« Mádibá », le dernier opus de Blick Bassy: l’appel de l’eau et la soif d’Histoire
Publié le :
Le chanteur camerounais Blick Bassy vient de sortir son dernier disque Mádibá. Un album qui interpelle sur l’état de la nature. Et il a également été nommé en début d’année avec l’historienne Karine Ramondy à la tête de la Commission mémoire sur la guerre d’indépendance au Cameroun. Le 26 juillet 2022 à Yaoundé, lors d’une conférence de presse aux côtés de Paul Biya, Emmanuel Macron avait annoncé sa volonté de « faire la lumière » sur le rôle de la France au Cameroun entre 1945 et 1971, et pris « l’engagement solennel » d’ouvrir les archives françaises « en totalité ». L’appel de l’eau et la soif d’histoire, Blick Bassy est notre invité.
RFI : Mádibá, c’est le nom de votre cinquième album, référence à Nelson Mandela. Mais mádibá, c’est aussi l’eau en langue douala au Cameroun. Est-ce qu’on peut prendre par exemple une chanson comme « Hola Mè » ?
Blick Bassy : « Hola Mè », c’est quelqu’un qui se retrouve dans des conditions terribles face à un manque crucial d’eau, et personne n’appelle à l’aide.
L’écosystème est en danger au Cameroun ?
J’ai fait différents voyages, notamment dans mon village, Mintaba, et je me suis rendu compte que, par exemple, la rivière dans laquelle je me baignais avec mes cousins, mes cousines, lorsqu’on était adolescents dans le village, aujourd’hui de cette rivière ne reste qu’une espèce de filet d’eau. Pour moi, au-delà de sensibiliser sur la question et de rappeler l’importance d’avoir un rapport équilibré avec le vivant dans son ensemble, il y a une véritable réalité qui est qu’il y a de moins en moins de personnes qui ont accès à l’eau.
La culture du cacao est fondamentale au Cameroun, elle est aussi très destructrice, notamment pour l’environnement, l’écosystème, et la pollution de l’eau. L’auteur Samy Manga parle de « colonialisme vert », est-ce que cette expression vous parle ?
Oui, effectivement, Samy Manga a complètement raison. Moi, c’est des discussions que j’ai eues il y a très peu de temps avec une association créée par mes cousins au village. Je leur ai posé la question : « Selon vous, entre le cacao et le plantain, qu’est-ce qui vous rapporte le plus ? » De manière unanime, ils m’ont tous répondu : « Le cacao ». Je leur ai posé la question : « Pourquoi vous travaillez le cacao ? » Ils me disent que c’est parce que leurs parents ont travaillé le cacao, leurs arrière-grands-parents ont travaillé le cacao, et je leur demande : « Est-ce que vous consommez le cacao ici ? » Ils me disent : « Non ». Effectivement, la culture du cacao n’a vraiment pas de sens chez nous, puisqu’en plus, le prix est fixé par d’autres. Donc je pense qu’il y a un vrai travail de décolonisation. Je me suis rendu compte que juste en posant ces questions-là, j’avais complètement déstabilisé leur manière de faire, leurs habitudes, et ils se sont posés des questions, ils ont commencé à se questionner à partir de ce moment-là.
Vous avez été nommé en février dernier à la Commission mémoire avec Karine Ramondy, avec l’objectif justement de travailler sur la période 1945-1971. Où est-ce que vous en êtes aujourd’hui ?
Ma partie à moi est de parcourir l’étendue du territoire camerounais pour aller rencontrer des témoins vivants, directs ou indirects, d’enregistrer le maximum d’archives. Je me rends compte en faisant ce travail -que nous avons commencé depuis trois mois- qu’on arrive à donner la parole aux personnes qui depuis le départ n’ont jamais parlé de manière officielle de cette histoire, et ce travail psychothérapeutique est essentiel, parce qu’à chaque fois que je finis de faire une interview, je vois comment les personnes se sentent libérées ; je parle non seulement des personnes au Cameroun mais également des enfants, des soldats français, parce qu’ils ont envie de se libérer. Il y en a qui ont vécu de manière directe cette histoire avec des parents qui participaient à ces massacres et qui donc avaient urgemment besoin de parler. Cette mission est essentielle.
Est-ce que vous auriez un exemple à nous transmettre, à nous donner, d’enregistrement où vous, vous avez entendu justement cette parole qui se libère, qui se dit pour la première fois ?
Ma mission aujourd’hui, malheureusement, ne me permet pas de pouvoir sortir des éléments, parce qu’elle est confidentielle, mais je peux vous assurer que vraiment, il y a des témoignages très très très puissants, très forts et parfois c’est très très très dur d’écouter et de voir des personnes de 90 ans pleurer encore aujourd’hui, et donc le fait d’en parler à voix haute, parce que moi, mon grand-père notamment, qui était un résistant de cette période, lorsqu’il m’en parlait il y a quelques années, il chuchotait, donc les gens encore aujourd’hui continuent à chuchoter, malgré le fait que je leur dise que c’est une mission officielle, « vous pouvez parler à voix haute ». Donc on voit bien qu’il y a eu un gros traumatisme, et pour moi, l’idée, c’est de permettre à ces gens-là vraiment de pouvoir laisser aussi un héritage à travers leur participation, à travers leurs témoignages, et que ces éléments d’information nous permettent tout simplement d’établir réellement les faits. Voilà, pour moi c’est vraiment une opportunité incroyable de pouvoir participer quelque part à l’avancée historique de mon pays.
Ça, c’est pour le terrain au Cameroun. Les autorités françaises avaient promis de vous obtenir des habilitations secret défense pour avoir accès aux archives du ministères des Armées en France, est-ce que c’est le cas ?
Si je me fie à ce que ma co-présidente, Karine Ramondy, dit, c’est que le travail a commencé et son équipe est composée de quinze historiens camerounais et français qui sont sur le terrain, qui sont en train de travailler sur les archives. Oui, ça veut dire que la France a tenu parole, et j’espère que jusqu’à la fin de la mission, son équipe et elle auront accès à toutes les archives, je n’ai pas de doute.
Revenons sur votre album qui vient de sortir. Le dernier titre de cet album Mádibá s’appelle « Lep », que dit cette chanson ?
Dans cette chanson, « Lep », je rentre dans la peau d’un chat qui fait appel à un éléphant afin qu’il vienne lui donner un coup de main pour bloquer le passage aux humains qui vont polluer la dernière source d’eau qui reste, et donc, ce qui est intéressant, c’est que j’espère qu’avec l’art nous allons pouvoir apporter d’autres perspectives pour sensibiliser sur ces différentes questions parce qu’encore aujourd’hui, on a l’impression que les écolos, c’est un parti politique. Pourtant, nous sommes chacun de nous un élément écologique et ce n’est pas un parti politique, c’est l’ensemble du vivant.
Blick Bassy sera en concert en France au festival Métis Plaine Commune en région parisienne le 8 juillet.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne