Présidentielle à Madagascar: les conditions «pas réunies pour avoir une élection transparente»
Publié le :
À Madagascar, la présidentielle aura lieu dans sept mois. Même s'il ne s'est pas encore déclaré, tout laisse penser que le chef de l'État sortant, Ange Rajoelina, sera candidat. Et parmi ses adversaires, il y aura peut-être Serge Zafimahova. Jusqu'à présent, l'ancien directeur de cabinet du président Albert Zafy était plutôt un homme de l'ombre. Mais aujourd'hui, il prend la tête d'une plate-forme politique, le Diniké, et publie Madagascar, le défi de l'avenir aux éditions Ambozontany. Entretien.

Le gouvernement du président Rajoelina promet une élection présidentielle transparente à la fin de cette année. Est-ce que vous êtes confiant ?
Serge Zafimahova : Pour l’instant, les conditions ne sont pas réunies pour avoir une élection transparente. Au moment où on parle, le vrai problème en fait se pose sur la non-fiabilité de la liste électorale, ainsi qu’un problème au niveau de l’état civil. Aujourd’hui donc, il y a 4 millions et demi de personnes en âge de voter qui n’ont pas leur état civil. Or, c’est cela qui sert de réserve de voix en cas de fraude.
Ce qui représente 25 % de la population, c’est ça ?
25 % de la population en âge de voter, pour cette année 2023.
Alors la preuve que la présidentielle sera transparente, disent les autorités, c’est que Madame la ministre de la Fonction publique a démissionné pour qu’il n’y ait pas de conflits d’intérêts, vu qu’elle est l’épouse du président de la Commission électorale.
En fait, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Parce qu’au sein de la Haute Cour Constitutionnelle, je prends juste un exemple, un membre de la Haute Cour Constitutionnelle a pour époux le secrétaire général du ministère du Tourisme. Et ainsi de suite. Donc il y a encore beaucoup de monde en fait, que ce soit au sein de la Haute Cour Constitutionnelle, ou au sein de la Commission électorale nationale indépendante, dont le conjoint ou la conjointe est membre des organes publics. C’est pour cela que les différentes entités, y compris d’ailleurs le rapport de l’Union européenne, ou bien de la SADC (Communauté de développement de l'Afrique australe), demandent à ce qu’on change entièrement les membres de la Haute Cour Constitutionnelle, et les membres de la Commission électorale nationale indépendante.
Il y a quelques jours, le gouvernement a annoncé que toutes les manifestations à caractère politique dans un lieu public seront désormais interdites jusqu’à la présidentielle. Qu'en pensez-vous ?
Disons que cette situation est assez aberrante, puisque les membres des organes publics ont le droit d’organiser des manifestations publiques dans les lieux publics, qu’ils soient couverts ou non couverts. D’un autre côté, les gens qui ont d’autres sensibilités politiques, qu’ils soient de l’opposition ou non, n’ont pas le droit. Donc c’est un peu une position schizophrène du régime. C’est-à-dire qu’il est quand même impensable qu’à la veille d’une élection, l’opposition, ou d’autres sensibilités, ne soient pas autorisées à participer à des meetings publics, alors que le régime organise régulièrement des meetings publics sur des lieux non couverts.
Les autorités disent que c’est pour préserver l’ordre public, et précisent que les leaders politiques pourront quand même tenir des meetings dans des endroits clos, comme les stades.
C’est faux, puisqu’il y a des candidats qui ont essayé de faire cela dans des endroits privés, clos, mais non fermés, et ils n’ont pas accepté. Donc la réalité de terrain est que l’opposition, particulièrement, est interdite en fin de compte de meetings publics sur les lieux dits publics. Même dans les lieux privés. Par exemple l’ancien président, il le fait dans l’enceinte de sa société Tiko. Il est interdit de meetings. Cela s’est passé plus d’une fois.
L’ancien président Ravalomanana ?
Voilà.
Serge Zafimahova, vous avez été le directeur de cabinet du président Albert Zafy dans les années 90. Et dans votre dernier livre Madagascar, le défi de l'avenir, vous dites que le Plan Emergence Madagascar du président actuel Ange Rajoelina, c’est l’Arlésienne. C’est-à-dire un plan dont on entend beaucoup parler, mais qu’on ne voit jamais. Est-ce que vous n’êtes pas sévère ?
Cela fait partie, malheureusement, de la réalité. L’Emergence Madagascar… Depuis que le président actuel est au pouvoir, il n’y a pas eu un seul investisseur direct étranger qui a investi à Madagascar. Pas un seul. Cela signifie que les investisseurs directs étrangers n’ont pas du tout confiance en l’environnement qui existe aujourd’hui sur le plan économique à Madagascar. C’est surtout la pratique des rétrocommissions qui, aujourd’hui, exaspère pas mal le monde économique en termes d’investissements.
Vous parlez de rétrocommission, c’est de la corruption, ça ?
C’est de la corruption. En fait, il y a eu des investissements qui étaient prévus en matière d’hydroélectricité. Et ces projets-là, on aurait déjà pu les entamer dès l’arrivée du nouveau pouvoir en 2019. Mais ce qu’il s’est passé, c’est qu’ils ont voulu renégocier les termes en disant que l’ancien régime, peut-être, s’était sucré là-dessus. Ce qui est discutable. Donc en fait, tout cela a retardé les investissements qui auraient dû se faire déjà depuis le début du mandat. Maintenant, on est en fin de mandat, donc maintenant, ils se pressent, en fait, à essayer de trouver des projets qui pourtant auraient déjà dû se faire depuis longtemps dans le secteur de l’hydroélectricité.
Alors vous dites que seuls 15 % des Malgaches jouissent actuellement de l’électricité, et vous appelez à une profonde réforme de la fiscalité pour inspirer confiance aux investisseurs. Quelle nouvelle fiscalité ?
En fait, il faudrait lier en fin de compte la nouvelle fiscalité avec le nouveau code minier qui est toujours en gestation. Un permis minier est négociable sur le marché financier international. Le permis minier en question, en fin de compte, change de main sur le marché financier international. Mais sur tout cela, Madagascar ne gagne aucun centime, aucun dollar. Tout simplement parce que nos textes, en fin de compte, ne sont pas adaptés aux nouveaux enjeux internationaux en matière de finance, ou bien en matière de fiscalité. Donc ce qui prouve la grande faiblesse aujourd’hui de la fiscalité à Madagascar.
Dans votre livre, vous brisez un certain nombre de tabous. Et vous dites, par exemple, que l’attitude de jalousie d’un certain nombre de Malgaches face à la communauté des Karanes, d’origine indo-pakistanaise, cela cache mal, dites-vous, l’impuissance des Malgaches à se dépasser, à être créatifs, à être solidaires.
En effet. D’un côté, on peut reprocher aux Indiens d’utiliser leur puissance financière pour corrompre l’administration civile et militaire à Madagascar. Mais de l’autre côté, les Indiens en fin de compte réinvestissent à Madagascar. Contrairement aux Malgaches, qui achètent des pierres, ou bien des maisons et des appartements, et tout cela à l’extérieur. Les Indiens, eux, réinvestissent à Madagascar.
Dans votre livre, vous avez ce mot cruel : « Tant que nous serons un pays pauvre, nous ne récupérerons pas les îles Éparses, qui sont actuellement détenues par la France ».
Oui. En fait, tant que l’économie malgache se trouve dans la situation dans laquelle nous sommes, il n’y a aucune chance que Madagascar puisse récupérer un jour les îles Éparses. C’est une fois que Madagascar aura une puissance économique au niveau régional, qu’on pourra discuter d’égal à égal par rapport à la coopération avec les îles autour de Madagascar, particulièrement avec La Réunion. C’est à partir de là que Madagascar aura une chance de retrouver les îles Éparses, et de discuter en partenaire d’égal à égal.
Serge Zafimahova, vous plaidez pour une grande réconciliation nationale, comme le président Albert Zafy, dont vous avez été le directeur de cabinet il y a 30 ans. Cela veut-il dire que vous voulez suivre l’exemple du professeur Zafy, et que vous allez vous porter candidat à la prochaine élection présidentielle ?
Disons que cela, être candidat ou non aux élections présidentielles, c’est une autre question. Mais si aujourd’hui, il y a la corruption à très haut niveau à Madagascar, c’est du fait qu’il y ait eu impunité jusqu’à ce jour par rapport aux gens qui ont détourné de l’argent public. C’est tout cela, en fin de compte, qui fait que la réconciliation est incontournable, parce que le vrai problème, c’est la mise en place de la décentralisation. Il n’y a jamais eu de décentralisation réelle à Madagascar, et c’est cela qui crée une grande frustration. Je veux prendre un exemple très simple, la compagnie d’électricité et d’eau à Madagascar. On aurait pu mettre en place, en fin de compte, de l’énergie dans à peu près toutes les régions de Madagascar. Le vrai problème qui existe aujourd’hui, c’est cette absence d’électricité, qui bloque le développement de plusieurs régions de Madagascar. C’est cette inégalité-là qui amène les gens à ne pas accepter ce qui est en train de se passer, cette centralisation des pouvoirs qui continue. Donc, la réconciliation nationale, il ne s’agit pas d’embrassades entre les anciens présidents et l’actuel président. Ce n’est pas cela. Cela, c’est juste pour les photos. Mais il y a une mauvaise répartition des avoirs économiques à Madagascar.
Serge Zafimahova, vous n’êtes pas qu’un essayiste, vous êtes aussi à la tête d’une plateforme politique, Diniké. Cette présidentielle, vous y pensez ou pas ?
Dans tous les cas, le Diniké ne va pas regarder au bord de la route les futures élections. Il est clair qu’on va prendre nos responsabilités. Mais est-ce qu’on aura notre candidat, ou est-ce qu’on va faire un jeu d’alliance, tout cela va dépendre de la conjoncture au moment voulu.
► À lire aussi : Madagascar: à sept mois de la présidentielle, le gouvernement restreint le droit de manifester
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne