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Présidentielle au Gabon: «Les résultats n'ont été signés par aucun procès-verbal»

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Au Gabon, on en sait un peu plus sur la controverse au sein du Centre gabonais des élections (CGE) après le scrutin du 26 août. Le président du CGE avait annoncé Ali Bongo vainqueur après un vote controversé et des accusations de fraude. Suite à cette annonce, un coup d'État l'a fait chuter et les responsables du CGE ont été arrêtés. Ils ont finalement été relâchés mais restent accusés d'avoir été complices de manipulations électorales. Pour la première fois, un de ces responsables témoigne : Christelle Koye, l'une des vice-présidentes de l'institution pour le compte de l'opposition. 

Du matériel électoral transporté durant la présidentielle au Gabon, à Libreville, le 26 août 2023.
Du matériel électoral transporté durant la présidentielle au Gabon, à Libreville, le 26 août 2023. © Reuters/Gerauds Wilfried Obangome
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RFI : Christelle Koye, qu’est-ce que la justice vous reproche ?

Christelle Koye : Il m’a été reproché d’avoir participé au trucage des résultats électoraux, c’est la question qui m’a été posée au niveau de la Direction générale des recherches où j’ai été entendue. Il m’a également été demandé de rappeler quelles étaient mes missions. Ma mission principale consistait, dans le cadre de l’organisation du scrutin, à désigner les représentants de l’opposition au sein des commissions électorales locales. Et pour cela, je me suis appuyée sur les propositions des partis politiques de l’opposition. Il y a 101 commissions électorales locales. Le bureau du CGE centralise les résultats. Pour centraliser les résultats, nous devons avoir les procès-verbaux de chaque commission électorale locale, qui me permet de confronter les résultats de centralisation avec les résultats de chaque commission électorale locale. À l’échéance, donc, du scrutin, j’ai demandé aux commissaires de me transmettre les procès-verbaux. Malheureusement, en raison de la coupure d’internet d’une part et en raison des conditions d’acheminement, de transport, qui ne sont pas optimales, je n’ai pas pu obtenir les procès-verbaux de chaque commission électorale locale, qui m’auraient permis de confronter les résultats avec ceux que nous avons obtenus au niveau de la centralisation.

Donc aujourd’hui, vous avez des doutes sur l’honnêteté de certains agents électoraux au niveau local ?

Malheureusement, il y en a qui ont suivi, et il y en a d’autres qui ont clairement établi leur complicité, d’autres refusaient de me répondre, d’autres opposaient le fait qu’ils n’avaient pas pu avoir les procès-verbaux en leur possession, ce qui est difficilement explicable parce que la loi prévoit que chaque camp politique doit avoir une copie du procès-verbal. La justification liée à la difficulté de me transmettre les supports à cause de l’interruption d’internet pouvait se justifier, mais celle de ne pas pouvoir répondre à mes appels ou de ne pas pouvoir me répondre clairement continue à contribuer à semer le doute, sinon à me fixer sur la nature des relations que ces commissaires-là entretenaient.

Certains auraient pu être corrompus, selon vous ?

Clairement, oui.

Comment avez-vous commencé à avoir des doutes sur les résultats ?

J’étais en contact, et j’ai été en permanence en contact depuis le jour des scrutins avec différents états-majors, les états-majors d’Alternance 2023, les états-majors de certains candidats aux différentes élections, qui me transmettaient oralement les résultats. Donc, en réalité, je n’ai eu aucun élément palpable.

Donc au fur et à mesure que le temps passait depuis l’élection, votre inquiétude ne faisait que grandir ?

Bien sûr, elle n’a fait que grandir, elle grandissait d’autant plus que je n’avais aucun support me permettant de confronter les résultats qui seraient produits inéluctablement. J’étais inquiète, et de vous à moi, j’ai tenté de m’extraire parce que je me rendais compte qu’il y avait des éléments dont je n’avais pas connaissance. Malheureusement, le dispositif était tel que je n’ai pas pu sortir, mais effectivement, les personnes peuvent attester que moi, j’ai voulu sortir de la Cité de la démocratie. À 22h30, donc le 29, le jour de la délibération, il y a eu une intrusion d’un membre du cabinet du chef de l’État qui n’était pas appelé à la commission, ce qui a conforté ma position, je m’inquiétais parce que je ne comprenais pas qu’un membre du cabinet, donc en l’occurrence le conseiller en charge de la communication, Jessye Ella Ekogha, vienne dans la salle pour pouvoir organiser la retransmission de l’annonce. Il y a eu un tollé dans la salle, parce que tout le monde unanimement n’a pas apprécié. Pour moi, c’était un élément de trop, j’ai voulu partir, j’ai voulu prendre cette brèche pour m’extraire de la Cité de la démocratie, mais à ce moment-là, il était difficile de le faire. D’ailleurs, les résultats ont été annoncés, mais ces résultats devaient être sanctionnés par un procès-verbal. L’annonce a été faite publiquement, et après l’annonce, il fallait vérifier, signer, pour la transmission à la Cour constitutionnelle, ça n’a pas été fait. Je n’ai signé aucun procès-verbal.

Avec le recul, après ce que vous avez vécu au CGE, quel est votre sentiment aujourd’hui ?

Ça m’inspire évidemment des interrogations, d’énormes interrogations, que je souhaiterais lever. J’ai besoin d’avoir tous les éléments en ma possession, on parle d’une rumeur persistante, ce n’est plus une rumeur, c’est quasiment avéré, mais je souhaiterais savoir à quel niveau, quels sont les niveaux de responsabilité, quels sont les commissaires sur lesquels j’ai pu compter, parce que c’est vrai que j’ai eu deux vagues, les commissaires électoraux sur lesquels j’ai pu compter, et ceux sur lesquels je n’ai pas pu compter parce qu’en réalité, ils n’ont pas rempli la mission du serment pour laquelle ils ont été affectés. Ce sont des interrogations qui me taraudent et pour lesquelles j’aimerais vraiment avoir des réponses. 

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