Proposition de loi Tshiani: «Un texte populiste qui fait des dégâts dans l'opinion publique» en RDC
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En RDC, les prises de position se multiplient contre un projet de loi controversé sur la « congolité ». Surnommée loi Tshiani, du nom de son initiateur, cette proposition de loi vise à réserver les plus hautes fonctions de l'État, dont la présidence, aux seuls Congolais nés de père et de mère congolais. Un projet de loi déjà écarté en 2021, mais qui a été inscrit au programme de la session parlementaire de printemps cette année. Et il divise fortement à la veille de l’élection présidentielle prévue le 20 décembre 2023. Entretien avec Trésor Kibangula, de l’Institut de recherches Ebuteli, partenaire du Groupe d’étude sur le Congo (GEC).

RFI : Trésor Kibangula, depuis plusieurs semaines, la classe politique congolaise est divisée autour d’un projet de loi, surnommé loi Tshiani, du nom de son initiateur Noël Tshiani. Des organisations de la société civile, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et dernièrement le cardinal Fridolin Ambogo se sont prononcés contre le texte. Est-ce que ces prises de position vont renforcer le débat en cours ?
Trésor Kibangula : Bien sûr. C’est plus le cri d’alarme, la sonnette d’alarme, je dirais, par rapport à cette proposition de loi qui est très controversée, et très dangereuse pour une question si sensible en RDC qui est la question des nationalités. Il faut peut-être rappeler que durant l'année 1996, des gens ont pris des armes, à l’Est notamment, pour cette question des nationalités. Cela a toujours été au cœur des polémiques congolaises. Et aujourd’hui, revenir avec cette proposition et remettre ça sur la table risque quand même de remettre en cause tous les acquis que le pays a engagés depuis les discussions de Sun City [le 19 avril 2002, NDLR]. La grande crainte, que ce soit de l’église ou des autres parties prenantes, ou de personnalités de la société civile, c’est qu’on ouvre finalement cette boite de Pandore de la question des nationalités au Congo et qu’on retourne dans les vieux démons de : qui est Congolais et qui ne l’est pas ?
Qui aujourd’hui a intérêt à porter ce type de projet de loi au Congo ?
Pour l’instant, on n’est que dans le domaine des surenchères, sans écarter l’idée d’avoir un débat, parce que si c’est une question qui se pose dans la société, c’est bien d’avoir un débat et d’en finir une fois pour toutes. Mais la question maintenant, c’est sur l’opportunité de ce débat. Est-ce que c’est le moment d’ouvrir ce chapitre, juste à la veille des élections ? Et là, c’est très facile de voir contre qui cette proposition est destinée, parce qu’il y a quand même un des candidats à cette élection présidentielle qui pourrait ne pas être retenu si cette proposition de loi passe : c’est Moïse Katumbi. Forcément, ça pourrait faire les affaires de ceux qui sont au pouvoir. Le président de la République, une fois, avait déjà manifesté ses réserves par rapport à cette proposition de loi, sans écarter l’idée d’avoir un débat sur le sujet.
Vous faites notamment référence à une interview qu’il avait donnée à Voice of America Africa où il disait que « être congolais de père et de mère ne garantissait pas un engagement total pour le pays ». Mais depuis que le projet est de nouveau sur la table, on n’a pas beaucoup entendu la coalition Union sacrée de la nation, sur ce thème ?
Surtout que c’est une proposition qui est portée par un député de la coalition au pouvoir. C’est ce qui est aussi inquiétant, voire que la coalition donne quand même, laisse cette proposition revenir. Et la manière dont la proposition est revenue sur la table interroge aussi. Parce que la dernière fois, la proposition a été retoquée au niveau du bureau d’étude de l’Assemblée nationale qui trouvait que ça ne remplissait pas des conditions pour être retenue. Et aujourd’hui, sans que ces conditions-là soient satisfaites, le texte revient. Même si on a vu, dans l’histoire de l’Assemblée nationale, que retenir un texte au calendrier ne veut pas forcément dire que ce texte va être examiné ou même adopté. On accumule depuis que la législature a commencé beaucoup d’arriérés législatifs, c’est-à-dire des textes qui sont alignés dans des calendriers, mais qui n’ont jamais été examinés.
Parce que la priorité de cette session parlementaire, c’est le vote de la loi électorale ?
La loi électorale a été votée et, c’est plus la loi sur la répartition des sièges. La Commission électorale nationale indépendante, la Céni, est en train de finir la phase d’enrôlement des électeurs. Cela va permettre à ce qu’on puisse répartir le poids électoral dans chaque province et attribuer à chaque circonscription un nombre de députés nationaux dans ce texte majeur qui est attendu à l’Assemblée nationale.
Et qui a plus de chance d’être examinée que la loi de Tshiani actuellement ?
Aujourd’hui, la loi de Tshiani, à mon sens, a beaucoup moins de chance d’être examinée parce que, pour que la loi doive être examinée ou être adoptée, il faut qu’on touche à certaines dispositions de la Constitution. Alors qu’on ne peut pas changer ou réviser la Constitution congolaise lorsque le pays ou une partie du pays est sous état de siège. Il y a cette contrainte légale, mais ça reste quand même dans le domaine des surenchères politiques. Et comme c’est un texte populiste, ça cause déjà des dégâts dans l’opinion publique. Il va extrapoler, quitter même le domaine qu’il voudrait régir à cette proposition de loi, aller jusqu’à nier la nationalité congolaise à certaines personnes parce qu’elles sont claires de peau.
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