Mamadou Diouf: au Sénégal, «cette tension est annonciatrice de violences qui pourraient être incroyables»
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Au Sénégal, s'ouvre une nouvelle séquence politique à risques, à la veille du procès pour diffamation d’Ousmane Sonko, prévu jeudi 30 mars 2023. La principale coalition d’opposition a maintenu ses appels à des mobilisations à Dakar, ce mercredi et ce jeudi, malgré l’interdiction des autorités. Dans un climat crispé, à moins d’un an de l’élection présidentielle prévue en février 2024, notre invité ce matin est l'historien sénégalais Mamadou Diouf. Il a signé la semaine dernière, avec une centaine d'intellectuels, une pétition adressée au président Macky Sall : « Nous constatons une violation flagrante, répétée et disproportionnée des droits des citoyens », peut-on lire dans cette tribune intitulée « Appel à la raison ». Parmi les nombreux signataires, l’écrivain Boubacar Boris Diop, la sociologue sénégalaise Fatou Sow, la journaliste franco-tunisienne Sophie Bessis ou encore Mamadou Diouf donc. L'historien, professeur à l’université de Columbia à New-York, répond aux questions de Carine Frenk.

RFI : Pourquoi cette démarche ? Pourquoi cette mobilisation aujourd’hui de la part des intellectuels ?
Mamadou Diouf : Je pense que la mobilisation des intellectuels, qui s’intéressent et se préoccupent du Sénégal, est motivée par une seule chose, c’est cette tension qui est perceptible et qui est annonciatrice de violences qui pourraient être incroyables. Et donc l’idée c’est de dire : ce pays est en train d’aller à la dérive. Donc les deux buts de la pétition, c’est d’une part de dire qu’il faut revenir à de meilleurs sentiments et créer un environnement pacifique pour les élections à venir. La deuxième chose, c’est de dire qu’il faut veiller à ce que la démocratie sénégalaise non seulement ne soit pas écornée, mais qu’elle puisse se développer.
RFI : Avant chaque présidentielle, on observe une montée des tensions. Qu’est-ce qui vous inquiète particulièrement en ce moment ?
Mamadou Diouf : Je pense qu’avant chaque élection, on assiste effectivement à une montée de la tension. Mais aujourd’hui, ce qui est en train d’être remis en cause, et c’est ça probablement qui explique l’extrême mobilisation des partisans du pouvoir et de l’opposition, c’est que toute une partie des acquis sont en train d’être remis en cause. C’est-à-dire que ce qui est en train de se passer aujourd’hui, c’est un champ de bataille ouvert et des acteurs prêts à la confrontation. Et c’est ça qui a changé.
RFI : Et quelles violations observez-vous ?
Mamadou Diouf : Il y a toute une série de violations. La plus importante, c’est cette question du troisième mandat et en fait l’idée d’une candidature de l’actuel président. La deuxième chose, qui est beaucoup plus générale, c’est le non-respect des dispositions constitutionnelles, le droit de manifester, le droit à s’opposer. Et la troisième chose, c’est le recours à la répression, le recours à la police, le recours à la justice, pour éliminer les opposants et éliminer les principaux candidats à la présidence de la République.
RFI : Vous insistez beaucoup sur l’instrumentalisation de la justice, ce n’est pas un phénomène nouveau pourtant ?
Mamadou Diouf : Bien sûr, mais à ce point-là, c’est inédit. Ce qui est aussi inédit, c’est qu’aujourd’hui, les gens n’acceptent plus cela, c’est cela qui crée cette situation qui est une situation de tensions.
RFI : Dans cette pétition, les signataires lancent au président Macky Sall un appel à la raison. Que lui demandez-vous précisément ?
Mamadou Diouf : Ce que les pétitionnaires demandent, c’est tout simplement le respect de la Constitution, qui dit que le président Macky Sall ne peut pas se représenter, le respect du droit des opposants à s’opposer sans qu’on ne mobilise la justice pour, en fait, les éliminer. C’est tout ce que ça demande. Cette pétition dit qu’il faut revenir à la raison et arriver à créer un environnement d’une société ouverte, qui permette à toutes les ambitions de se développer, à toutes les opinions de s’exprimer, pour avoir un débat démocratique et pacifique.
RFI : Mais le terme de troisième mandat ne figure pas dans votre texte ?
Mamadou Diouf : Parce que ce mot n’a pas à y figurer. Cette pétition n’a pas pour fonction de trancher quelque chose qui est déjà tranché. Pourquoi va-t-on parler de quelque chose qui est réglé si on considère que c’est réglé ?
RFI : L’opposition ne doit-elle pas elle aussi entendre votre appel à la raison ?
Mamadou Diouf : Bien sûr, l’appel à la raison est un appel adressé au président de la République, mais c’est un appel à l’ensemble des acteurs sénégalais. Mais nous estimons que lui, il joue le rôle principal. Non seulement il joue un rôle dans la situation dans laquelle on se trouve, mais il est investi du pouvoir d’instaurer la paix au Sénégal. Et vous voyez, la pétition ne prend pas position. La pétition dit seulement : l’atmosphère est en train de pourrir, et on s’apprête à la violence. La violence, il faut la bannir parce que cette région est déjà une région qui est prise dans des secousses d’une violence inouïe. Tous ces gens qui ont signé ne partagent absolument pas les mêmes positions politiques, mais ils sont d’accord sur certaines choses : qu’il y ait des élections transparentes et non-violentes.
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