Maram Kairé, astronome: «L'Afrique est en train de faire de grands pas dans le domaine du spatial»
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« L'Inde est sur la Lune », a déclaré, mercredi 23 août, le chef de l'agence spatiale indienne, après que son pays a réussi l'alunissage de la fusée Chandrayaan-3 (avec son module Vikram). En posant un engin spatial sur la Lune, l'Inde a rejoint le club très fermé des nations parvenues à mener avec succès une telle opération. Jusqu’à présent, seuls la Russie (à l’époque de l’URSS), les États-Unis et la Chine avaient réussi un atterrissage contrôlé à la surface lunaire.

Le Premier ministre indien Narendra Modi a qualifié ce 23 août de « jour historique ». La Lune représente-t-elle un nouvel enjeu géopolitique ? Et quelle place pour l'Afrique dans cette conquête spatiale ? L’astronome sénégalais Maram Kairé, directeur général de l'Agence sénégalaise d’études spatiales, est l’invité de Christina Okello ce dimanche.
Qu’est-ce que cet alunissage par l’Inde signifie pour la conquête spatiale ? Assiste-t-on à un basculement, à un changement d’époque dans cette conquête de l’espace avec l’arrivée des pays émergents ?
Maram Kairé : C’est une journée qui est tout simplement historique en fait, parce qu’on est en train de revoir toutes les bases aujourd’hui de la conquête de l’espace en termes d’acteurs qui étaient dans un cercle extrêmement fermé où c’étaient les États-Unis, la Russie et la Chine qui avaient cette prouesse de pouvoir se poser sur la Lune. Aujourd’hui, c’est un pays émergent qui y arrive en mettant en œuvre toute une équipe dynamique, avec un budget qui n’est pas aussi élevé que ça, et qui réussit quand même à se poser à la surface lunaire. Beaucoup de grandes puissances ont essayé cette aventure de se mettre en orbite autour de la Lune ou d’essayer de se poser, ils n’ont pas réussi. Donc, cela veut dire que le défi technologique lui-même est relevé. Et je pense que c’est un moment historique.
Est-ce que l’arrivée des pays émergents comme l’Inde dans ce club très restreint signifie qu’il peut y avoir compétition entre les pays du Nord et les pays du Sud ?
À mon avis, il n’y aura pas de compétition en tant que telle, c’est plutôt en fait une collaboration qui doit se mettre en place. L’Afrique est en train de faire de grands pas dans le domaine du spatial. Ce n’est pas pour venir faire de la concurrence, mais pour peut-être répondre à des urgences qui sont là. Cela va être directement lié aux objectifs de développement durable. Par rapport à cet aspect, nous n’avons pas d’intérêt à nous lancer dans une concurrence, mais plutôt à trouver le moyen de travailler ensemble. Donc, c’est une franche collaboration qui est attendue entre les pays du Nord et les pays du Sud.
Pensez-vous que la mission réussie de l’Inde pourrait faire des émules en Afrique ?
Le spatial en tant que tel est devenu une ambition pour le continent africain où on assiste vraiment à une explosion d’initiatives de lancements de satellites, de création d’agences spatiales depuis une vingtaine d’années. Nous sommes à plus de cinquante satellites qui ont été lancés ces 20 dernières années sur le continent. Et si aujourd’hui, un pays émergent comme l’Inde réussit à se poser sur la Lune, ça donne de l’espoir, ça montre que le défi est tout à fait accessible aux pays du continent africain qui ont pour ambition aujourd’hui de développer leur secteur spatial.
À l’heure actuelle, quels sont les pays africains qui sont en mesure de pouvoir un jour poser une sonde spatiale sur la Lune ?
Nous sommes aujourd’hui à 22 pays qui disposent d’une agence spatiale et qui sont en train de mettre en œuvre un programme spatial à des niveaux, peut-être, différents. Mais, si nous devions lister certains pays qui ont ce potentiel de pouvoir se mettre en orbite lunaire ou de poser carrément des sondes sur la Lune, il y a des cas que nous pouvons citer assez rapidement : l’Afrique du Sud, aujourd’hui, a les moyens, technologiques en tout cas, de pouvoir tenter cet exploit ; le Nigeria a la possibilité également de pouvoir lancer ce défi ; de nouveaux pays qui arrivent avec une très bonne dynamique dans le domaine du spatial comme le Kenya qui a montré ses ambitions, qui a lancé son satellite, il n’y a pas longtemps.
Au Nord, nous avons la Tunisie aussi qui donne une bonne dynamique à son secteur spatial. Et de façon concrète, aujourd’hui, la création de l’agence sénégalaise d’études spatiales nous permet également de nous fixer des ambitions très élevées.
Est-ce que votre pays, le Sénégal, a des projets lunaires par exemple ?
Pour ne rien vous cacher, au moment où nous sommes en train de finaliser la construction du premier satellite sénégalais, on a envisagé déjà la construction du second à partir de 2025, 2026. Mais à l’horizon 2030, il est inscrit sur notre feuille de route que nous puissions tenter au moins de mettre une sonde en orbite lunaire.
Comment le continent peut-il mobiliser les fonds nécessaires à ses ambitions ? La mission indienne a coûté plus de 60 millions d’euros. Certes, elle est moins importante que d’autres missions. Mais où est-ce que l’Afrique va trouver les moyens ?
Les moyens ne manquent pas sur le continent. La vraie question, en fait, c’est : à quel moment nous en faisons une priorité ? Parce que dans le budget de plusieurs [pays], vous allez trouver des investissements de la part de l’État lui-même ou de bailleurs qui peuvent injecter, sur des projets de programmes [spatiaux], quasiment la même somme qui est utilisée aujourd’hui pour cette mission indienne. Mais la question, c’est à quel moment nous décidons de faire du spatial une priorité pour que, dans le budget des États, nous puissions trouver une part importante à réserver à ce programme.
Quel est l’intérêt pour les pays africains ou les pays émergents de sacrifier des moyens pour tenter de se poser un jour sur la Lune ?
Cela permet de développer le secteur de la recherche, cela permet de développer le secteur industriel autour du spatial. Et je pense qu’il est important également de signaler que ce n’est pas un luxe pour les pays africains, pour les pays émergents, de tenter ces défis technologiques. Et ce pour une seule et simple raison, c’est qu’en misant sur ces challenges assez élevés, nous arrivons à drainer derrière toute une industrie, toute une économie pour le potentiel technologique de ces entreprises qui vont travailler dans le domaine du spatial. C’est tout l’écosystème qui va être « challengé » pour pouvoir réussir une telle mission.
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