Soixante-quinze ans de maintien de la paix: «Malgré les défis, les casques bleus préservent les cessez-le-feu»
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Ce mois-ci, l’ONU fête le 75e anniversaire du maintien de la paix. Plus de 2 millions de casques bleus ont été déployés sur le terrain depuis 1948. Or en ce moment, des voix demandent une modernisation des opérations de maintien de la paix, les OMP. Tout le monde attend avec impatience les directions qui seront rendues publiques dans le Nouvel agenda pour la paix du Secrétaire général fin juin. Notre correspondante à New York, Carrie Nooten, a exploré avec Jean-Pierre Lacroix, le secrétaire général adjoint aux opérations de paix, les pistes pour réimaginer les OMP.

RFI: Pour faire un bilan rapide, quels ont été selon vous le plus grand échec et le plus grand succès dans l'histoire des opérations de maintien de la paix (OMP) ?
Jean-Pierre Lacroix : Les plus grands succès se produisent au jour le jour. Malgré les défis, des soldats de la paix, des personnels des opérations, préservent les cessez-le-feu. Un exemple au sud Liban : là où la Finul est déployée, il y a des incidents presque tous les jours et si nos casques bleus n'étaient pas là, ce serait inévitable qu'il y ait une escalade, et peut-être une reprise des hostilités. Les échecs, on les connait, bien sûr. Historiquement, il y a Srebrenica, il y a le Rwanda. Il y a aussi, je pense, un décalage entre les mandats qui sont donnés aux opérations et les ressources qui leur sont attribuées.
Du coup, qu'est-ce que l'ONU a appris de ses erreurs ? Et par ailleurs, quelles seront les évolutions mises en place qui fonctionnent et qu’il faudra absolument garder pour les OMP de demain aussi ?
L'ONU a beaucoup appris de ses erreurs et les opérations d'aujourd'hui ne sont plus du tout celles des années 1990. En matière de protection des civils, puisque c'est là où finalement nous sommes le plus attendus, c'est légitime -et je dirais que c'est aussi la partie la plus difficile de nos mandats- nous avons développé beaucoup d'outils. Nous avons une meilleure connaissance du terrain, nous avons une meilleure interaction avec les communautés. Nous avons par exemple au Congo mais aussi au Mali, des personnes qui font partie des communautés et qui travaillent avec nous pour nous informer des risques qui pèsent sur les populations de manière à ce que nous puissions réagir au plus vite. Je pense que nous avons aussi développé une approche beaucoup plus intégrée de la protection des civils. Nous travaillons de manière beaucoup plus étroite avec les agences, les ONG également, et aussi nos personnels civils, nos personnels de police avec les militaires. Donc, ça je crois que c'est un progrès très net. Maintenant il faut faire beaucoup plus évidemment, parce que, certes, il y a eu des améliorations, mais les défis aussi, ne cessent de croitre.
Et il y a de nombreux nouveaux défis d'ailleurs.
Le défi principal est de nature politique, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, nous avons une communauté internationale beaucoup plus divisée. nos états membres, nos conseillers de sécurité en particulier, sont beaucoup moins, à la fois unis pour soutenir les efforts politiques qui sont indispensables dans toutes les situations où il y a des opérations, et ils sont aussi aujourd'hui beaucoup moins disponibles, compte tenu de la multiplicité des crises. Mais il y a d'autres défis, les menaces contre les populations et les casques bleus s'accroissent, les attaques à l'explosif, les fakes news, la désinformation qui est une arme qui fait des morts et qui est parfois utilisée de manière extrêmement professionnelle par ceux qui n'ont pas intérêt à notre succès. Puis je dirais qu'il y a aussi les nouveaux facteurs de conflit, l'impact du changement climatique, les activités criminelles transnationales, un exemple, dans la région des Grands Lacs, l'exploitation illégale des ressources naturelles, c'est à mon avis, un facteur, peut-être le facteur majeur de conflit. Il faudra s'y attaquer avec davantage de moyens.
Quels autres outils pourraient être utilisés pour imaginer ces OMP de demain ? Qu'est-ce qu'il faut faire ? Et est-ce que vous en avez les moyens ?
D'abord, il faut continuer à moderniser nos opérations. Je crois qu'un des grands défis, c'est l'adaptation à l'évolution des technologies digitales. Nous avons lancé une stratégie pour la transformation digitale des opérations de maintien de la paix. C'est fondamental parce que ça concerne la sécurité des populations de nos personnels, la lutte contre la désinformation, la meilleure capacité à recueillir des informations sur les situations dans lesquelles nous sommes, etc. Deuxièmement, nous devons réfléchir d'une part à ce que pourrait être une évolution des mandats, mais d'autre part un meilleur travail collectif avec les autres acteurs du multilatéralisme. Troisième axe de réflexion important :le maintien de la paix a ses limites, et lorsque l'imposition de la paix est nécessaire, il faut réfléchir au moyen de mieux soutenir les opérations d'imposition de la paix qui doivent être conduites par d'autres entités que les Nations unies, notamment les organisations régionales. Alors, les moyens, ça va dépendre des Etats membres... D'abord les moyens politiques, deuxièmement, les moyens financiers, ce qui est un défi surtout maintenant.
Enfin, le mois prochain, le mandat de la Minusma va être mis en jeu au Conseil de sécurité... Aujourd'hui d'après les échanges que vous avez avec elle, que souhaitent les autorités maliennes de transition ? Est-ce qu'elles veulent la fin de la Minusma ? Sa réduction à une mission politique sans casques bleus, donc sans témoins ?
C'est à elle de le dire, je ne suis pas leur porte-parole. Ce que je vous dire c'est que nous sommes depuis longtemps en consultation très étroite avec les autorités du Mali.
Antonio Guterres a proposé trois voies très différentes tout de même dans son dernier rapport. Est-ce que vous envisagez qu'une des pistes extrêmes puisse être retenue ?
Ça n'est pas mon impression à ce stade. Nous n'avons pas eu du tout le sentiment que la réduction de la Minusma, à ce stade, à une simple opération de présence politique à Bamako soit une option privilégiée. Mais, encore une fois je ne veux pas préjuger de ce que sera la décision du Conseil de sécurité puisque c'est à eux qu'il appartient de se prononcer.
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