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Guerre au Soudan: «La quantité de personnes avec un trauma psychologique est gigantesque», selon le HCR

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Au Soudan, cela fait trois mois que le conflit entre deux généraux rivaux a plongé le pays dans une guerre sanglante qui a déjà fait plus de 3 000 morts. Un chiffre probablement sous-estimé selon les experts. Les violences ont poussé trois millions de personnes sur les routes de l’exil selon l’ONU, qui craint un basculement dans un « conflit ethnique » et la « guerre civile totale ». Certains Soudanais trouvent refuge dans les pays voisins comme au Tchad, où jusqu'à 2 000 d’entre eux franchissent la frontière chaque jour. De retour de la frontière soudanaise, notre reporter Carol Valade s'est entretenu avec Laura Lo Castro, représentante du HCR au Tchad. Elle décrit une situation « apocalyptique » et confirme les soupçons de massacres à caractère ethnique commis au Darfour.

Des Sud-Soudanais au centre de transit de Renk, le 16 mai 2023.
Des Sud-Soudanais au centre de transit de Renk, le 16 mai 2023. © AP / Sam Mednick
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RFI : Laura Lo Castro, vous rentrez à peine de la frontière soudanaise, où nous avons pu constater, ensemble, un afflux massif de réfugiés fuyant l’horreur de la guerre. Comment décririez-vous la situation sur place ?

Laura Lo Castro : On a pu être témoins de l’arrivée continue de femmes et d’enfants en particulier. C’était une vision apocalyptique. En plus, il a commencé à pleuvoir. Il y avait une jeune maman qui venait d’accoucher, il y a trois jours, et qui était couverte complètement d’un plastique et qui était en train de faire des mouvements doux pour calmer le petit.

Aujourd’hui, est-ce que vous diriez que le Tchad et ses partenaires, comme l’ONU, sont débordés par cet afflux ?

Tout a commencé avec l’assassinat du « wali » [du gouverneur, NDLR] du Darfour-Ouest, à la mi-juin, et depuis, ça n’a jamais arrêté. Ça a continué et continué, et donc on amène les camions pour faire monter les réfugiés qui se trouvent sans aucun abri à la frontière. Le lendemain, on retourne au même endroit, et c’est déjà plein.

Vous vous rendez depuis le début de la crise, il y a maintenant trois mois, très régulièrement à la frontière. Comment est-ce que vous avez vu évoluer la situation là-bas ? 

C’étaient des réfugiés qui étaient partis surtout par mesure de précaution, parce qu’ils savaient qu’il y avait quelque chose de mauvais qui allait se passer. Mais ceux qu’on a vus à Adré, c’est complètement différent. Parce que là, c’étaient vraiment des victimes de massacres presque systématiques des Massalits. Et surtout, les premiers jours, il y avait énormément de blessés. La quantité de personnes avec des traumas psychologiques est gigantesque, surtout ceux qui ont vu des membres de leur famille massacrés devant leurs yeux. Des personnes qui étaient des professionnels, comme beaucoup de médecins, d’infirmiers, d’enseignants, c’était comme si eux, ils étaient plus ciblés que les autres. Et on nous disait qu’il y avait des cadavres le long des routes, et qu’il y avait aussi beaucoup de gens qui étaient restés derrière, parce qu’ils n’avaient pas la force de marcher jusqu’au Tchad.

Le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies s’inquiète de la tournure ethnique que prennent les massacres au Darfour occidental. Est-ce que c’est quelque chose qui se confirme dans les témoignages qu’on vous a confiés ?

Oui, ça se confirme. Et à certains moments, j’ai vu quand même, aussi, des personnes qui venaient avec des charrettes, et qui avaient l’air un peu mieux portantes et qui pouvaient transporter plus de biens. Et alors, j’ai demandé à mes collègues : « Comment ça se fait ? Est-ce qu’il y a peut-être des réfugiés qui ont réussi à avoir de meilleures conditions ? ». Alors, ils m’ont expliqué qu’il y a certaines ethnies qui n’ont pas été ciblées autant que les autres.

À l’heure actuelle, le nombre de déplacés par le conflit au Soudan dépasse déjà celui de 2003, du début de la guerre au Darfour. Est-ce que vous pensez que les réfugiés vont continuer de venir, encore ?

Tout mène à croire que le flux de réfugiés va continuer. Les personnes qui nous disent « Mais est-ce que vous vous préparez à ça ? », moi, je leur dis, que « nous, on n’a même pas de moyens pour répondre à la crise de maintenant, donc imaginez-vous se préparer pour plus de crises à venir »... Et la réponse humanitaire continue d’être financée à 12%. Bien évidemment, il nous faut beaucoup plus de ressources pour répondre maintenant, et peut-être après commencer à se préparer au pire, plus tard.

Avec quelles conséquences pour l’est du pays ?

Ce sont des conséquences socio-économiques dévastatrices. Parce qu’apparemment, on disait qu’il y avait 1 000 camions pleins de biens qui attendent à Port-Soudan, et qui étaient destinés au Tchad. Dans les marchés locaux, à l’est déjà, on voit qu’il y a beaucoup moins de biens, et que les biens qui sont là, leur prix a doublé, triplé. Il y avait aussi des exportations, le Tchad exportait certains produits agricoles vers le Soudan, et ça, c’est un manque à gagner. À part ça, il y a aussi la peur des autorités que le même conflit interethnique puisse se passer à la frontière, parce que les groupes ethniques sont exactement les mêmes des deux côtés de la frontière, et donc, il y a cette crainte.

Les réfugiés représentent aujourd’hui plus de 4% de la population du Tchad, à titre de comparaison, c’est beaucoup plus que de nombreux pays européens, par exemple, dont des pays donateurs du HCR. Quels messages adresseriez-vous à ces pays donateurs ?

Ne pas amener d’aide pourrait avoir des conséquences catastrophiques aussi sur la stabilité de ce pays, du Tchad. Et tout le monde sait quelles pourraient être les retombées pour tout le Sahel, et pour tous les pays limitrophes. Je me dis, il faut aider maintenant, parce qu’après, entre autres, on pourrait bien évidemment voir un plus grand afflux de migrants et de réfugiés vers l’Europe. Et ici, le Tchad est vraiment un pays trop important pour toute la sous-région. Donc si on ne vient pas en aide, il va probablement imploser.

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