Élections législatives en Guinée-Bissau: «Les déclarations des acteurs politiques inquiètent»
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Les Bissau-Guinéens vont aux urnes ce dimanche 4 juin pour un scrutin législatif. Le pouvoir bissau-guinéen relevant d'un régime semi-présidentiel dans lequel le Premier ministre a des fonctions importantes, ces élections sont décisives. L'ancien parti au pouvoir, le PAIGC, espère une revanche après sa défaite à la présidentielle de 2019. Le président Sissoco Emballo, lui, est à la recherche d'une majorité confortable au vu de ses projets constitutionnels. Les enjeux de ce scrutin en font-ils une élection à haut risque pour le pays ? Décryptage avec Paulin Maurice Toupane, chercheur à l'ISS, l'Institute for Security Studies et spécialiste de la Guinée-Bissau.

RFI : Paulin Maurice Toupane, les tensions entre acteurs politiques ont longtemps paralysé le renouvellement de la commission nationale électorale (CNE) qui est chargée d’organiser et de superviser tout le processus. Est-ce que la solution qui a été trouvée est consensuelle ?
Paulin Maurice Toupane : C’est un consensus a minima qui comporte des risques. Des réformes majeures avaient été adoptées en 2013 pour permettre l’organisation d’élections crédibles et transparentes dont les résultats seraient acceptés par tous. Cette réforme avait permis de dépolitiser l’organe électoral. Malheureusement, en 2019, la crédibilité de la CNE a été entachée à la suite du contentieux post-électoral, ce qui a poussé les acteurs politiques actuellement à se battre pour son contrôle. C’est donc un consensus a minima, et tout cela n’augure rien de bon pour la suite du processus, notamment pour les résultats qui pourraient être contestés par les acteurs en lice.
Est-ce que vous diriez que le climat électoral est plutôt tendu ou apaisé à Bissau actuellement ?
Je dirais les deux. Le climat est apaisé dans la mesure où les campagnes électorales en Guinée-Bissau n’ont jamais été empreintes de violences majeures, elles se déroulent souvent dans une ambiance festive. Mais les déclarations des acteurs politiques inquiètent. Quand on entend des acteurs impliqués dans le processus mettre en garde contre toute tentative de manipulation des résultats, et le président de la République dire que même si le PAIGC remporte les élections, il ne nommera pas Domingos Simoes Pereira comme Premier ministre, en effet cela inquiète. Ca rend l’ambiance un peu lourde. Et si une victoire du PAIGC se concrétise et que le président refuse de nommer Domingos Simoes Pereira, la Guinée-Bissau risque de basculer dans une crise institutionnelle aux conséquences imprévisibles.
Domingos Simoes Pereira, le chef du PAIGC. Alors justement, en décembre 2019, l’actuel président, Umaro Sissoco Embalo, a été élu président face à lui, face à ce candidat du parti historique au pouvoir à Bissau. Est-ce qu’en trois ans et demi le PAIGC a su se réorganiser ? Est-ce qu’il serait capable de rebondir lors du prochain scrutin ?
Il est vrai que le PAIGC a perdu un peu de terrain depuis 2014, il a été victime de querelles de leadership pour son contrôle entre différentes factions. Le parti du président dispute aujourd’hui l’électorat du PAIGC, notamment dans la partie est du pays, à Gabu et à Bafatá, deux régions qui font partie des plus grandes circonscriptions électorales du pays. Le PAIGC est passé de 57 sièges à l’Assemblée nationale en 2014, à 47 sièges, en plus d’avoir perdu les dernières élections présidentielles. Donc le parti a perdu du terrain, s’est affaibli. Mais, il a pu développer une capacité de résilience qui lui a permis de se retrouver aujourd’hui autour de Domingos Simoes Pereira. Le contexte socio-économique difficile que traverse la Guinée-Bissau pourrait bénéficier à l’opposition, notamment au PAIGC.
Alors Umaro Sissoco Embalo souhaite aller vers une présidentialisation du pouvoir dans son pays, il veut une nouvelle Constitution qui permettrait de sortir du régime actuel, un régime dans lequel on a un équilibre des pouvoirs, avec un Premier ministre fort. Est-ce que cette réforme constitutionnelle a été évoquée pendant la campagne ? Est-ce que c’est même l’un des enjeux à venir selon vous ?
Cette réforme constitutionnelle est l’un des enjeux majeurs du scrutin à venir. Et depuis son accession au pouvoir, le président Embalo a clairement manifesté son intention de réviser la Constitution pour adopter un régime présidentiel. Mais la question fondamentale qui se pose est de savoir si le président aura les trois cinquièmes nécessaires, c’est-à-dire 68 députés à l’issue du scrutin pour pouvoir adopter cette nouvelle Constitution, en sachant qu’en Guinée-Bissau, le président de la République ne peut pas initier un projet de révision de la Constitution.
La Guinée-Bissau accueille depuis la fin juin 2022 une force de la Cédéao qui a déployée après une tentative de coup de force. Quel bilan est-ce que vous faites de ce déploiement ? Est-ce que la présence de cette force risque d’être reconduite à l’issue de son mandat d’un an, ou est-ce qu’on se dirige plutôt vers un départ ?
Je pense que le bilan est positif vu les relations de travail entre la force de la Cédéao et les forces de défense et de sécurité de la Guinée-Bissau. Il faut rappeler que la mission a pour mandat de contribuer à la stabilisation du pays, de sécuriser le président de la République et les institutions, mais aussi de protéger les civils. Donc le bilan est positif. Je pense qu’il est fort probable que la force soit maintenue, d’autant plus qu’après les élections législatives, on s’achemine vers l’élection présidentielle prévue au dernier trimestre 2024 ou début 2025. La Cédéao a un grand rôle à jouer pour la bonne conduite de ces élections afin que la Guinée-Bissau ne retombe pas dans un cycle d’instabilité, soit avant, pendant ou après ces élections, d’autant plus que le président va chercher un second mandat et les acteur s politiques, notamment le PAIGC qui est dans une logique de conquête du pouvoir, mettra tous les moyens pour gagner ces élections. Donc ce sont des élections qui seront très disputées et tendues, donc il faudra la présence de cette force pour s’assurer qu’elles seront organisées de manière paisible.
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