Niger: «Il n'y a pas de blocage de la démocratie, c'est un cas de figure différent des coups d'État précédents»
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Au Niger, le chef d'état-major général des armées, le général Abdou Sidikou Issa, a annoncé hier, jeudi, qu’il ralliait les putschistes. Ces derniers avaient annoncé avoir pris le pouvoir au soir du 26 juillet. Des militaires qui ont suspendu des institutions et fermé les frontières. Comment analyser la situation sur place ? Pierre Firtion fait le point ce matin avec Jean-Pierre Olivier de Sardan, directeur de recherche au CNRS et professeur associé à l’université Abdou Moumouni de Niamey.

RFI : Jean-Pierre Olivier de Sardan, le chef d’état-major des armées, le général Abdou Sidikou, a apporté le 27 juillet 2023 son soutien aux militaires putschistes. Cela veut-il dire que le coup d’État est consommé ?
Jean-Pierre Olivier de Sardan : Je n’en ai aucune idée, personne n’en a encore aucune idée de si la situation actuelle est définitive ou pas. Il y a très très peu d’informations qui filtrent. Les différentes parties font très peu de déclarations. Donc apparemment,ça s’est dénoué dans un sens qu’on n’imaginait pas du tout, même après le début de la révolte - ou de la mutinerie - de la Garde présidentielle, on n’imaginait pas forcément que ça se termine comme ça. C’est assez étonnant, personne ne sait très bien comment ça va se terminer.
Visiblement, au sein de la classe politique, une partie de l’opposition se serait ralliée aux putschistes.
Oui, j’en ai entendu parler, mais là aussi, ce n’est pas encore très officiel, on a peu de choses, on a tel ou tel parti qui déclare ça, donc on ne sait pas. Ce qui est vrai, c’est que le pays était quand même assez divisé, clivé, surtout après les deux mandats de Mahamadou Issoufou. Il y a donc une partie de l’opinion publique, ou de la population, qui est très hostile au PNDS [Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, Ndlr], même si Bazoum se démarquait quand même par différents aspects de ce qu’avait fait son prédécesseur et il avait réussi à acquérir, peut-être, plus de popularité que son prédécesseur. Donc c’est probable qu’une partie de l’opposition va se rallier, ça n’aurait rien d’étonnant.
Les militaires putschistes ont justifié ce coup d’État par « la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale ». Ce sont là les vraies raisons, selon vous, de ce renversement ?
C’est un peu des déclarations convenues. Tous les coups d’État militaire disent ça. Non, c’est très difficile à savoir. C’est un peu paradoxal parce que, d’une certaine façon, par rapport à la situation sécuritaire, même si elle est difficile dans la zone des trois frontières, le Niger tient bien mieux, et a bien mieux tenu, d’un point de vue militaire, que ses voisins. Ils ont probablement une stratégie de reconquête posée, de population et de territoires, qui est plus solide qu’à côté. Ils ont un système de dialogue intercommunautaire immédiat dès qu’il y a des problème, qui, là aussi, est beaucoup plus développé qu’à côté pour essayer d’éviter que telle communauté, en particulier les Peuls, soient victimes d’attaques des forces armées ou de revanche des milices. Je trouve qu’ils s’en sortaient quand même un peu mieux. Quant à la gouvernance, là aussi, elle n’était pas formidable, on ne peut pas dire que tout soit extraordinaire, mais en même temps, le Niger faisait plutôt moins mal que ses voisins. Donc c’est difficile à dire ce qui derrière ces déclarations, un peu convenues, se cache vraiment.
On voit que l’histoire se répète : le Niger avait déjà connu quatre coups d’État depuis son indépendance en 1960. Le dernier, c’était il y a un peu plus de 13 ans, en février 2010, contre le président Mamadou Tandja.
Oui, mais les trois derniers coups d’État qu’il y a eus, c’était un paradoxe dans la région parce que c’étaient des coups d’État disons de tentative de restauration de la démocratie quand elle était bloquée. Là, ce n’est pas du tout clair, il n’y a pas de blocage particulier de la démocratie, donc on est dans un cas de figure complètement différent, il me semble, des coups d’État précédents.
Jean-Pierre Olivier de Sardan, on constate une recrudescence des coups d’État militaire ces dernières années en Afrique, comment vous l’expliquez ?
Ça fait maintenant depuis plusieurs années que la démocratie est devenue impopulaire, est devenue extrêmement décriée comme un régime qui a accru la corruption, qui a accru l’affairisme, qui n’a pas réglé les problèmes. Et cette crise de la démocratie est en fait paradoxalement imputée à l’Occident, la démocratie est imputée comme un régime venant de l’Occident alors que c’est au contraire un produit des luttes populaires, des luttes des étudiants au moment des conférences nationales. Donc ce qui était en fait une réaction contre les dictatures militaires de l’époque, qui a amené la démocratie pour des raisons internes, du fait qu’elle a été tellement mal défendue, de façon tellement arrogante par l’Occident, qu’elle est devenue au contraire associée maintenant à l’Occident et c’est une des raisons pour lesquelles elle est rejetée. Derrière ça, c’est vraiment le problème de la crise très profonde des démocraties en Afrique depuis qu’elles se sont instaurées après la première vague de coup d’État militaire. La première vague de coups d’État militaire, c’était contre des régimes de partis uniques qui étaient devenus illégitimes. Là, la situation est complètement nouvelle, la seconde vague de coups d’État, c’est contre la démocratie elle-même qui est devenue illégitime. C’est une nouveauté, une nouveauté dont on n’a pas à se réjouir, évidemment
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