Inna Modja (chanteuse malienne): «Le combat pour la terre est aussi un combat pour les femmes»
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Depuis vingt ans, elle est engagée contre les violences faites aux femmes, la chanteuse malienne Inna Modja veut désormais leur assurer un accès durable à la terre. Le 17 avril dernier, elle a été nommé ambassadrice de bonne volonté de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. L’avancée du désert du Sahara touche particulièrement le Sahel, et particulièrement le Mali, le pays d'origine d'Inna Modja. Pour stopper sa progression, une grande barrière de végétation est en construction du Sénégal à Djibouti. Un projet à l’origine du documentaire « The Great Green Wall » de la chanteuse, sorti en 2019. Rencontre avec une femme engagée au micro de Christina Okello.

RFI : Le 17 avril, vous avez été nommée ambassadrice de bonne volonté de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. Qu’est-ce que vous espérez faire changer à travers cette nomination ?
Inna Modja : J’ai envie d’inspirer les gens à s’engager pour le changement. Plutôt que de les montrer du doigt et de leur montrer ce qu’ils font mal, c’est leur montrer ce qu’ils peuvent faire, c’est pour ça que je n’utilise pas juste ma voix, je vais sur le terrain, je passe énormément de temps depuis 2017 dans le désert, dans les communautés rurales du Sahel, et aujourd’hui je vais le faire globalement… C’est quelque chose qui n’est pas évident… Bien sûr, c’est une pierre dans l’édifice, c’est une évolution de mon travail. Je suis très honorée qu’on m’ait donné ce titre qui reconnaît mon travail de ces vingt dernières années.
Quelle est selon vous la priorité pour lutter contre la désertification ?
Je pense que l’une des premières priorités, pour moi, c’est la question des femmes et de la jeunesse.
Beaucoup de femmes vivent dans des endroits où les terres sont détériorées. Près de 50 pour cent de femmes qui travaillent la terre n’en bénéficient pas et le changement climatique a un impact beaucoup plus grand sur ces femmes et sur leurs filles. Elles sont les plus vulnérables. Pour moi, l’égalité des genres permettrait d’équilibrer un peu le poids qu’elles portent, de le répartir différemment. Elles ne peuvent pas être à 50% en train de restaurer ces terres et de les travailler et n’être que 3% à avoir la propriété de ces mêmes terres, il y a un déséquilibre qui est très flagrant.
La dégradation des terres était au cœur d’une rencontre des chefs d’État africains en Côte d’Ivoire l’an dernier… Est-ce que cette rencontre a permis d’avancer ? Faut-il encourager à l’avenir de telles réunions ?
Absolument. Il y avait des chefs d’État, mais nous y étions aussi, nous les activistes, et je pense que c’est important qu’il y ait ce genre de réunions, parce que ça ouvre une discussion et ça permet un débat, ça permet de commencer à trouver des solutions. De la réunion que vous mentionnez, sont nés des débuts de solutions : la propriété des terres par les femmes, ça, c’est quelque chose qui est revenu très souvent dans les discussions. Et on est déjà en train de travailler sur certaines solutions : comment est-ce que les femmes peuvent avoir accès à la propriété et ne pas perdre la propriété lorsque, par exemple, elles perdent leur mari ou en cas de séparation, etc.
En 2019, vous avez réalisé le documentaire The Great Green Wall, en référence au grand mur d’arbres qui est en train d’être construit dans le Sahel… De quelle manière ce projet fait-il partie de la solution, selon vous ?
J’ai personnellement voyagé du Sénégal jusqu’à l’Éthiopie, le long de cette grande muraille verte dans le Sahel. Et j’ai rencontré les communautés qui vivent là-bas, parce que ce sont elles qui vont faire la différence, ce sont elles qui sont en train de changer leur environnement, qui sont en train de planter des arbres, qui sont en train de faire en sorte que ce projet devienne réalité. Donc en rencontrant ces communautés, je sais qu’elles ont la résilience et qu’elles ont l’envie. Rien ne les arrêtera, il s’agit de protéger leur environnement mais de protéger aussi la jeunesse, parce que beaucoup de jeunes partent. Les migrations forcées sont très présentes dans cette région. On se rend compte que le changement climatique a beaucoup de conséquences. Vu qu’il n’y a pas d’opportunités de vie, les gens partent. Ça, c’est quelque chose de très humain qui se passe partout dans le monde. À partir du moment où on estime qu’on ne peut pas vivre et qu’on ne peut pas créer de ressources pour soi ou pour sa famille, on bouge.
À l’annonce de votre nomination le 17 avril, vous avez déclaré : « Ensemble, nous pouvons créer un avenir plus radieux et durable. » À quoi ressemble-t-il cet avenir radieux ?
Un avenir plus radieux ? C’est un avenir où chacun de nous contribue à protéger la planète. Parce qu’il y a un effet papillon qui est très violent, c’est-à-dire que le mode de vie que soutient une partie du monde crée une planète qui a des conséquences extrêmes pour l’autre partie. C’est-à-dire que quand on regarde par exemple le continent africain, qui est le continent qui contribue le moins aux émissions de carbone et à la pollution, quand on regarde la zone du Sahel, les conséquences sont extrêmes pour une population qui contribue très peu à ce changement climatique. Aujourd’hui, on n’est pas dans un moment où on pointe du doigt, on est dans un moment de collaboration parce qu’on est dans une urgence et on doit travailler ensemble.
Et pour ça, l’éducation est quelque chose de très important. Comment est-ce que chacun de nous peut faire sa part ? Comment est-ce que chacun de nous peut faire en sorte qu’on change nos pratiques pour les remplacer par des pratiques plus durables dans notre quotidien ? Et comment est-ce qu’on peut faire en sorte que ceux qui sont les plus vulnérables puissent avoir des opportunités pour s’en sortir ?
Laquelle de vos chansons pourrait incarner au mieux votre engagement en faveur du climat ? Est-ce que vous pouvez commencer à me la chanter a cappella ?
La chanson qui s’appelle « Water », qui parle donc de l’eau, de l’accès à l’eau, est très importante pour moi. J’ai grandi au Mali, on n’avait pas toujours accès à un robinet chez nous, ça s’est fait avec le temps. C’est une chanson qui dit qu’aujourd’hui, l’eau est la chose la plus importante au monde et que tout le monde n’y a pas accès. Elle vient de mon album Motel Bamako qui est sorti en 2015.
(Elle chante…. rires)
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