Mali-Attaye Ag Mohamed: «L’action du CSP, c’est de la légitime défense. Nous n’avons pas de nouvelles revendications.»
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Cela fait deux semaines que les combats ont repris dans le nord du Mali, entre la plupart des groupes armés signataires de l’accord de paix de 2015 rassemblés au sein du CSP (Cadre stratégique permanent) et les Forces armées maliennes. Après les attaques de Bourem le 12 septembre et de Léré le 17 septembre, les deux camps semblent plus déterminés que jamais à poursuivre les hostilités. Quelles sont les revendications actuelles des groupes armés du Nord : indépendance ou retour à l’accord de paix de 2015 ? Quelle réponse aux accusations de collusions avec les groupes terroristes portées par le gouvernement malien de transition ? Qu’est-ce qui pourrait mettre fin aux attaques du CSP ?
![Des combattants de la CMA, la Coordination des mouvements de l'Azawad à Ber au Mali en janvier 2017. [Image d'illustration].](https://s.rfi.fr/media/display/5291c44a-5dba-11ee-ad23-005056bfb2b6/w:1024/p:16x9/CMA_Ber_janvier_2017%286%29.jpg)
Attaye Ag Mohamed est en charge du suivi de l’accord de paix au sein de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad, ex-rebelles indépendantistes en 2012) et des relations diplomatiques du CSP (Cadre stratégique permanent, qui rassemble les groupes armés de la CMA et de la Plateforme, qui ont quant à eux toujours défendu l’unité du Mali).
Une invitation similaire a également été adressée au ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop, à ce stade restée sans suite.
RFI : Le CSP (Cadre stratégique permanent) a déjà attribué la reprise des combats à des violations, selon le CSP, de l’accord de paix de 2015 par les autorités de Bamako. Maintenant que la guerre a repris, sur le terrain, est-ce que vous pouvez préciser le but que vous poursuivez ?
Attaye Ag Mohamed : Je pense que les objectifs du CSP sont clairs, au regard des actions du gouvernement sur le terrain par les bombardements, mais aussi par l'implication de la milice terroriste Wagner qui ne cesse de commettre des violations graves depuis plusieurs mois. Mais aussi, notre action est placée dans un cadre de légitime défense, qui consiste à agir contre les actions du gouvernement, surtout même à anticiper. Par exemple, c’est le cas de Bourem.
Mais, est-ce que l’objectif, c’est l’indépendance des régions du Nord, comme lors de la rébellion de 2012, ou est-ce que vous voulez encore sauver l’accord de paix, ce qui implique l’unité du Mali ?
Tout dépendra de l'évolution. Le CSP est composé de plusieurs tendances de la CMA (Coordination des mouvements de l'Azawad) de la Plateforme, et de plusieurs voix qui estiment qu'aujourd'hui, il n'y a plus grand chose à faire avec le Mali. Après 63 ans d'indépendance, tous les accords qui sont signés ne sont jamais appliqués ! Cependant, le CSP reste officiellement toujours dans la logique qu'elle a déclarée : celle de la légitime défense contre les attaques des forces maliennes. Il y a trois choses qui sont claires : le CSP n'a pas fait une déclaration de guerre, le CSP n'a pas déclaré quitter l'accord d'Alger et le CSP n'a pas déclaré de nouvelles revendications.
Alors concrètement, qu'est-ce qui pourrait mettre fin aux attaques ?
Tout finit par un dialogue. Si un jour on a un gouvernement de Bamako qui souhaite engager un dialogue clair, qui n'est pas celui de l'action sur le terrain - au moment où le gouvernement annonce vouloir la paix, il envoie des avions bombarder. Au moment où le gouvernement est dans un accord, mais qu’il continue de penser que c'est un accord dangereux pour le pays, ce sont des actions contradictoires. Donc, le jour où nous aurons un interlocuteur qui soit sûr d'assumer ses engagements, nous dirons qu'il y a une possibilité. Mais à ce stade, nous ne voyons pas cela avec cette junte.
Mais le ministre malien des Affaires étrangères a réitéré ce weekend à la tribune des Nations unies son invitation au dialogue, dans le cadre de l'accord de paix.
Écoutez, ce n'est pas nouveau, ça fait partie du jeu du gouvernement. Tantôt sur les scènes publiques, sur les médias, ces déclarations sont réitérées, mais sur le terrain, c’est autre chose. C'est une façon de communiquer.
Justement, les autorités maliennes de transition vous qualifient de « terroristes », de « forces obscurantistes », les mêmes termes que pour les jihadistes du Jnim (Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans) ou de l'État islamique. En fait, Bamako vous accuse de collusion avec ces groupes jihadistes. Alors, est-ce que c’est le cas ?
Ce n'est pas nouveau non plus. Aujourd'hui, nous, c'est avec le gouvernement que nous avons un accord de paix, un engagement. Ce n'est pas avec les groupes terroristes.
Donc vous excluez tout front commun du CSP avec le Jnim contre l'armée malienne et Wagner ?
C'est très clair. Le gouvernement, aujourd'hui, travaille de façon formelle - même s'il le nie encore, les Russes l'ont déclaré. Wagner sur sa page Internet le dit tous les jours et filme ses propres actions au Mali, comme les exécutions sommaires récentes. Donc, le gouvernement du Mali a des engagements avec une milice classée « organisation terroriste » par plusieurs États. Donc, c'est plutôt le gouvernement qui a des relations avec les groupes terroristes.
Mais en ce qui vous concerne, le Jnim aux côtés du CSP, ce n'est ni une réalité, ni une option ? Vous l'assurez ici ?
Non. Ni réalité, ni option. Nous ne sommes pas engagés avec des groupes terroristes et nous ne le ferons pas. Et nous continuons à condamner les actions posées contre les populations civiles sur le terrain.
Une autre accusation des autorités maliennes de transition, c’est de dire que la France serait derrière vous…
Nous, nous assumons pleinement nos positions. Nos positions ne peuvent pas dépendre de la France. Au contraire, c’est plutôt la France qui a commis l’erreur de croire que déployer des forces aux côtés du gouvernement malien aurait restauré la paix. Donc au contraire, c’est nous qui avons subi la France.
Votre coalition vient d’enregistrer une défection importante : celle du MSA de Moussa Ag Acharatoumane, membre de la Plateforme, au sein du CSP. Il estime que la priorité n’est pas de combattre l’armée malienne mais les groupes jihadistes. Est-ce qu’il n’a pas raison ?
Aujourd’hui, il se passe quelque chose à Bamako : toutes les personnalités qui sont issues du Nord, et particulièrement issues des mouvements signataires de l’accord de 2015, reçoivent des pressions de la part des autorités pour se positionner de façon publique, ou de partir de Bamako et des affaires. Aujourd’hui, nous prenons acte de la déclaration de Moussa Ag Acharatoumane, mais le président de la Plateforme qui a signé pour adhérer au CSP, c’est Fahad Ag Almahmoud.
Est-ce que cette guerre que vous livrez contre l'armée malienne ne risque pas de faire le jeu des groupes jihadistes ? Est-ce qu'ils ne peuvent pas tirer profit de cette situation ? Je pense par exemple à l'État islamique dans la région de Ménaka…
C’est relatif. Aujourd’hui, nous, nous affrontons ceux qui nous affrontent. Le CSP-PSD (Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement), la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) et tous les mouvements (membres du CSP, ndlr), aujourd'hui, ont ciblé l'État islamique. Nous sommes les seuls à savoir ce que nous avons déployé comme capacités humanitaires pour venir soulager les populations qui sont touchées par l'État islamique. Mais aujourd'hui, l'État islamique, pour nous, c'est un front du terrorisme international et nous avons, avec le gouvernement, un engagement qui permettait de créer ensemble une armée nationale reconstituée, républicaine, respectueuse des normes de guerre et qui devait être déployée sur l'ensemble du territoire. Malheureusement, nous ne l’avons pas. Maintenant, l'État islamique est une autre priorité. Elle l’est et elle le reste. Cependant, aujourd'hui, notre défi, ce sont ceux qui engagent un front et qui décident de ne pas respecter leurs engagements et de nous attaquer chez nous.
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