Le grand invité Afrique

Bart Ouvry (Africa Museum en Belgique): «Ce que veulent les Africains et moi, c’est regarder vers l’avenir»

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Il a pris le mois dernier la direction du plus grand musée consacré à l'Afrique centrale au monde, l'Africa Museum à Tervuren, près de Bruxelles. Quelle doit être la vocation de l'Africa Museum aujourd'hui ? Le Belge Bart Ouvry, ancien ambassadeur de l'Union européenne au Mali est notre invité.

Bart Ouvry, directeur général de l'Africa Museum, à Tervuren en Belgique.
Bart Ouvry, directeur général de l'Africa Museum, à Tervuren en Belgique. © Claire Fages / RFI
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RFI : Vous avez été diplomate pendant plus de 30 ans, et les 10 dernières années ambassadeur de Belgique au Kenya, haut-représentant de l’Union européenne en République démocratique du Congo, puis au Mali, mais vous avez déclaré, lorsque vous avez été nommé directeur général de l’AfricaMuseum, que ce serait le travail de votre vie. Qu’est-ce qui vous a motivé dans cette aventure ?

Bart Ouvry : Vous savez, en Afrique, j’ai fait beaucoup de coopération : coopération scientifique, coopération culturelle, et j’ai trouvé que c’était une manière d’arriver au cœur des questions, mais aussi de toucher les cœurs des hommes et des femmes. Pour moi, c’est vraiment l’une des meilleures manières pour construire une relation entre l’Europe et l’Afrique, c’est la culture, c’est la science, parce que là, il y a un intérêt réciproque, il y a une relation gagnant-gagnant. Je crois beaucoup dans la mission de ce musée, qui est une institution scientifique, qui est aussi un musée qui veut permettre aux Africains de reconstruire leur vision sur le passé.

Justement, le musée de Tervuren fête ses 125 ans, c’était le musée royal du Congo Belge puis de l’Afrique Centrale, un musée construit à la gloire de la colonisation. Il fête aussi les cinq ans d’une rénovation opérée par votre prédécesseur, Guido Gryseels, pour intégrer enfin le point de vue des victimes de la colonisation. Doit-on aller plus loin ? Quelle doit être la vocation de l’AfricaMuseum aujourd’hui ?

Pour moi, c’est changer notre pensée, c’est changer notre pensée en tant qu’ancienne puissance qui a colonisé un énorme pays, le Congo, mais aussi le Rwanda, le Burundi. Nous devons voir en face cette réalité, mais ce que veulent les Africains et ce que je veux aussi, c'est regarder vers l’avenir : les arts contemporains, la culture dans les villes, les sapeurs congolais, il faudrait une place pour ça. Pour moi, ce doit être un musée évolutif, c’est un musée qui doit devenir une référence sur un certain nombre de thèmes. On vient d’inaugurer une salle sur le racisme. Nous ne sommes pas que des consommateurs, des gens qui consomment des objets, nous avons aussi une mission sociétale. Je crois qu’il y a à peu près 70 doctorants qui travaillent avec le musée, et donc notre objectif aussi, c'est de contribuer à la formation des prochaines élites africaines ou des élites aussi afro-descendantes. Il y aura peut-être un jour une personne afro-descendante qui sera à la tête de ce musée.

Sur les 125 000 pièces de ce musée, 84 000 proviennent du Congo et plusieurs milliers ont été pillées sous la colonisation. La Belgique a été pionnière en décidant que dans ce cas, leur propriété juridique reviendrait aux autorités congolaises. Une commission mixte d’experts belgo-congolaise devra étudier l’origine plus incertaine de certaines pièces. Comment l’AfricaMuseum s’inscrit dans ce mouvement et quelle sera votre contribution en la matière ?

Nous avons déjà aujourd’hui un projet qui veut voir comment nous nous sommes procurés les pièces, c’est un énorme chantier. Nous avons commencé à faire beaucoup de travail, mais une partie de ce travail se fera au Congo, il se fera avec notre partenaire congolais. Comme souvent, quelque part, le processus sera à la limite plus important que les objets. La recherche scientifique nous permettra de voir plus clairement notre propre Histoire, donc c’est quelque chose de bénéfique pour nous en tant que musée, et ça va surtout permettre à deux peuples de se rencontrer et de faire quelque chose en commun.

Mais concrètement, ces objets, est-ce qu’ils vont rester à Tervuren, est-ce qu’ils vont partir en Afrique, est-ce qu’il y aura un mouvement d’œuvres qui sera organisé ?

La loi belge est très claire, ce qui est volé deviendra la propriété de l’État congolais. Est-ce que l’État congolais décidera de nous laisser en prêt certains objets ? C’est possible. Mais ce sera une décision souveraine de l’État congolais. Et d’autre part, ce qui a été acquis légalement peut aussi être un prêt à long terme aux musées africains.

Comment est-ce qu’on pourrait imaginer que ces œuvres soient à nouveau en contact avec les descendants de ceux qui les ont créées finalement ?

Vous savez, on n’a quasiment fait aucune exposition d’objets traditionnels en Europe qui a voyagé. Récemment, à Dakar, on a fait une réunion avec quarante directeurs de musées africains, avec à peu près vingt directeurs de musées européens, et ce qui en ressort, c’est cette volonté de faire vivre le passé. Et donc, suite à cette réunion, avec mes collègues à Dakar, on veut mettre en place une exposition itinérante. Les défis sont énormes parce que vous savez, les normes de conservation en Europe ne sont pas nécessairement les mêmes ou ne correspondent pas aux possibilités en Afrique. Mais je crois qu’il faut vraiment le faire et commencer avec une exposition itinérante, dans plusieurs pays africains, pour montrer les cultures locales, mais que dans beaucoup de ces cultures, il y a des points communs entre plusieurs pays.

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