Najat Vallaud-Belkacem: «La Banque mondiale pourrait prêter trois fois plus qu'elle ne le fait»
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La capitale française accueille, dès ce jeudi 22 juin, un sommet sur l'architecture financière internationale. Plusieurs organisations de la société civile française attirent l'attention sur l'ampleur des défis. Le service de la dette est notamment au plus haut depuis la fin des années 1990. Selon ces organisations, dont l'ONG One, la situation exige de véritables innovations et un changement de la gouvernance financière. Entretien avec Najat Vallaud-Belkacem, la directrice de sa section française. Emmanuel Macron est l'invité de RFI, France 24 et Franceinfo ce vendredi 23 juin à 8h30 (heure de Paris).

RFI : Najat Vallaud-Belkacem, le collectif d’organisations dont fait partie votre ONG, One, est d’accord avec la construction d’un nouveau pacte financier mondial. Où commencent vos divergences avec les autorités françaises ?
Najat Vallaud-Belkacem : Nos divergences commenceraient si ce sommet s’avérait être un moment de blablas et d’aucun engagement précis pour réformer le système de financement international face aux deux défis considérables que sont la lutte contre le changement climatique et le développement. Donc, si ce sommet est un sommet pour rien, là nous serons vraiment en grande divergence. Si ce sommet sert au contraire à réunir des États du Nord et du Sud, des institutions financières internationales, des banques multilatérales de développement, des acteurs publics et des acteurs privés, et avoir une conversation sur les biens publics mondiaux, et des véritables solutions de financement, cela peut être une bonne chose.
D’entrée de jeu, vous faites un constat assez terrible au moment où on parle de projet de transformation de l’architecture financière internationale. Il faut bien constater que les engagements précédemment pris par les pays occidentaux n’ont pas encore été tenus…
C’est le grand reproche que font un certain nombre de pays du Sud au Nord et aux institutions financières internationales : c’est qu’en fait, il y a beaucoup d’engagements pris dans le passé qui ne sont toujours pas atteints. Exemple : les 100 milliards de dollars qui avaient été prévus en 2009 par les pays du Nord pour les pays du Sud pour les aider à affronter le changement climatique. Treize ans plus tard, on ne les a toujours pas atteints. Plus récemment, vous vous souvenez quand le FMI [Fonds monétaire international] a accepté d’allouer ses avoirs de réserve, qu’on appelle les droits de tirage spéciaux, pour aider les pays à faire face à la crise économique post-Covid, les pays riches s’étaient engagés à recycler leurs propres droits de tirage spéciaux vers les pays pauvres qui en avaient le plus besoin à hauteur de 100 milliards, ce n’est toujours pas atteint non plus.
Vous espérez que le sommet puisse permettre de débloquer les choses sur ces deux dossiers ?
J’espère qu’on ressortira de ce sommet en effet avec clairement ces deux fois 100 milliards de dollars quand les pays qui s’y sont engagés se seront définitivement acquittés, et que ce sommet surtout ira bien plus loin, parce qu’aujourd’hui, si on veut vraiment faire face aux besoins de financement pour mener l’adaptation aux changements climatiques ou sortir les gens de l’extrême pauvreté alors que cette dernière n’a cessé de remonter ces trois dernières années, on a besoin évidemment que les États les plus riches contribuent à cela, mais ils le font déjà pour partie avec notamment l’aide publique au développement. On a besoin que les règles du jeu soient modifiées. Les banques multilatérales de développement ont un rôle à jouer qu’elles ne jouent pas à plein aujourd’hui. La Banque mondiale pourrait prêter par exemple trois fois plus d’argent qu’elle ne le fait aujourd’hui aux pays vulnérables ou aux pays intermédiaires.
La Banque mondiale a-t-elle les réserves pour le faire ?
Elle a les réserves pour le faire. Le sujet, c’est : est-ce qu’elle prend suffisamment le risque, est-ce qu’elle est suffisamment réactive, est-ce qu’elle cible suffisamment les pays qu’elle va aider ainsi ? Et la réponse aujourd’hui est non. De la même façon, pourquoi le secteur privé n’est pas plus mis à contribution aujourd’hui pour financer les grands enjeux que sont le climat et le développement ?
Quels sont les instruments financiers innovants que vous défendez ?
Nous, on estime par exemple qu’il y a des secteurs qui sont clairement les grands gagnants de la mondialisation. On pourrait parler de l’extraction fossile, on pourrait parler du transport maritime, on pourrait parler de la finance. Ce sont vraiment des grands vainqueurs de la mondialisation. Pourquoi est-ce qu’on ne les fait pas plus participer à la solidarité internationale ? Donc, nous plaidons pour l’adoption d’une taxe sur l’un de ces secteurs, voire plusieurs.
L’un des problèmes sur lesquels vos organisations attirent l’attention, c’est que le financement de la lutte contre le changement climatique risque d’alimenter le cercle vicieux de l’endettement. En 2020, les dons ne représentaient que 26% des financements climat engagés. Tout le reste donc, c’est de l’endettement…
Oui. Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est qu’en fait, toutes ces crises auxquelles on assiste malheureusement s’alimentent et se renforcent. L’une va nourrir l’autre qui va aggraver la troisième. En fait, c’est un cercle vicieux qui ne s’arrête jamais. Les États les plus vulnérables font face, par manque de moyens budgétaires, en empruntant sur les marchés financiers pour avoir davantage de moyens. Or, quand ils empruntent, ils se mettent dans une situation - surtout quand ils empruntent auprès de créanciers privés à des taux qui sont très élevés - où ils ont le plus grand mal à rembourser. Donc en fait, ce sujet de l’endettement et de surendettement est devenu à nouveau un problème extrêmement criant auquel il faut apporter des réponses structurantes. L’une des choses qui sera évoquée pendant le sommet, c’est la possibilité qu’on adopte ce qu’on appelle « une clause de suspension du paiement des intérêts de la dette » lorsqu’un pays est confronté à une catastrophe climatique grave qui le met vraiment à genoux.
► À lire aussi : Taxe, dette et promesses: ce qui est attendu au sommet pour un Nouveau pacte financier mondial
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