Mort de Henri Konan Bédié: en Côte d'Ivoire, «le PDCI va continuer à peser parmi les trois grands partis»
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L'ancien chef de l'État Henri Konan Bédié est mort mardi à l'âge de 89 ans des suites d'un malaise. La scène politique ivoirienne perd un de ces poids lourds, qui avait conservé encore aujourd'hui toute son influence, notamment à la tête de son parti, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI). Entretien avec Sylvain N'Guessan, analyse politique et directeur de l'Institut de stratégie d'Abidjan.

RFI : Sylvain N'Guessan, Henri Konan Bédié est mort à 89 ans. Quels souvenirs laisse-t-il aujourd’hui à la Côte d’Ivoire et aux Ivoiriens ?
Sylvain N'Guessan : Monsieur Henri Konan Bédié laisse aux Ivoiriens un parti politique qui se prépare pour les élections locales avec plusieurs cadres dont pratiquement aucun n’est parvenu à s’imposer jusque-là au-devant de la scène. Donc, c’est un PDCI fort. Mais on attend de voir le successeur de Henri Konan Bédié qui pourrait d’abord s’imposer à l’interne, ensuite face aux autres formations politiques.
Justement, Henri Konan Bédié avait gardé toute son influence à la tête du PDCI. Quelle place occupait-il dans la politique ivoirienne il y a encore quelques semaines ?
Jusque-là, il faisait partie de ce qu’on appelle « les trois grands » en Côte d’Ivoire avec les deux autres qui sont présents, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Jusque-là, il incarnait une bonne partie du champ politique ivoirien avec un électorat quand même assez bien positionné.
L’un des points marquants de la carrière d’Henri Konan Bédié, c’est aussi le débat autour de l’ivoirité qui a déchiré le pays. Est-ce que cela a terni son image ?
Oui. Pour la plupart des personnes qui en parlent, Henri Konan Bédié aurait utilisé le concept d’ivoirité au niveau politique, et lui-même lors de la table-ronde de Marcoussis où a dit que c’était plus un concept culturel pour amener les Ivoiriens à consommer du local, à la préférence locale. Une sorte de motivation pour la préférence culturelle ivoirienne et qu’il n’avait pas l’ambition d’en faire un concept politique. Toujours est-il que vers les années 1990, il y avait plusieurs personnes autour de lui qui en ont fait un usage politique.
Ce concept d’ivoirité a quand même mené à la division de la Côte d’Ivoire. A quel point cela a-t-il bousculé l’histoire du pays ?
À plusieurs niveaux. Déjà en 1990, il y a eu la carte de séjour. On était jeunes, on découvrait qu’il y avait des gens qui devaient payer un titre pour séjourner en Côte d’Ivoire et que nous, on ne devait pas en payer. Ensuite, il y a eu le concept d’ivoirité et les conditions d’éligibilité à la présidence de la République : être né de parents ivoiriens, eux-mêmes nés de parents ivoiriens. Donc, Alassane Ouattara n’avait pas pu se présenter en 1995. Puis, il y a eu l’arrestation d’un leader de l’opposition, les négociations qui n’ont pas abouti, puis le coup d’État de 1999 malheureusement.
Henri Konan Bédié avait gardé beaucoup d’influence sur la scène politique nationale et à la tête de son parti, le PDCI. Est-ce que jusqu’au bout, il a cru avoir une chance de revenir au pouvoir ?
Je pense qu’il y a cru à un certain moment lorsqu’il a lancé l’appel de Daoukro. Je pense qu’il estimait qu’après le mandat d’Alassane Ouattara, ça devrait être à son tour d’être le candidat du RHDP d’alors, en tant qu’ensemble de partis politiques. Dès lors qu’il n’a pas eu de retour à l’appel de Daoukro, je pense qu’il était assez réaliste avec son expérience d’homme politique pour comprendre qu’il ne pourrait plus revenir.
Le PDCI, le plus vieux parti de Côte d’Ivoire, après 76 ans d’existence, est aujourd’hui traversé par des luttes internes. Est-ce que vous pensez qu’il peut survivre à la mort d’Henri Konan Bédié ?
Oui, je le pense. Sur ça, je suis vraiment affirmatif. Le PDCI a eu à traverser plusieurs zones de turbulences, mais je pense que ceux qui devaient partir sont en grande majorité partis. Maintenant, comment va se faire la relève ? Est-ce que c’est un clan qui va s’imposer ? Je pense que ça va se jouer là. Mais l’électorat du PDCI quand même demeure, même s’ils ont perdu plusieurs bastions. Je pense que le PDCI va continuer à peser parmi ce que l’on appelle les « trois grands partis politiques ». Je le pense.
Au-delà du personnage politique de Henri Konan Bédié, comment décririez-vous l’homme qu’il a été ?
Il a été un bon faiseur de rois. Tous ceux avec qui il s’est allié ont pu gagner la présidentielle. C’est vrai qu’il y a eu la période difficile avec les syndicats avec les étudiants. Par la suite, je pense qu’il a joué pour un retour à la paix et à la réconciliation en Côte d’Ivoire. Même si sa procédure n’a pas toujours été comprise, même si sa démarche n’a pas toujours été appréciée.
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