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Rémy Rioux (DG AFD): un nouveau pacte financier mondial pour la transition énergétique

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D’un côté, les pays du G7, de l’autre les Brics… Le système financier international est de plus en plus éclaté et de moins en moins adapté aux besoins des pays du Sud, qui doivent financer leur transition énergétique. C’est pourquoi la France accueille jeudi 22 juin un sommet sur le « nouveau pacte financier mondial ». Objectif des 80 pays participants : réformer le FMI et la Banque mondiale et trouver de nouveaux financements innovants. À la manœuvre, le président Emmanuel Macron et le Directeur général de l’Agence française de développement (AFD), Rémy Rioux. Mais ce projet est-il vraiment réaliste ? Le patron de l’AFD répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Le PDG de l'Agence française de développement (AFD), Rémy Rioux, le 3 mars 2023 lors du Forum économique franco-angolais, à Luanda.
Le PDG de l'Agence française de développement (AFD), Rémy Rioux, le 3 mars 2023 lors du Forum économique franco-angolais, à Luanda. AFP - JACQUES WITT
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RFI : Il y aura beaucoup de chefs d’État africains et asiatiques ce jeudi au sommet de Paris, parce que, oui, ils sont prêts à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans leur pays - on pense par exemple au charbon en Afrique du Sud -, mais à condition que la solidarité financière soit au rendez-vous. Alors quelles réformes peuvent être lancées ce jeudi pour libérer de l’espace budgétaire ? 

Rémy Rioux : Africains, Asiatiques, Latino-américains - le président Lula sera présent -, Européens aussi bien sûr, la secrétaire au Trésor américain aussi sera là, le Premier ministre chinois… Donc oui, ça va être une discussion globale, structurelle. Vous vous souvenez peut-être, un sommet avait eu lieu en mai 2021 qui portait sur les économies africaines dans la crise Covid-19, vraiment au cœur de la crise. Là, le souhait des autorités françaises, c’est d’avoir une discussion plus vaste encore et plus structurelle. Comment est-ce qu’on peut entrer dans un nouveau pacte financier qui crée plus de confiance ? On espère qu’il en sortira quelque chose de très positif.

Alors vous parlez du sommet de Paris d’il y a deux ans au sujet des économies africaines, Emmanuel Macron avait promis aux pays du Sud quelque 100 milliards de dollars par an, grâce à une réallocation des droits de tirages spéciaux du Fonds monétaire international (FMI). Où est-ce qu’on en est ?

Alors, on va beaucoup parler des engagements pris, effectivement. Nul doute que beaucoup de chefs d’État vont demander où on en est. Et je dirais qu’il y a 200 milliards dans la discussion internationale : il y a les 100 milliards du climat, qui datent de 2009, mais l’Accord de Paris de 2015 leur a redonné vigueur, et il faut les atteindre. Donc on aura, je pense, des éléments de réponse cette semaine sur ce point-là. Et puis, il y a le deuxième 100 milliards, c’est la réallocation, le prêt entre États de droits de tirages spéciaux du FMI. Donc là, la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva sera là, le nouveau président de la Banque mondiale, Ajay Banga, fera sa première sortie cette semaine. Ils vont nous faire le point sur cela et j’espère bien qu’on arrivera par ce moyen à créer la confiance, parce que le sujet du sommet, c’est aussi de faire plus, c’est aussi d’ouvrir une nouvelle discussion financière internationale, qui, notamment, embarque toutes les banques publiques de développement, avec une plus vaste architecture financière, qui mobilise plus d’investissements privés.

Alors deux fois 100 milliards, c’est bien, mais apparemment, Rémy Rioux, c’est une goutte d’eau, d’après plusieurs experts. Il faudrait quelque 2 000 milliards de dollars d’ici 2030 pour permettre aux pays du Sud d’atterrir dans un monde décarboné.

L’intuition du président de la République Emmanuel Macron, c’est d’avoir une discussion entre chefs d’État en fait, c’est-à-dire au plus haut niveau politique, en particulier parce qu’il faut redéfinir un cadre de référence qui n’oppose plus le développement et la lutte pour le climat, pour la biodiversité. Donc on a vraiment besoin que les chefs d’État disent notamment aux organisations internationales compétentes d’imaginer un cadre où on ait deux politiques publiques, l’une vraiment de solidarité pour les plus vulnérables, qui bénéficient d’une garantie de financement, le climat et le développement ensemble. Et une autre, beaucoup plus vaste, qui mobilise les marchés financiers, le secteur privé, j’allais dire autant que possible, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et je crois que la France, les autorités françaises, avec tous les partenaires, veulent mettre dans cette discussion de l’ambition, une redéfinition finalement du cadre.

Parmi les solutions qui vont être mises sur la table à ce sommet de Paris, il y a les financements innovants. À l’ONG Oxfam, Cécile Duflot plaide pour une nouvelle taxe sur les compagnies pétrolières et gazières. À l’ONG One, Najat Vallaud-Belkacem prône la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières, qu’on a appelée à une époque la taxe Tobin. Quelle est, à vos yeux, la piste la plus prometteuse ?

Alors si cet événement se passe à Paris, je pense que c’est parce qu’il y a quand même un pays, la France, qui, sur les différents sujets que vous indiquez, est au rendez-vous. Vous avez vu qu’on est passés à 0,56 % de notre richesse nationale, comme annoncé en 2017 par le président, en aide publique au développement. Et puis, ces taxes internationales, on les a déjà mises en place en France. On a une taxe sur les transactions financières, vous savez sans doute qu’elle a rapporté l’année dernière presque 2 milliards d’euros [1,7 milliards, plus précisément], et un tiers du produit de cette taxe est réaffecté à la solidarité internationale.

Il y a une discussion très intéressante dont on va parler cette semaine et qui se poursuivra à l’Organisation maritime internationale, donc on va aller là où c’est le plus prometteur, probablement le transport maritime, c’est une piste d’avenir.

À ce sommet de Paris, la Chine sera représentée par son Premier ministre, ce qui est bon signe, mais beaucoup disent que la Chine ne fait pas assez d’efforts pour le climat. Qu’est-ce que vous attendez de Pékin cette semaine ?

C’est très important, évidemment, dans la géopolitique actuelle, malgré les vagues que la guerre en Ukraine et l’agression russe diffusent dans le monde entier, je crois que c’est très très important de créer des lieux, un peu ad hoc, en l’occurrence. Les Américains ont été très actifs dans la préparation de ce sommet : encore une fois la secrétaire d’État [au Trésor américain] Janet Yellen, sera présente. Et puis, les Chinois : j’étais avec le président Macron en Chine, on y est passés fin mars, il a obtenu à cette occasion effectivement une représentation de très haut niveau des autorités chinoises. Elles sont attendues sur un certain nombre de sujets, vous l’avez noté, la dette en particulier. Il faut qu’on trouve un cadre commun de gestion de la dette. Espérons qu’on trouve une solution, en particulier pour un pays qui est en défaut depuis 2020, je crois, un pays démocratique, un pays qui s’appelle la Zambie. Donc comment cette force-là, on l’amène dans un schéma collectif, dans un schéma multilatéral ? C’est ça, le sens du sommet.

Oui mais, Rémy Rioux, vous savez bien que la Chine serait encore plus coopérative s’il y avait un rééquilibrage dans la gouvernance du FMI et de la Banque mondiale. Elle veut une plus grande place dans le tour de table des actionnaires, or les Américains bloquent. Est-ce que ce n’est pas ça, l’impasse ?

Finance en commun, c’est que tout le monde ait sa place dans un cadre multilatéral, où tout le monde se sente à l’aise. Donc ça peut passer, à un moment, ça ne serait pas la première fois, par des rééquilibrages dans la gouvernance de ces institutions faîtières, celles qui sont tout en haut : les Nations unies, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Et puis via l’AFD, via ce réseau dont je vous parle Finance en commun [Finance in common], c’est le rassemblement des 550 banques publiques de développement, depuis la Banque mondiale jusqu’à la Banque de développement du Rwanda.

Je pense qu’on peut créer, je l’espère, plus de confiance. Vous savez, Dilma Rousseff, l’ancienne présidente brésilienne, maintenant elle est devenue la présidente de la New development bank - qui est la banque de développement des Brics qui est en train… Vous savez, les Saoudiens se sont demandés s’ils n’allaient pas rejoindre cette banque. Les Saoudiens seront là d’ailleurs, au sommet, avec les faits de richesse incroyables qu’ils connaissent aujourd’hui.  Donc ça va être un système plus composite en fait qui va émerger.

La question c’est : est-ce qu’il va se fragmenter, voire est-ce qu’il va se faire la guerre ? En fait, est-ce qu’il va s’opposer ou est-ce qu’on est capable de le rassembler dans un schéma à l’échelle, un schéma puissant et collectif ? C’est ça, je crois, le plus intéressant et c’est ça dont on va parler cette semaine à Paris.

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