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Coup d’État au Gabon: «L’erreur du président Bongo a été de minimiser les frustrations profondes des populations»

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Une intervention des militaires gabonais a donc conduit, mercredi 30 août, au renversement d'Ali Bongo, peu après la proclamation des résultats de l'élection présidentielle. Comment analyser cette irruption des militaires dans l'espace public gabonais ? Nous avons posé la question à un spécialiste de l'armée gabonaise, Axel Augé, sociologue et enseignant-chercheur à l'académie militaire de Saint-Cyr. Il répond aux questions de Laurent Correau.

Axel Augé, maître de conférences à l'école militaire de Saint-Cyr.
Axel Augé, maître de conférences à l'école militaire de Saint-Cyr. © st-cyr.terre-net.defense.gouv.fr
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RFI : Axel Augé, comment expliquez-vous que l’armée, de manière générale, et la Garde républicaine, en particulier, aient lâché le président Ali Bongo ?

Axel Augé : Je pense qu’il y a un ras-le-bol collectif national des populations, et je crois que l’erreur du pouvoir du président Ali Bongo a été de minimiser les frustrations profondes des populations ou de les ignorer. L’armée, par rapport à tout ça, apparait comme un acteur salvateur, finalement, de la nation et de ces populations en souffrance économique. Si on prend un peu de profondeur historique, si j’ose dire, l’ingérence politique des militaires n’est pas nouvelle dans l’histoire de ce pays. Quand on regarde, d’ailleurs, dans le rétroviseur de l’histoire, en 1964, le président Léon Mba en son temps a été déposé par des militaires. Plus récemment, en 2019, il y a eu l’éphémère coup d’État du jeune lieutenant Kelly Ondo, aujourd’hui emprisonné. Et puis, aujourd’hui, il y a cette nouvelle ingérence des militaires dans l’espace public et dans la gouvernance du pays.

Donc vous y voyez vraiment une réaction à des problèmes de gouvernance au Gabon ?

Je dirais que les nouvelles générations de militaires représentent les nouvelles générations de population. Il y a un facteur majeur qui est sous-estimé, c’est le changement de génération qui engendre une nouvelle relation avec la chose politique, avec la chose publique. Une jeunesse africaine connectée, éduquée, une jeunesse africaine exigeante envers ceux qui ont la responsabilité de les gouverner, et surtout, une jeunesse africaine qui de par son éducation impose, d’une certaine façon, une obligation de résultats. Il y a un changement de génération de la population, donc un changement de comportement, avec un désir de prendre en main leur avenir, y compris pour une institution martiale qu’est l’institution militaire.

Est-ce que vous diriez que l’ensemble de l’armée fait front à l’heure actuelle face au pouvoir d’Ali Bongo ?

Les informations que j’ai reçues de la part de quelques contacts locaux, à Libreville notamment, font état en effet d’une institution militaire qui semble s’être désolidarisée de sa hiérarchie politique.

Dans sa totalité ?

J’aurais tendance à le croire.

L’homme qui occupe le devant de la scène à l’heure actuelle, c’est Brice Oligui Nguema qui dirige la Garde républicaine. Son parcours mérite d’être rappelé : en 2009, quand Ali Bongo arrive au pouvoir, il est écarté, puis en 2019, il revient en étant intégré à la Garde républicaine. Comment est-ce que vous expliquez cette disgrâce et ce retour en 2019 ?

Je crois que ce jeu d’entrée et de sortie à des responsabilités importantes relève aussi d’un mode de contrôle des individus et des moyens d’assurer leur allégeance au pouvoir en place.

En relisant l’histoire de l’armée gabonaise ces derniers mois et ces dernières années, est-ce qu’il vous semble qu’il y a eu des signes avant-coureurs de ce qu’il vient de se produire ?

Est-ce qu’il y a eu des signes avant-coureurs ? Il y a eu, en tout cas, des transformations profondes au sein de l’institution militaire, d’ailleurs conduite elle-même, en son temps, par l’ancien ministre de la Défense, un certain Ali Bongo, qui poussait des réformes au sein de l’armée pour en faire « une armée, disait-il, en or, opérationnelle et républicaine », mais aussi une armée engagée dans le cadre d’opérations de maintien de la paix. Et je pense que les efforts, pourtant accomplis par le régime d’Ali Bongo pour améliorer la condition socio-professionnelle des militaires, n’ont pas été suffisants. L’institution militaire locale, nationale, gabonaise s’est dit qu’il était temps qu’elle prenne en main aussi son avenir, tout en contribuant à l’écriture de l’avenir du pays.

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