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Nigeria: «Bola Tinubu semble vouloir prendre toute sa place dans le jeu diplomatique régional»

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Bola Tinubu a été désigné le 9 juillet président de la Cédéao, l’organisation sous-régionale. Défense de la démocratie, mise sur pied d’une troïka chargée de réfléchir sur les transitions démocratiques et les questions de sécurité, nomination d’un émissaire pour rencontrer les autorités maliennes, burkinabè et guinéennes… Le nouveau président nigérian a très vite imprimé sa marque. Quelle sera sa marge de manœuvre ? Va-t-il pouvoir renouveler une institution très décriée ces derniers temps ? Francis Kpatindé, spécialiste de l'Afrique de l'Ouest et maître de conférences à Sciences Po Paris, est l’invité de RFI.

Le président nigérian, Bola Tinubu, a été élu président de la Cédéao le 9 juillet 2023 à Bissau. (image d'illustration)
Le président nigérian, Bola Tinubu, a été élu président de la Cédéao le 9 juillet 2023 à Bissau. (image d'illustration) REUTERS - TEMILADE ADELAJA
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RFI : Francis Kpatindé, Bola Tinubu, peut-il relancer la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ?

Francis Kpatindé : Oui, apparemment, il donne le sentiment qu’il peut relancer la machine. Il veut rompre avec l’atonie des deux quadriennats de son prédécesseur. Il semble vouloir prendre toute sa place dans le jeu diplomatique régional.

Le retour du Nigeria sur le devant de la scène diplomatique était souhaité en plus par de nombreux dirigeants ouest-africains.

Absolument. Vous savez, être le pays le plus peuplé d’Afrique, la première économie du continent, confère des responsabilités. Et je n’oublie pas que le Nigeria est candidat à un siège même permanent au Conseil de sécurité de l’ONU en cas d’élargissement.

A peine désigné, Bola Tinubu a tenu un discours très ferme vis-à-vis des juntes militaires actuellement au pouvoir dans la région. Mais que peut changer son arrivée sur un plan politique ?

C’est très important, le poids politique, géopolitique et diplomatique du Nigeria en Afrique de l’Ouest. Quand le Nigeria est enrhumé, comme on dit, c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui tousse. C’est normal que Tinubu veuille peser. Je pense qu’on revient vers le pouvoir de Sani Abacha dans les années 1990 et de Olusegun Obasanjo. Bola Tinubu connaît l’Afrique de l’Ouest parce qu’il y a vécu, il a fait des affaires au Nigeria, certes, mais également en Côte d’Ivoire, au Ghana, en Guinée. Donc, il connait la région, et je pense qu’il veut mettre un terme aux atermoiements du Nigeria ces dix ou quinze dernières années.

Trois pays, le Nigeria, le Bénin et la Guinée-Bissau ont été chargés de réfléchir sur les transitions démocratiques et les questions de sécurité dans la sous-région. Dans ce cadre, Patrice Talon va prochainement se rendre au Mali, au Burkina Faso et en Guinée. Cela veut dire que le président béninois va désormais plus s’impliquer sur les sujets régionaux ?

C’est très intéressant, parce que, jusque-là, le président béninois Patrice Talon était très réservé sur les sommets régionaux, ou même panafricains. Ses relations avec Muhammadu Buhari [l'ex-président nigérian, Ndlr] étaient plutôt tièdes. Et avec Bola Tinubu, il semble plus volontaire à rejoindre pleinement la grande famille diplomatique ouest-africaine. Il a même accepté d’assumer des responsabilités. Il y a une volonté de la part du président Bola Tinubu de renouveler les médiateurs, les missi dominici qui vont dans ces pays avec des résultats plutôt mitigés.

Sur un plan sécuritaire, il est question de relancer la force en attente de la Cédéao. Quels pourraient être ses moyens humains ?

On peut imaginer mettre sur pied une force, l’Ecomog de la sous-région par exemple, en puisant dans le contingent ouest-africain qui est présent actuellement déjà dans la Minusma [la mission des Nations unies au Mali, Ndlr]. La Minusma est en train de passer la main. Ceux-ci n’auront plus qu’à juste troquer leurs casques bleus contre les casques blancs de la Cédéao.

Mais la Minusma était financée par les Nations unies. La force en attente de la Cédéao ne sera financée que par la Cédéao. De quels autres moyens financiers pourrait-elle disposer ?

Cette force sera financée par le Nigeria, qui n’est pas un petit pays, il faut le rappeler. Et le président béninois insiste beaucoup sur un point : c’est que les États de la région doivent mettre la main à la poche. Donc, il faudra le Nigeria, des pays comme le Ghana, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, qui sont les mieux lotis de la région, et qui doivent mettre la main à la poche. Il en va de la sécurité de l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest.

Et on pourrait imaginer, selon vous, un financement peut-être onusien ou européen, voire d’une manière générale de la communauté internationale ?

Je crois que ça arrangerait même la communauté dite internationale, parce que ça allégerait son implication et les suspicions que ça entraîne, et pousser plutôt à une force régionale. L’Ecomog, qui a été créée en 1990, qui a compté jusqu’à 20 000 soldats et officiers, a contribué à amener la paix au Liberia, en Sierra Leone, et même en Côte d’Ivoire. Donc, ce sont des soldats qui connaissent la région. Et je crois que si on trouve un financement, si le président nigérian décide vraiment de mettre le paquet, comme l’ont fait certains de ses prédécesseurs, ça peut être une solution qui sauverait la face de tout le monde.

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