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«Lumumba, le retour d’un héros» : le documentaire de Benoît Feyt et Quentin Noirfalisse est en salle

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Ce jeudi 8 juin, sort à Bruxelles le documentaire de Benoît Feyt et Quentin Noirfalisse : Lumumba, le retour d’un héros, tourné à l'occasion du rapatriement de la dépouille de l'ancien Premier ministre congolais en RDC l'an dernier. Le film est projeté dans un cinéma de la capitale belge, avant, espèrent ses auteurs, d'être montré en République démocratique du Congo. Claire Fages a rencontré Benoît Feyt, l'un des réalisateurs.

Le cercueil contenant la dépouille du héros national de la RDC, Patrice Lumumba, est présenté à Shilatembo devant la statue hommage, le 26 juin 2022.
Le cercueil contenant la dépouille du héros national de la RDC, Patrice Lumumba, est présenté à Shilatembo devant la statue hommage, le 26 juin 2022. © Paulina Zidi/RFI
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RFI : Benoît Feyt, vous avez consacré un documentaire à Lumumba, qui s’appelle : Lumumba, le retour d’un héros, à l’occasion du retour des restes de cet homme politique congolais, qui a été l’artisan de l’indépendance du pays et qui a été assassiné en janvier 1961. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé au cours de cette tournée, qui est comme un pèlerinage de sa famille, à l’occasion du retour de ses restes, c’est-à-dire de sa dent ?

Benoît Feyt : Ce qui était assez frappant, et même surprenant, pour nous, c’était de réaliser que finalement, il n’y avait pas un grand engouement populaire au Congo, mise à part, peut-être, le passage par son village natal, Onalua, dans la province tout à faire reculée du Sankuru. Là, il y avait beaucoup de monde, parce qu’en fait, il ne se passe tellement rien dans cette région et que cet événement était un petit peu l’événement du siècle. Par contre, quand on est passés par les autres villes comme Kisangani, qui était le bastion politique de Lumumba, comme Shilatembo, qui était le lieu de son assassinat, et Kinshasa, la capitale, où il a finalement été inhumé par les autorités congolaises, l’engouement populaire était assez factice. Il y avait des gens qui étaient là avec des drapeaux pour soutenir des partis politiques, mais on sait bien qu’au Congo, ces gens reçoivent une petite rétribution pour venir là. Et d’ailleurs, après une heure ou deux, les gens disparaissent et la dépouille de Lumumba s’est trouvée bien seule à tous ces endroits.

Ce qui est très étonnant, c’est qu’en fait, ses deux compagnons ont été oubliés dans ces commémorations officielles. On sent que ça choque énormément les descendants de ces deux personnalités politiques assassinées qui étaient des compagnons de Lumumba.

Oui, c’était une des volontés de Quentin et moi, de sortir du créneau officiel qui était présenté par les autorités congolaises, pour aller interroger ceux qui étaient absents, notamment les fils et filles, petits-fils de Maurice Mpolo et de Joseph Okito, qui étaient donc les deux compagnons de route de Lumumba, qui ont été assassinés avec lui, qui ont également été démembrés, dont les corps ont également été dissous dans l’acide, et malheureusement pour eux, il ne reste absolument aucune trace de leurs corps. Est-ce que ce manque de traces justifie une non-inhumation ? Évidemment la réponse des familles c’est non, elles auraient souhaité être associées à ces cérémonies, elles ne l’ont pas été réellement, elles ont obtenu une petite médaille en cours de route, mais ce qu’elles souhaitent ces familles aujourd’hui, c’est une inhumation en bonne et due forme, avec également un mausolée, pour que ces deux compagnons de route de Lumumba puissent eux-mêmes être honorés et faire partie de la mémoire collective congolaise.

Est-ce que le fait qu’on ait choisi uniquement Lumumba, parce que, peut-être c’est plus vendeur, signifie qu’il y a eu une récupération politique par les autorités congolaises de ce rapatriement des restes de l’homme de l’indépendance ?

C’est en tout cas l’avis de la fille de Maurice Mpolo, Françoise Mpolo, que nous avons interviewée à Kinshasa et qui nous a dit cette phrase très très forte : « Si les autorités congolaises avaient voulu inhumer Lumumba par amour pour Lumumba, elles auraient aussi pensé à inhumer ses deux compagnons de route. Mais le problème, c’est que Lumumba, au Congo, est devenu un nom commercial. » Ce sont ses mots. Et c’est pour ça que toute la classe politique se dit lumumbiste, parce qu’en fait, derrière, il y a évidemment une volonté de récupérer l’image de Lumumba, dans un contexte où la situation au Congo est très difficile, et pour les autorités, c’était une façon de mettre une petite médaille à leur blason.

Les descendants justement de Lumumba estiment que son héritage n’a peut-être pas été compris. Qu’est-ce qui reste finalement de l’héritage de Lumumba en République démocratique du Congo aujourd’hui ?

Le projet politique de Lumumba, c’était tout d’abord l’unité nationale, c’était ensuite la justice sociale, c’était aussi permettre de lutter contre toutes les divisions internes au Congo, de type ethnique, culturelle, religieuse, ou autre. C’était vraiment créer une unité nationale. Quand on observe l’état du Congo aujourd’hui, les frontières sont poreuses, on voit plusieurs armées qui occupent une partie du territoire congolais, on voit l’état d’extrême pauvreté de la population congolaise, l’enrichissement assez scandaleux des élites congolaises, on ne peut pas dire qu’il y ait une justice sociale au Congo non plus. Et, en ce qui concerne l’unité nationale, la lutte contre les divisions ethniques et régionales, ce n’est pas du tout le cas, on voit que c’est encore une des grandes lignes de fracture de la politique congolaise, qui détermine même la composition des gouvernements.

Les descendants de ces trois personnalités assassinées réclament justice, est-ce que c’est possible ? On voit que les témoins de cette affaire disparaissent les uns après les autres…

Le grand problème, c’est que les véritables maitres d’œuvre de l’assassinat de Lumumba, ils sont tous morts, il ne reste plus aujourd’hui que des deuxièmes ou des troisièmes couteaux, on ne parle pas de ministres mais on parle de conseillers, et parmi tous ces conseillers, la famille en a identifié dix qu’ils poursuivent en justice, mais le temps de la justice étant tellement long, neuf de ces dix personnes sont déjà décédées, il n’en reste plus qu’une aujourd’hui, à savoir Étienne Davignon, qui a nonante ans (90 ans) passés, et vu la vitesse à laquelle avance la justice en Belgique, il y a de fortes chances qu’il ne soit finalement jamais inquiété, ce qui amène la fille de Patrice Lumumba, Juliana Lumumba, à nous dire dans ce film que cet assassinat reste impuni. Il n’y a ni assassin congolais, ni belge, aucun nom n’a été donné. Et là, ça renvoie la Belgique à sa responsabilité historique, on n’a jamais voulu en Belgique inquiéter les responsables de l’assassinat de Lumumba, on les a laissés mourir de vieillesse, bien tranquillement, et aujourd’hui, c’est l’impunité.

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