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Arthur Banga, chercheur: «Les groupes jihadistes recrutent au Ghana depuis des années»

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Va-t-on vers une fin de l'exception ghanéenne par rapport au terrorisme ? Jusqu'ici, les Ghanéens avaient été épargnés par les attaques jihadistes, mais les observateurs signalent un intérêt croissant des mouvements comme le Jnim (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans) ou l'EIGS (l'État islamique dans le Grand Sahara). Le chercheur ivoirien Arthur Banga signe une note d'analyse sur l'implantation des groupes terroristes au nord du Ghana pour l'Institut de relations internationales et stratégiques. Il y explique comment cette zone s'inscrit dans la stratégie régionale des groupes jihadistes.

Le chercheur ivoirien Arthur Banga.
Le chercheur ivoirien Arthur Banga. © RFI Mandenkan/ Dr Arthur BANGA
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RFI : Pourquoi parlez-vous d'exception ghanéenne par rapport aux attaques terroristes ? Qu'est-ce qui a expliqué jusqu'ici cette exception ghanéenne, selon vous ?

Arthur Banga : Exception, parce que de tous les voisins du Burkina Faso, c'est le seul pays qui n'ait pas connu d'attaque terroriste à ce jour, donc, c'est une exception. Ça peut s’expliquer par le sens stratégique qu'avaient donné les groupes au Ghana, qui était d'abord une zone de transit, une zone de repli. Mais aujourd'hui, les transformations, les difficultés qu'ils connaissent au Burkina et la volonté des terroristes d'agrandir leurs zones d'influence questionnent cette exception-là.

Donc, aujourd'hui, le Ghana est plus qu'une zone de transit ou une zone de repli. Qu'est-ce qu'il est devenu ?

Aujourd'hui, le Ghana fait partie des ambitions des groupes stratégiques des groupes terroristes, notamment du JNIM, qui n'a pas hésité à confier la mission à Jafar Dicko, le frère de Malam Dicko, qui est le premier vrai chef terroriste du Burkina Faso.  Il a pour mission, justement, d'implanter les groupes au Ghana, au Togo. Donc aujourd'hui, on est passé d'une zone de repli, d'une zone de transit, à une zone opérationnelle en quelque sorte.

Mais ce qu'on sait si d'ores et déjà, les chefs djihadistes utilisent le territoire ghanéen ?

Ils avaient déjà fait des missions exploratrices. Depuis le début des années 2016-2017, ils avaient décidé, comme on l'a dit, de faire du Ghana une zone de transit. Début février (2023), il y a eu des attaques sur un pont avec usage d'engins explosifs. Ça ressemblait beaucoup aux méthodes des groupes terroristes au Mali, au Burkina, etc. Ce qui fait penser, même au ministre de la Défense ghanéen, qu’on a là une situation qui est beaucoup plus préoccupante.

Vous le disiez, certains groupes ont déjà envoyé des gens sur place, qu'est-ce qu'on sait, ou qu'est-ce qu'on devine de leur projet pour le Ghana ?

Quand Amadou Koufa a réalisé un discours dans lequel il a appelé tous les peuls à se réunir, il a cité le Ghana dans ce discours. Et aujourd'hui, de façon plus concrète, les groupes ont défini le Ghana comme une zone opérationnelle…

Ça veut dire qu'ils vont essayer de recruter aussi au Ghana ?

Il recrutent déjà. Le Ghana est déjà une terre de recrutement. On a retrouvé des Ghanéens en Libye, également au Mali, en train de faire des attentats. Donc les groupes recrutent déjà au Ghana depuis des années.

Vous nous indiquez dans votre note que les terroristes exploitent des connexions familiales et religieuses entre le Burkina Faso et le Ghana. Quelles sont-elles ces connexions ?

Le nord-est de la Côte d'Ivoire, la région des cascades (au Burkina Faso.- NDLR), le nord du Ghana, et même la région des savanes au Togo… C'est une zone où on va retrouver pratiquement les mêmes groupes ethniques, qu'ils soient à tendance sénoufos ou peuls. Et donc, il y a un continuum sociologique, ethnique et religieux qui est parfaitement exploité par les groupes terroristes.

Quelles sont les fragilités, justement, qui sont exploitées par les groupes jihadistes pour recruter ?

Le Nord, c'est la zone la plus pauvre du Ghana. Les routes sont quasiment impraticables. Le chômage des jeunes est beaucoup plus élevé dans les zones du nord du Ghana qu'ailleurs. Ensuite, il y a une question ancienne de chefferie : il y a beaucoup de conflits fonciers, de conflits autour des chefs de tribu ou des chefs de village dans cette zone, qui opposent des sous classes de tribus. Et tout ça est parfaitement exploité par les groupes terroristes.

Comment est-ce que vous évaluez la réponse ghanéenne à cette menace ?

Je pense que l'État ghanéen comprend. Déjà, ils étaient à la base de l'initiative d'Accra pour donner une réponse régionale plus forte. Aujourd'hui, ils comprennent la nécessité de renforcer la réponse sociale et la présence militaire. Le ministre de la Défense ghanéen s'en est ouvert devant le Parlement, c'est déjà très intéressant d'avoir une prise de conscience dans les pays où les groupes terroristes sont rapidement incrustés. Au Mali, au Burkina, il y a eu d'abord un déni de réalité. L'avantage dans certains pays, notamment les pays côtiers, c'est qu'il y a cette prise de conscience de la réalité de la menace.

Vous parliez tout à l'heure d'un continuum dans le nord des différents pays côtiers. Qu'est-ce que cela veut dire, ce ciblage du Ghana par les groupes terroristes pour les pays voisins, et en l'occurrence le Togo et la Côte d'Ivoire ?

Il faut absolument une réponse régionale, elle est indispensable aujourd'hui. Parce que les groupes, justement, font fi de ces frontières. On pouvait penser que la différence historique d'un point de vue colonial, d'un point de vue de la langue officielle, pouvait épargner relativement le Ghana. Aujourd'hui, non, la décision est de considérer le Ghana comme le Togo, le Bénin, la Côte d'Ivoire, et donc de pouvoir agir dans cette zone-là… avec justement cette facilité qu'il y a, à travers des frontières poreuses, à travers la pratique d'un orpaillage et d'un banditisme déjà transnational et à travers des connexions familiales religieuses qu'on a évoquées tout à l'heure.

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