Hassanein Hiridjee (Axian): «Il faut accompagner le secteur privé de façon beaucoup plus ambitieuse»
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L’Africa CEO Forum s’est ouvert ce lundi à Abidjan, en Côte d’Ivoire. C’est le rendez-vous majeur des chefs d’entreprise du continent, organisé par le magazine Jeune Afrique et par la Banque mondiale. Thème de cette édition : « Réussir malgré les crises – de 300 à 3 000 : comment accélérer l’émergence de la prochaine génération de champions africains ». Le nombre d’entreprises africaines réalisant un chiffre d’affaires supérieur à un milliard de dollars est évalué à 300 sur tout le continent, un effectif que les organisateurs du forum ambitionnent de décupler. Hassanein Hiridjee est le PDG de l’une d’entre elles, le groupe malgache Axian, actif sur le continent africain dans les domaines des télécommunications, de l’énergie et des services financiers. L’entreprise familiale est devenue en quelques années un groupe panafricain de 8 000 employés, avec un chiffre d’affaires de deux milliards de dollars. Il est l’invité de Marine Jeannin.

RFI : Hassanein Hiridjee, qu’est-ce qui bloque encore en Afrique le développement de sociétés comme la vôtre ?
Hassanein Hiridjee : L’Afrique est sous-financée. Si on ne règle pas le problème du sous-financement de l’économie africaine, nous n’y arriverons pas. C’est indispensable. Et je fais appel aux institutions de financement, à tous les DFI, aux banques, aux partenaires financiers, au fonds Private Equity, il faut accompagner beaucoup plus et de façon plus ambitieuse le secteur privé. Aujourd’hui, comme vous le voyez, on ne parle que de secteur privé, de partenariat public-privé. Je pense qu’il y a une véritable prise de conscience des gouvernements qu’ils doivent mettre en place le cadre juridico-légal, qu’ils doivent mettre en place les infrastructures de base. Mais que derrière, ceux qui vont créer des emplois, derrière ceux qui vont payer des taxes, derrière ceux qui vont créer de la valeur et de la croissance qui va permettre de créer ce cercle vertueux, ce sera uniquement le secteur privé.
Ce manque de financement, il explique en grande partie pourquoi les économies africaines ne comptent que 300 champions, comme on les appelle, ici, au CEO Forum. L’objectif de multiplier cet effectif par dix, est-ce que c’est réalisable, selon vous ?
La thématique, il n’y a que 300 champions qui sont des « unicorns » qui font plus d’un milliard de dollars, j‘entends bien. Mais il faut aussi ramener les choses dans le contexte, au niveau du développement et de l’émergence actuelle du continent. Est-ce que finalement, on a besoin de passer de 300 entreprises qui font plus d’un milliard de dollars à 3 000, et d’avoir 3 000 « unicorns », des licornes ? Ou finalement, est-ce qu’il ne faudrait pas mieux accompagner le tissu des PME et trouver 3 millions d’entreprises du continent qui vont faire un million de dollars de chiffres d’affaires ? Et finalement, on va mettre en place cette économie qui va commencer par les petites PME qui vont accompagner tout ce développement. Il y a énormément de talents, il y a énormément d’entreprises, il y a énormément de sociétés qui sont aujourd’hui à une taille entre 300 et 500 000 dollars, même un peu moins, qui sont parfois informelles, qui font du très bon travail, qui ont besoin de passer ce cap d'un million de dollars. Ce cap pour moi est extrêmement structurant. C’est ce qui permettra de créer des emplois beaucoup plus rapidement, d’être beaucoup plus proches du développement local. Je pense qu’il y a une complémentarité entre les « unicorns » et aussi ces entreprises, ces PME. Il ne faut absolument pas les oublier.
Maintenant, les challenges sont très simples. Aujourd’hui, nous avons des challenges en termes d’équipements, d’infrastructures de base, notamment en énergie. Nous avons aussi de gros challenges en termes d’éducation et de « skills » [« compétences », Ndlr]. Et troisièmement, l’écosystème doit être enrichi et l’État doit nous accompagner à mettre en place l’environnement général pour nous faciliter le développement de nos activités. L’État doit être un catalyseur.
Nous, ce qu’on attend comme signal, et maintenant on commence à l’entendre, des gouvernements africains qui nous disent : libérez-vous, entreprenez, développez. Je crois qu’il faut permettre aux entrepreneurs africains de se développer, de les accompagner en termes de financement, et de créer un écosystème favorable pour cet investissement.
Justement, que doit faire l’État ?
L’ensemble des gouvernements du continent doivent prendre conscience que sans le secteur privé, on n’y arrivera pas et que, deuxièmement, le secteur privé doit être rassuré, il doit être accompagné, et il doit être incité. Je crois que ça, c’est extrêmement important pour nous. Maintenant, on a un tel réservoir de potentiels aussi bien en termes de ressources naturelles, de ressources minières, mais surtout en termes de capital humain. Regardez notre jeunesse ! La jeunesse d’Afrique est demandeuse en termes d’éducation, en termes de formations. Et il y a énormément de choses à faire. Dans mon propre pays à Madagascar, quand je vois la qualité de nos ressources dans les métiers par exemple des TIC et de l’IT, nous avons des gens qui avec des écosystèmes d’éducation, somme toute encore assez limités, font des choses extraordinaires.
Comment faire jouer la complémentarité des ressources et des compétences entre les différents pays d’Afrique ?
Quand je vois qu’en termes d’échanges dans le continent, la Zlecaf [Zone de libre-échange continentale africaine, Ndlr] encore qui est une évidence n’avance pas suffisamment, sa légitimité est complètement là et maintenant il faut qu’elle s’exécute dans les faits. Quand je vois qu’on a besoin de s’intégrer au niveau du continent là-dessus, nos chaînes de valeur doivent être renforcées… Puis deuxièmement, nous devons parler d’une seule voix, et devenir le grenier du mondepour l’ensemble des pays africains. Et donc, je crois qu’il y a un accompagnement à faire, une complémentarité à jouer entre les pays africains. Entre le Maroc et la Côte d’Ivoire, en termes de ressources hydriques, ça matche, il y a énormément de complémentarité qui doivent être créées. Et ça, ce sont des sujets d’intégration de la Zlecaf qui permettront de rationaliser et de renforcer ces chaînes de valeur. Et je pense que nous autres aussi du secteur privé africain, on a un rôle à jouer dans la Zlecaf, que ce soit en termes d’intégration, en termes de flux financiers, que ce soit en termes de circulation, nous devons être à la table. Le capitalisme africain doit être à la table des discussions.
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