Le grand invité Afrique

«Le Sénégal reste un modèle de démocratie en Afrique», selon le ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall

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Au Sénégal, le procès pour viols contre l'opposant Ousmane Sonko a été renvoyé au 23 mai, après s'être brièvement ouvert hier en son absence à Dakar. Depuis que la procédure a été lancée, elle crée de très fortes tensions dans le pays. Ousmane Sonko et ses partisans dénoncent une volonté de le mettre à l'écart de la course à la présidentielle. C'est dans ce contexte que l'ONG Afrikajom Center a publié ces derniers jours un rapport très critique sur la gouvernance du pays. Le fondateur de l'organisation était notre invité mardi 16 mai. Que lui répondent les autorités du Sénégal ? Comment réagissent-elles aux polémiques sur les affaires Sonko et sur la possibilité d'une candidature du président Macky Sall à un troisième mandat ? Notre invité mercredi matin est le ministre de la Justice et garde des Sceaux Ismaïla Madior Fall. Il est interrogé par Laurent Correau.

Le garde des Sceaux sénégalais Ismaïla Madior Fall (centre), mai 2023.
Le garde des Sceaux sénégalais Ismaïla Madior Fall (centre), mai 2023. © Facebook/Ismaïla Madior Fall
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RFI : diriez-vous, comme l'Afrikajom Center, que le Sénégal est un modèle démocratique africain en déclin ?

Ismaïla Madior Fall : Le Sénégal a toujours été un modèle démocratique, pour ne pas dire une démocratie modèle en Afrique. C'est une démocratie qui n'est pas du tout en déclin. Les indicateurs sont très simples : au courant de l'année 2022, nous avons organisé deux élections importantes. D'abord les élections locales, et pendant ces élections locales, le pouvoir a perdu certaines grandes villes, dont la capitale. Ensuite, nous avons organisé les élections législatives. Aujourd'hui, quand on regarde la configuration de l'Assemblée nationale, le pouvoir a une courte majorité. C'est l'indicateur d'un système électoral performant. Aujourd'hui, quand on regarde l'état des libertés, le Sénégal est un pays où on respecte toutes les libertés. Je ne vois pas en quoi le système est en déclin, au contraire, je pense que le modèle démocratique tient bon et que le Sénégal reste encore un modèle de démocratie en Afrique.

L'affaire qui cristallise toutes les tensions à l'heure actuelle, ce sont ces procédures judiciaires qui visent l'opposant Ousmane Sonko. Que répondez-vous à ceux qui estiment que la justice a été activée pour l'empêcher d'entrer dans la course à la présidentielle ?

Mais c'est un scénario tout à fait classique : à chaque fois que des hommes politiques dans tous les pays du monde ont été mêlés à des affaires judiciaires, on a suspecté ou soupçonné le pouvoir d'instrumentaliser la justice pour éliminer des opposants à des élections. Mais de quoi s'agit-il ici ? Il s'agit d'affaires purement privées dans lesquelles l'État n'a rien à voir. Toutes les normes, tous les standards, toutes les garanties d'un procès équitable sont aujourd'hui respectés dans ces affaires. Maintenant, si on considère que dans un État de droit, tous les citoyens sont égaux devant la loi, bien évidemment, quand vous êtes attrait ou quand vous faites l'objet d'une plainte, il faut que justice se fasse.

Tout de même, Monsieur le ministre, le fondateur d'Afrikajom Alioune Tine rappelait sur notre antenne des précédents assez troublants. En 2019, des procédures judiciaires ont empêché Karim Wade et Khalifa Sall de se présenter. Là, la liste des candidats à l'élection présidentielle de 2024 risque elle aussi d'être réduite en raison de procédures judiciaires. On peut comprendre les interrogations que cela soulève. Certains estiment que l'exécutif sénégalais est en train de formater à l'avance le match présidentiel de 2024 pour permettre à son candidat, quel qu'il soit, de l'emporter…

Il y a des candidats à qui on ne peut rien reprocher, des candidats qui n'ont pas maille à partir avec la justice. Mais s'il y a des citoyens candidats à la présidentielle qui malheureusement se trouvent mêlés à des affaires judiciaires, il faut bien que justice se fasse. À moins qu'on s'accorde tous maintenant sur le fait que le statut de candidat à la présidentielle accorde une certaine immunité, ou une impunité.

De manière plus générale, monsieur le ministre, Afrikajom Center estime « que la crise que nous traversons avec la répression des libertés fondamentales, les arrestations et les détentions de militants politiques de l'opposition n'a jamais connu une telle ampleur dans l'histoire politique du Sénégal depuis l'indépendance ». Qu'est-ce que vous en pensez ?

Mais parce que depuis l'indépendance, on n'a jamais eu autant d'individus qui s'illustrent par de nombreux appels à l'insurrection, par des diffusions de fausses nouvelle, par la déstabilisation des forces de défense et de sécurité. Lorsqu'un État se retrouve face à des mouvements insurrectionnels, à des appels à l'insurrection, à des volontés de déstabilisation massive de l'État, l'État a le choix entre croiser les bras, ou alors réagir en défendant la stabilité politique, en défendant les institutions, en défendant l'ordre républicain. C'est l'option fondamentale de l'État du Sénégal.

L'un des facteurs de tension importants actuellement, c'est l'ambiguïté entretenue sur la volonté du président ou non de se présenter à un troisième mandat. Au-delà de la question de la légalité de cette candidature - qui sera tranchée, le cas échéant par les instances compétentes - que répondez-vous à ceux qui disent qu'il y a un problème de cohérence politique, dû au fait que Macky Sall, après s’être opposé à un troisième mandat d’Abdoulaye Wade, puisse envisager pour lui-même un troisième mandat ?

Je ne sais pas pour l'instant si le président de la République envisage de faire un troisième mandat ou un deuxième quinquennat. Il lui appartient à lui seul de choisir le moment, de dire si oui ou non, il sera candidat à la prochaine présidentielle. Mais ce que je peux juste observer, c'est que quand Abdoulaye Wade a voulu être candidat, il y a eu des contestations sérieuses. Mais le Conseil constitutionnel avait autorisé sa candidature, et dès lors que le Conseil constitutionnel a autorisé sa candidature, le président Macky Sall lui-même a dit : « J'ai contesté la candidature, mais comme le Conseil constitutionnel reconnaît la candidature. Moi, je vais battre campagne. » Il faut quand même respecter le droit, il faut respecter le droit dit par le juge. Lorsqu'il y a une controverse comme ça, la controverse est tranchée par le juge et arbitrée en dernière instance par le peuple.

Mais je vous repose ma question tout de même, Monsieur le ministre, est-ce que ça ne pose pas un problème de cohérence politique de s'être opposé à un troisième mandat d’Abdoulaye Wade, et de l'envisager pour soi-même ?

Je ne pense pas, fondamentalement. Moi, je considère qu’en politique, ce qui est important, ce n'est pas fondamentalement l'histoire, ce sont les circonstances actuelles. Quelle est l'idée qu'on se fait de sa mission, de son rôle dans l'histoire dans un contexte déterminé ? Le dernier mot appartient évidemment au présent Macky Sall.

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