Départ de la Minusma du Mali: «L’enjeu, c’est un retrait négocié qui évitera un vide sécuritaire»
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Après le coup de force avorté du chef du groupe paramilitaire Wagner, Evgueni Prigojine, il est impossible à ce stade de savoir si cette séquence aura des conséquences sur la présence de Wagner en Afrique. Au Mali, en tout cas, à brève échéance, cela ne changera pas la décision des autorités de transition de mettre un terme à la présence de la Minusma, la Mission des Nations unies dans le pays, alors que la question du renouvellement de son mandat doit justement passer devant le Conseil de sécurité de l’ONU ce 29 juin 2023. La Minusma va-t-elle devoir partir, combien de temps son retrait pourrait-il prendre, quelles conséquences pour le pays et pour l’accord de paix signé en 2015 entre l’État malien et les groupes armés du Nord ? Arthur Boutellis, conseiller à l’International Peace Institute (IPI), enseigne les relations internationales à l’université Columbia de New York et à Sciences Po Paris. Il a lui-même travaillé pendant une quinzaine d’années avec les opérations de maintien de la paix des Nations unies, dont deux années, entre 2013 et 2015, au Mali au sein de la Minusma. Il est notre invité.

RFI : Arthur Boutellis, le Conseil de sécurité de l’ONU examinera le 29 juin 2023 le renouvellement du mandat de la Minusma. Le Mali demande son départ « sans délai. » Le Conseil de sécurité a-t-il d’autres choix que d’acter ce retrait ?
Arthur Boutellis : La décision malienne a pris par surprise le Conseil de sécurité, et certains se sont demandé si la décision était irrévocable ou non. Et puis, il a fallu se rendre à l’évidence, donc les membres du Conseil, maintenant, travaillent à une nouvelle résolution de retrait de la mission.
Justement, combien de temps sera-t-il nécessaire au retrait de la Minusma, et ce temps nécessaire pourrait-il faire l’objet d’un nouveau bras de fer entre les Nations unies et Bamako ?
C’est tout l’enjeu de la négociation, l’adoption d’une résolution qui permettrait un départ rapide mais ordonné de la mission.
L’échelle c’est trois mois, six mois, deux ans ?
Les autorités maliennes, certainement, veulent un départ dans l’année 2024. Simplement, une mission comme ça, étant donné les enjeux logistiques et sécuritaires particuliers au Mali, ça va demander des mois. Je ne vais pas non plus avancer de délai parce que c’est l’objet des négociations et les planificateurs de l’ONU sont en train de réfléchir à ces questions-là. Mais je pense qu’un délai de moins d’un an ne serait pas raisonnable. L’enjeu véritable c’est un retrait négocié qui permettrait d’éviter un vide sécuritaire, mais aussi qui éviterait un divorce entre le Mali et la communauté internationale sur le court et le moyen terme.
Le champ d’action de la Mission onusienne s’était déjà largement réduit au Mali depuis deux ans, avec les interdictions de survol de certaines parties du territoire, les entraves au travail de la section droits de l’homme... Les Nations unies n’auraient-elles pas dû partir avant d’être mises à la porte ?
C’est un peu compliqué, les signaux datent depuis longtemps. Dès le début de la Minusma en 2013, il y avait déjà un décalage entre les attentes du gouvernement et ce que pouvait véritablement apporter une opération de maintien de la paix, étant donné son mandat mais aussi ses capacités. En 2016, le Conseil de sécurité avait adapté le mandat, en demandant aux Casques bleus d’adopter une démarche plus proactive et robuste. Mais en pratique, ça avait eu pour effet de créer des attentes plus importantes encore, auxquelles la mission ne pouvait pas répondre. Le gouvernement de transition malien, plus récemment, avait envoyé une note - en décembre dernier - demandant à nouveau que la mission soit plus offensive et qu’elle augmente son soutien aux forces armées maliennes en particulier, mais aussi qu’elle s’abstienne de ce que le gouvernement du Mali qualifiait de « politisation et d’instrumentalisation de la question des droits de l’homme ». Mais bien sûr, c’est difficile, voire impossible, pour l’ONU de répondre à ces demandes-là. Je pense que la Minusma avait fait beaucoup ces derniers mois pour être encore plus « utile » aux autorités de transition, en termes de projets, en termes d’appui aux forces de défense et de sécurité maliennes, notamment. Mais là encore, les missions de l’ONU ne peuvent pas être là simplement comme fournisseurs de services à l’État hôte, elles ont un mandat du Conseil de sécurité, et elles sont basées sur un certain nombre de principes, dont celui d’impartialité.
Est-ce que ça ne doit pas faire réfléchir au format des missions onusiennes de maintien de la paix ?
C’est vrai que c’est souvent incompréhensible pour beaucoup de Maliens qu’une mission avec autant de moyens ne puisse pas faire plus pour protéger les civils et lutter contre les groupes armés. Cela dit, l’ONU est aussi trop souvent un bouc émissaire facile, et les limites intrinsèques du modèle de maintien de la paix ne doivent pas non plus dédouaner les parties au conflit - les gouvernements maliens successifs, les groupes armés signataires - de toute la responsabilité pour la situation sécuritaire, notamment, dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui. Accuser la mission d’alimenter les tensions intercommunautaires comme ça a été fait au Conseil, c’est très injuste. Les opérations de paix de l’ONU sont là pour créer un espace pour une solution politique nationale, elles ne peuvent pas faire la paix à la place des belligérants et ne sont surtout pas configurées pour faire de la lutte contre le terrorisme, elles ne sont ni mandatées, ni configurées. La publication en mai du rapport sur Moura a aussi certainement froissé les autorités maliennes.
Après la fin de Barkhane ou l’expulsion de l’ambassadeur de France, les autorités maliennes de transition ont à nouveau frappé fort et renforcé l’adhésion de leurs soutiens habituels. Ceci dit, le gouvernement malien s’appuie beaucoup sur la Mission onusienne, y compris pour les déplacements de ses fonctionnaires, notamment dans le Nord, ou même pour l’organisation du référendum constitutionnel qui vient d’avoir lieu… Le jeu n’est-il pas risqué pour Bamako ?
Oui, sans les bases de l’ONU au Nord du Mali, sans les vols réguliers de la Minusma entre Bamako, Mopti, Gao, Kidal, Ménaka, etc., c’est vrai que la présence de l’État malien au Nord, de l’administration, des forces de sécurité et l’intégrité territoriale du Mali, pourraient être mis en cause. Il est fort probable que les administrateurs maliens qui sont actuellement à Ménaka ou à Kidal ne s’y rendent plus étant donné l’insécurité des routes. Les contingents des forces armées maliennes et leurs alliés seront certainement plus exposés en l’absence des Casques bleus à leurs côtés.
Les groupes armés signataires de l’accord de paix de 2015 qualifient le départ de la Minusma de « coup fatal porté délibérément contre l’Accord. » Ont-ils raison de s’inquiéter ?
Ce qu’on sait c’est que la Minusma joue un rôle clé dans le suivi de l’accord. Le gouvernement malien s’est dit prêt à poursuivre la mise en œuvre de l’accord. Mais on voit que les tensions avec les mouvements armés signataires sont montés d’un cran ces derniers mois. Le chef de file de la médiation internationale, donc l’Algérie, siègera au Conseil de sécurité à partir de janvier prochain. Il aura peut-être à cœur de s’impliquer plus pour éviter une déstabilisation qui aurait des conséquences régionales. En tout cas, on a du mal à voir comment ce qu’il reste du processus de paix pourrait tenir sans un minimum de garanties internationales.
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