Thierry Vircoulon : «Si le Kremlin prend le contrôle de Wagner, il maintiendra ses opérations»
Publié le :
Si les conséquences des événements de samedi en Russie demeurent encore incertaines, elles se traduiront sur le continent africain où le groupe Wagner sert de prolongement aux intérêts de l’État russe, notamment dans les États où il est implanté (Centrafrique, Mali, Libye, Soudan). Quel avenir pour les opérations de Wagner ? Quels effets sur l’image de la Russie ? François Mazet a échangé sur le sujet avec Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l'Institut français de relations internationales.
RFI : Thierry Vircoulon, cet épisode risque-t-il de déstabiliser les opérations de Wagner en Afrique, selon vous ?
Thierry Vircoulon : Pour le moment, on est dans une grande incertitude sur la destinée du groupe Wagner lui-même, surtout aussi sur la ligne de commandement actuel. Il y a évidemment plusieurs scénarios. Cela peut conduire à un renforcement des opérations du groupe Wagner en Afrique ou à un affaiblissement de ces opérations.
Vous évoquez différents scénarios, quels sont-ils ?
En fait, tout dépend de savoir qui va être chef du groupe Wagner aujourd’hui. Est-ce que ça va rester Evguéni Prigojine avec toujours le même accord et le même soutien du Kremlin, ce qui me paraît évidemment douteux ? Est-ce que Prigojine va perdre seulement une partie du contrôle du groupe Wagner, en particulier sa mini-armée qu’il a en Russie, et il garderait en échange le contrôle sur les opérations à l’étranger ? Ou est-ce que tout le groupe va passer sous le contrôle du Kremlin et, dans ce cas, il y aura un changement complet d’interlocuteurs ? Et encore, il peut y avoir aussi un quatrième scénario : Prigojine est écarté et le groupe Wagner est démantelé et des compétiteurs pourraient le remplacer dans ses opérations à l’étranger ? Donc, cela fait quand même quatre scénarios possibles. Pour le moment, ils sont tous ouverts.
Pour ce qui est des opérations africaines de Wagner, est-ce que la Russie n’a pas trop à perdre à remettre en cause le fonctionnement actuel ?
Si le Kremlin, par exemple, prend la main sur le groupe Wagner, il maintiendra ses opérations. Mais comme je vous le disais, soit il peut les maintenir à travers le groupe Wagner s’il le contrôle, soit il peut aussi le remplacer par d’autres inventions du même genre. Et on a vu que, depuis quelque temps, il y a un certain nombre de groupes compétiteurs qui sont apparus sur le marché russe.
Que sait-on aujourd’hui du degré de loyauté des cadres de Wagner en Afrique vis-à-vis de Evguéni Prigojine ? Est-ce qu’ils sont nécessairement liés à leur patron ou est-ce qu’ils peuvent tout aussi bien exécuter les mêmes tâches pour le gouvernement ou pour un autre groupe ?
La question, ce n’est pas tant le lien avec Evguéni Prigojine que le lien avec l’État russe, parce que le groupe Wagner fonctionnait et a réussi à fonctionner en Afrique et à s’étendre, en grande partie grâce à l’État russe. Et donc, s’il est privé de ce soutien, il devient un groupe de mercenaires standard si je puis dire, complètement privé. Et là, je pense que ça va poser un certain nombre de problèmes sur sa logistique et sur ses finances. Et on voit d’ailleurs actuellement qu’il semble avoir atteint une limite de capacité. Et du coup, on voit un peu difficilement comment, sans le soutien de l’État russe, il pourrait maintenir le même niveau d’engagement dans les pays africains où il se trouve.
Quelle réaction peut-on attendre des dirigeants africains qui sont en affaire avec Wagner ?
Pour le moment, ils sont sur le mode « wait and see », [attendre et observer, Ndlr] un peu comme tout le monde, parce qu’on ne sait pas qui dans cette affaire a la main. Quel est l’avenir d’Evguéni Prigojine, et du coup l’avenir de son mini-empire ?
L’image du groupe Wagner n’est-elle pas abîmée auprès de ces dirigeants ou auprès d’autres dirigeants qui seraient tentés de faire appel à ses services ?
Il est clair qu’il y a eu cette tentative de putsch, qui illustre les tensions extrêmement vives qu’il y a en Russie entre le Kremlin, le ministère de la Défense et puis le groupe Wagner. Cela fait peser en effet une très forte incertitude. Les actions du groupe Wagner sont évidemment à la baisse. Ce n’est jamais bon d’avoir un prestataire de sécurité qui semble incertain et qui semble menacé dans son propre pays.
L’image de la Russie aussi est écornée. Est-ce qu’auprès des opinions publiques africaines, ça peut changer quelque chose ? Des Africains qu,i peut-être étaient tentés par l’image de la Russie, vont-ils réaliser que, finalement, il s’agit d’un colosse aux pieds d’argile ?
Le déroulement de la guerre russo-ukrainienne va être fondamental pour le standing de la Russie en Afrique et dans le monde, puisque c’est un pouvoir qui s’est vendu comme étant une grande puissance militaire, et qu’on voit actuellement que cette grande puissance militaire a du mal à se concrétiser et qu’en plus, ses « sécurocrates » sont en train de se battre entre eux. Donc en effet, c’est une image qui n’est pas très bonne. Est-ce que c’est l’image qui sera retenue par l’opinion publique africaine, ou est-ce qu’il faudra qu’il y ait vraiment une déroute militaire russe nécessaire pour la convaincre qu’en effet, la Russie n’est pas la puissance militaire qu’elle prétendait être ?
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne