Le grand invité Afrique

Herman Cohen: «Les relations entre la France et l'Afrique sont toujours très importantes»

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RFI l’annonçait ce 5 octobre en exclusivité : l'armée française a commencé son désengagement du Niger, nouveau rebondissement dans la crise qui se joue actuellement avec les autorités militaires de Niamey, Ouagadougou et Bamako. Cette question des relations franco-africaines est suivie de près aux États-Unis, où les spécialistes de la politique africaine ont des avis diamétralement opposés. Alors que Michael Shurkin, de l'Atlantic council, estimait dans une analyse récente que « le temps de la France est fini en Afrique », Herman Cohen, ancien secrétaire d'État adjoint chargé des Affaires africaines, met en garde sur les effets de loupe et les manipulations des pouvoirs autoritaires. Entretien.

Des mécaniciens de l'armée de l'air française Barkhane assurent la maintenance d'un Mirage 2000 sur la base de Niamey, au Niger, le 5 juin 2021 (image d'illustration).
Des mécaniciens de l'armée de l'air française Barkhane assurent la maintenance d'un Mirage 2000 sur la base de Niamey, au Niger, le 5 juin 2021 (image d'illustration). © AP/Jerome Delay
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RFI : Herman Cohen, les forces françaises vont se retirer du Niger après avoir été déclarées indésirables au Mali et au Burkina Faso. Vous qui avez été témoin de l’évolution sur plusieurs décennies des relations entre la France et l’Afrique, comment est-ce que vous analysez le moment actuel ?

Herman Cohen : Vous savez, avec les coups d’État militaires au Mali, au Niger, au Burkina Faso, les élites n’acceptent pas que la France se mêle des affaires intérieures de ces pays. Mais, à mon avis, la France a raison d’avoir posé des objections. Au Niger, par exemple, le président Mohamed Bazoum a été élu dans une élection transparente. Pourquoi accepter qu’il y ait des putschistes qui, pour une raison ou une autre, font un coup d’État contre un gouvernement démocratique ? C’est inadmissible.

On voit monter un discours contre la France, notamment au sein d’une partie de la jeunesse africaine. Comment analysez-vous cette tendance ?

Ce n’est pas nécessairement un sentiment anti-français des populations. Vous savez, quand on parle de « sentiment anti-français », « anti-américain », etc… Souvent, il y a des salaires qui sont payés à des gens pour manifester dans les rues. Je crois que les relations franco-africaines sont toujours très importantes et très bonnes.

On ne peut pas nier tout de même que ces relations traversent un moment de crise. Au sein des opinions publiques, on voit des discours monter contre la France ou en tout cas aspirer à un nouveau type de relations…

Je ne sais pas. À mon avis, l’opinion publique [africaine] est toujours pro-française.

On voit se constituer un bloc militaire au Sahel qui s’est illustré par la création de l’Alliance des États du Sahel entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Est-ce que vous voyez dans ces trois autorités militaires des différences de positionnement par rapport à la Russie ou est-ce que vous pensez que toutes les trois veulent à terme entrer dans une alliance étroite avec Moscou ?

Je crois que si, par exemple, il y avait une menace de la Cédéao [Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest] de faire la guerre contre ces trois gouvernements, ils pourraient appeler la Russie, et surtout les mercenaires du groupe Wagner. Mais je ne crois pas que ça va aller jusque-là.

La Russie ne peut rien faire dans le domaine du développement économique. Tout ce que la Russie peut offrir, ce sont des mercenaires pour maintenir certains gouvernements au pouvoir. Et je ne crois pas que les Africains voient ça comme une situation très sérieuse pour eux. Par exemple, dans la République centrafricaine, le groupe Wagner contrôle les diamants, comme forme de paiement pour garder le régime au pouvoir. Les diamants de la République centrafricaine sont les meilleurs du monde. Le peuple centrafricain a besoin de ces diamants pour son propre développement.

Il y avait moitié moins de chefs d’État africains au sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg cette année qu’il n’y en avait à Sotchi en 2019. Est-ce que la diplomatie américaine a pu jouer un rôle, a pu y être pour quelque chose ?

Je crois que oui. L’Amérique a dit : ce que la Russie a fait en Ukraine, c’est un danger pour tout le monde. Donc, il faut que tout le monde applique la pression sur la Russie pour quitter l’Ukraine. Une fois qu’ils auront quitté l’Ukraine, tout est possible.

Et vous avez connaissance de démarches qui ont été menées pour dissuader des responsables politiques africains d’aller à ce sommet de Saint-Pétersbourg ?

Je crois savoir que les Américains ont encouragé pour ne pas y aller. Et c’était partiellement réussi.

De manière générale, est-ce que les États-Unis ne cherchent pas, eux aussi, à s’engouffrer dans les fissures actuelles des relations franco-africaines pour réaffirmer leur présence en Afrique ?

Non, pas du tout. Nous reconnaissons qu’il y a une relation spéciale entre la France et les Africains. Et ce n’est pas notre rôle d’empêcher cette relation. Nous sommes très contents que la France soit très active. Elle fait beaucoup de bonnes choses dans le domaine économique en Afrique, soit du côté du gouvernement soit du côté du secteur privé.

Tout de même, est-ce que les désaccords qui se sont manifestés au sujet du Niger depuis le 26 juillet dernier ne montrent pas des agendas différents de Paris et de Washington ?

Non, pas du tout. Nous avons dénoncé le coup d’État au Niger. Les États-Unis ont dénoncé cela. L’Amérique et la France sont sur la même longueur d’onde.

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