpo Eyo par exemple, ou le premier Africain directeur général de l’Unesco, le Sénégalais Amadou Mahtar M'Bow. Qu’ont-ils fait l’un et l’autre ?

Bénédicte Savoy : Ce qui est très intéressant, c’est de se souvenir tout d’abord que tout ce débat est né sur le continent africain. Aujourd’hui, on a un peu l’impression parfois que c’est une histoire d’Européens blasés qui n’ont rien à faire et qui auraient relancé un sujet tout d’un coup. En réalité, c’est un sujet très lié aux moments des indépendances et Amadou Mahtar M'Bow, comme premier directeur général de l’Unesco et Ekpo Eyo ont tous les deux, avec leurs institutions respectives - Ekpo Eyo étant le directeur des musées du Nigeria à l’époque - ont tenté de convaincre les puissances européennes, et en particulier les musées, qu’il serait bon pour l’avenir de ces pays africains devenus indépendants, de récupérer une partie de leur patrimoine matériel, pour se donner la force de se construire dans l’avenir et non pas pour remuer des traumatismes du passé. Il s’agit à l’époque de reconnecter les pays africains avec leur culture pour se donner la force de parcourir le chemin de l’avenir, de se construire, de devenir des nations indépendantes.  

Ce premier débat sur les restitutions, il est enterré à un moment donné parce que des acteurs culturels européens se sont mobilisés pour faire barrage, ils ont établi des stratégies. Qui sont ces acteurs et quelles ont été leurs stratégies ?  

Ces acteurs viennent principalement du monde des musées de toutes les anciennes puissances coloniales. On parle principalement de quatre pays : la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et l’Allemagne. Alors que font ces hommes de musée pour empêcher que la discussion continue ? D’abord, ils affirment de manière très forte que le terme de restitution doit être aboli, doit être combattu. Et ils proposent d’autres termes, ils disent : « Non, non, non, nous, on va parler plutôt de transfert, de circulation, etc. » Mais surtout, de manière plus perverse, ils décident dans les années 1970 du côté allemand, de ne plus publier les inventaires de leurs collections, pour ne pas « éveiller des désirs ou susciter des réclamations ». Et ça explique pourquoi, dans le domaine allemand, jusqu’à aujourd’hui, on n’a aucune visibilité par exemple sur l’énorme fonds africain des musées allemands.

À la lumière de ce qu’il s’est passé dans les années 1970, est-ce que vous craignez que cette question des restitutions soit à nouveau victime de mesures dilatoires ?

Non, au contraire. Je crois que là on est vraiment plutôt dans un modèle de boomerang. C’est-à-dire que nos parents, nos grands-parents, dans les années 1970, ont jeté loin d’eux ce boomerang : cette question, qui était une question légitime, et une question polie au début, et assez modeste finalement. Les États africains, les pays africains, ne demandaient pas des restitutions massives, ils voulaient avoir simplement quelques exemplaires de leur culture respective pour se reconnecter. Et, finalement, ce refus, ce boomerang lancé très loin, est revenu à nous, après 40 ans pratiquement, avec, comme le font les boomerangs, la force décuplée du retour du refoulé qui a frappé ici les sociétés européennes actuellement en plein visage. Avec les conséquences qu’on connait, qui ont mené notamment aux spectaculaires restitutions obtenues par la République du Bénin de la France il y a quelques mois.

Mais est-ce que vous diriez que depuis la publication de votre rapport, qui avait été co-signé avec Felwine Sarr, les lignes ont réellement bougé ? On se dirige réellement vers des restitutions importantes ?

Quand on a travaillé avec Felwine Sarr, on a eu un entretien très intéressant avec le ministre de la Culture du Bénin à l’époque, Oswald Homeky, qui ne croyait pas du tout aux restitutions. D’ailleurs, presque personne n’y croyait, et il nous avait dit : « Vos restitutions, si un jour ça a lieu, ce sera comme la chute du mur de Berlin ou la réunification des deux Corées. » Il voulait dire : je n’y crois pas du tout, mais si ça a lieu, ça va être une transformation géopolitique majeure du champ des musées africains, du champ de la culture en Afrique. Et on peut dire qu’aujourd’hui, on est après la chute du mur de Berlin. De grandes grandes brèches sont ouvertes maintenant. Alors, certes, comme toujours, il faut démonter le reste. Mais certains pays sont déjà passés de l’autre côté, sont déjà dans l’après-chute du mur de Berlin. On est entrés dans une nouvelle ère dans la question des restitutions.

On a déjà dépassé le cap des restitutions symboliques d’après vous ?

On a dépassé beaucoup de caps. On a dépassé d’abord le cap du déni de la part des puissances européennes qui pendant longtemps ont affirmé que la période coloniale n’avait pas un grand rapport avec la constitution des musées, or le rapport est extrême. C’est donc la fin du déni mais c’est aussi le début de négociations à l’intérieur des sociétés africaines qui récupèrent de manière physique une partie de leur patrimoine et qui du coup se mettent à se poser la question qu’elles n’ont jamais pu se poser avant puisqu’elles n’avaient pas ces objets, de la manière dont elles veulent les conserver, des lieux où elles veulent les conserver. Le patrimoine, c’est ce qu’une société veut faire avec les vestiges de son passé. Ces conversations sont en train de se mettre en place sur le continent africain, au Nigeria de manière très forte, au Bénin, au Ghana, au Togo, au Sénégal, et on voit bien que c’est l’entrée dans un nouveau rapport à soi.   

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