Agriculture en Afrique: il faut «produire des engrais, financer la recherche et les infrastructures»
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Tripler la consommation d'engrais d'ici à 2035... pour doubler la productivité agricole. C'est l'objectif de 17 pays d'Afrique de l'Ouest et du Sahel. Ils ont adopté le 31 mai, la Déclaration de Lomé sur les engrais et la santé des sols, en présence de représentants de la Cédéao et de la Banque mondiale. Le texte doit permettre de répondre au problème crucial de l'approvisionnement en fertilisants, dont dépend la production agricole. Et, de fait, la sécurité alimentaire des populations. En soutien à cette initiative, la Banque mondiale a annoncé 1,5 milliard de dollars supplémentaires dans le secteur de l'agriculture d'ici à 2024. Une somme qui vient s'ajouter aux quatre milliards déjà engagés et en cours de mise en œuvre. Ousmane Diagana est vice-président de l'institution bancaire pour l'Afrique de l'Ouest et du centre.

RFI : Ousmane Diagana, d’abord, quels sont les principaux engagements pris par les dirigeants de la Cédéao pour répondre à la problématique de l’approvisionnement en engrais ?
Ousmane Diagana : Les différents pays se sont rendu compte qu’il faut agir sur trois fronts. Bien entendu, la production : il faut créer les conditions d’une production suffisante, ce qui suppose qu’on travaille sur les infrastructures, sur le climat des affaires, sur les technologies afin de permettre au secteur privé de jouer le rôle qui est le sien, celui de la production. Les États doivent créer des conditions propices en définissant des politiques et en mettant en œuvre des réformes appropriées pour que le secteur privé soit là. Deuxièmement, il faut investir dans la recherche. Les universités et les instituts de recherche doivent être soutenus. Les efforts qu’ils font, en conduisant des idées, doivent être reconnus et ces résultats mis à la disposition des États et des investisseurs privés. Les partenaires ont également un rôle extrêmement important à jouer. Bien sûr, le financement des infrastructures - surtout des infrastructures physiques, tout comme les réformes qui doivent être menées sur la base des expériences qui ont été acquises ou accumulées ailleurs -, peuvent être facilitées à travers un accompagnement technique et financier de l’ensemble des partenaires au développement de ces pays-là.
Vous parlez de la production, des infrastructures, du financement. Combien de temps concrètement cela va prendre de développer tout cet écosystème autour des engrais ?
On est à la fois dans une situation d’urgence et la nécessité de situer ceci dans une perspective de moyen et long terme. À cause de la guerre en Ukraine, nous avons vu l’inflation, surtout pour ce qui concerne les prix alimentaires, comme résultat de l’indisponibilité de suffisamment de produits alimentaires sur les marchés locaux, parce que les pays africains étaient très dépendants de l’extérieur. Alors il faut automatiquement réagir, en faisant en sorte que déjà, les paysans puissent avoir accès aux engrais. Sur le moyen et long terme, bien sûr, il y a beaucoup de pays qui disposent de gisements, de ressources, le Togo qui nous reçoit est un pays riche en phosphore, le Sénégal, le Nigeria, le Bénin, il y en a beaucoup et nous allons accompagner ces pays-là pour développer une industrie de production des engrais, et c’est quelque chose qui peut être fait sur une période de trois ans à cinq ans.
Mais comment expliquer, Monsieur Diagana, que tous ces pays qui ont tant de potentiel n’ont pas, jusque-là, été en mesure de produire leurs propres engrais, quand on connaît les ressources naturelles dont dispose ce continent, et quand on compare sa superficie par rapport à celle d’un pays comme l’Ukraine, dont la guerre a pourtant réussi à déstabiliser tout un continent ?
C’est une question pertinente que vous posez et c’est une problématique qui nous a aussi interpellés. Ceci dit, il faut reconnaître que ces pays, par le passé, ont essayé. Le Togo a une expérience en la matière qui a tourné court. Le Sénégal, à travers les Industries Chimiques du Sénégal, a également une expérience. Je crois qu’il faut tirer des leçons de tout ceci et partir sur de nouvelles bases. Le développement, c’est une question de long terme : on fait des tentatives, on peut échouer, mais ces échecs doivent servir d’expérience, pour que la nouvelle approche qui va être mise en œuvre soit plus réussie. Je pense que c’est le message que nous avons entendu.
Un dernier point important, monsieur Diagana : les engrais chimiques sont aujourd’hui responsables, on le sait, d’une pollution massive des sols. Ils sont, aussi et surtout, la cause majeure de pollution des eaux souterraines, des nappes phréatiques, qui sont les principaux réservoirs d’eau potable. Est-ce que ce volet environnemental a été abordé lors de la rencontre de Lomé ?
Il a été au centre de nos discussions, en effet. Cette conférence, il ne s’agissait pas de parler seulement de la production des engrais, mais également de la santé des sols. Nous sommes dans une zone géographique qui est particulièrement affectée par le changement climatique, donc toute politique qui doit être définie, élaborée et mise en œuvre, doit tenir compte fondamentalement de cela. Nous sommes engagés à la fois sur le plan régional, sur le plan sous-régional, mais également à l’échelle des différents pays à définir une cartographie de la fertilité des sols. Et ce sont des initiatives prioritaires dans notre dialogue avec les pays, mais également primordiales pour résoudre la problématique que vous mentionnez.
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