Niger: un collectif d'ONG «condamne ce coup d'État» mais adresse aussi «des messages à la Cédéao»
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Huit jours après le coup d'État à Niamey, le collectif Tournons La Page International interpelle à la fois la junte nigérienne et la Cédéao, en appellant au dialogue et à la retenue au Niger. Brigitte Ameganvi, sa porte-parole à Paris, répond aux questions de Claire Fages.

RFI : Brigitte Ameganvi, Tournons La Page International, que vous représentez, dénonce tout à la fois le coup d’État à Niamey et l’attitude de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), c’est-à-dire les sanctions économiques et la menace d’intervention militaire ?
Brigitte Ameganvi : Effectivement, nous condamnons ce coup d’État mais nous adressons également un certain nombre de messages à la Cédéao, à partir des remontées d’informations mentionnant la préparation d’une intervention militaire contre la junte au Niger.
Vous craignez que cette attitude de la Cédéao ne légitime la junte militaire aux yeux d’une partie de la population nigérienne ?
Oui, parce que dans la sous-région, en ce moment, il y a un mouvement porté par des jeunes qui sont réellement dans une sorte de révolte, et ce que nous craignons, c’est que ce coup d’État soit récupéré par des esprits malveillants qui sont en train d’attiser la colère et la haine dans une confrontation Est-Ouest qui a repris et qui s’exacerbe sur le continent en ce moment.
Vous estimez également que les sanctions économiques n’ont pas pour cible les putschistes, mais la population ?
Ces sanctions économiques, d’abord, ne sont pas prévues dans le dispositif de sanctions du protocole de la Cédéao. La gradation des sanctions, ça va des avertissements jusqu’à la suspension du pays et un dialogue jusqu’au retour à l’ordre constitutionnel. Et tout le monde oublie que la Cour de justice de l’Uemoa [l’Union économique et monétaire ouest-africaine, NDLR], peu de temps après les sanctions au Mali, saisie par un certain nombre de ministres maliens, avait ordonné la suspension de ces sanctions parce qu’elles sont illégales.
C’est la population qui en souffre le plus, et ces sanctions sont d’autant plus graves qu’il s’agit de pays enclavés, et qui, lorsqu’on ferme les frontières autour, c’est finalement condamner une bonne partie de la population à la famine, à la désolation, au manque de soins – parce que les médicaments n’arrivent pas. Elles sont contreproductives.
D’après vous, ce n’est pas la bonne méthode pour la Cédéao, et vous dites aussi qu’elle ne respecte pas ses propres règles…
La Cédéao s’est engagée à mener vraiment une politique de prévention des conflits. Or, prévention des conflits, ce n’est pas ce qui est en train de se produire actuellement. La Cédéao ne brandit ce protocole que lorsqu’il s’agit de sanctionner les putschistes, mais jamais lorsque des signes en amont sont en train d’apparaitre, la Cédéao ne réagit pas.
Comme où, par exemple ?
Comme au Sénégal en ce moment, le Sénégal qui était l’un des piliers de la démocratie dans la sous-région, que tout le monde respectait parce qu’il y avait une justice indépendante, des institutions qui fonctionnaient normalement, et tout est en train de partir à vau-l’eau. Et il y a là, aussi, un risque important de généralisation de pratiques, et on peut dire que 20 ans après ce protocole, 30 ans après le traité révisé de la Cédéao, qui avait justement pour but de prévenir les guerres civiles, de prévenir les coups d’État etc., on revient exactement au même point de départ.
Est-ce qu’il y a des moyens efficaces pour empêcher cette contagion de coups d’État dans la région ?
Des moyens efficaces, c’est sûr que c’est un travail qui ne se fait pas du jour au lendemain. Et nous aurions préféré que la fermeté que la Cédéao exprime aujourd’hui - et qu’elle veut exprimer sous la forme d’une intervention militaire violente - qu’elle l’ait exprimée lorsque des Constitutions ont été modifiées, des élections ont été truquées ou que la corruption a gangréné… D’ailleurs, il y a un paradoxe, c’est que le général qui a fait le coup d’État à Niamey était lui-même mis en cause il y a quelques années sur les détournements des fonds qui ont été mis à disposition pour équiper l’armée nigérienne. Aujourd’hui, il se pose en défenseur du peuple nigérien, aujourd’hui, il dénonce le manque de résultats dans la lutte contre le terrorisme, jusqu’à nouvel ordre, ce sont les militaires qui sont chargés d’assurer la sécurité et l’intégrité territoriale, et pas un président de la République démocratiquement élu.
Comment voyez-vous la solidarité qui s’affiche de plus en plus clairement entre les régimes putschistes ouest-africains ?
Pour nous, c’est non seulement de l’opportunisme mais c’est du populisme, parce que je ne pense pas que ce coup d’État au Niger ait été fait en concertation avec qui que ce soit. C’est quelque chose qui s’est fait par la force des choses, en partant d’un problème personnel entre un chef d’état-major, qui a rallié la Garde présidentielle puis l’ensemble de l’armée. Et donc on constate qu’effectivement, certains putschistes de la sous-région essaient de profiter, en quelque sorte, de l’occasion pour se positionner dans une dynamique qui n’est pas bénéfique pour la sous-région, de toute façon.
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