«Commission mémoire» sur le rôle de la France au Cameroun: «Nous avons une fenêtre pour travailler cette histoire»
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Un peu plus de six mois après sa création, la commission « histoire et mémoire » sur le rôle et l'implication de la France contre les mouvements indépendantistes et d'opposition au Cameroun s'est rendu sur le terrain. La chercheuse et historienne française Karine Ramondy et le chanteur camerounais Blick Bassy, co-directeur de cette commission, ont rencontré à Yaoundé quelques témoins encore vivants de cette période largement méconnue de l'histoire du Cameroun.

RFI : Vous co-dirigez avec le chanteur camerounais Blick Bassi la Commission mémoire, instituée par le président français Emmanuel Macron, sur la période pré et post-indépendance au Cameroun. Où en êtes-vous de vos travaux, de vos recherches, six mois après votre prise de fonction ?
Karine Ramondy : Alors, je voudrais déjà commencer, par peut-être avant de répondre au cœur de votre question, à la présentation de la commission. La commission est une commission mixte, pluridisciplinaire, franco-camerounaise, qui a été créée sous l'impulsion des sociétés civiles françaises et camerounaises à Montpellier, qu'il y a deux volets, il y a un volet recherches dont j'assume la présidence, et un volet artistique, culturel et patrimonial qui est dirigé par Blick Bassy.
La vocation de cette commission est véritablement de travailler de façon indépendante sur le rôle et l'engagement de la France au Cameroun dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d'opposition de 1945 à 1971. Où on en est de notre travail ? Eh bien, la commission a été impulsée et elle a été, on va dire, mise en place lors de notre voyage avec Blick Bassy, début mars 2023, et nous avons vocation depuis à travailler, et nous sommes au travail.
Alors on parle des faits qui se rapportent pour certains à plus de 70 ans. Est-ce que, du coup, ça ne rend pas votre travail un peu plus difficile compte tenu de l'érosion du temps justement, parce que les témoins, certains d'entre eux, la plupart, sont malheureusement décédés aujourd'hui ?
Alors, c'est sûr que si vous m'aviez dit de commencer ce travail il y a dix ans, je pense que ça aurait été beaucoup plus simple, ça aurait été bien mieux, c'est évident. Mais c'est vrai que nous avons encore des témoins vivants, il faut en profiter, il faut se dépêcher, c'est pour ça que j'ai trouvé que l'équipe de Blick a commencé par interviewer les personnes les plus fragiles, les plus âgées, ce que nous, nous n'avons pas aussi ponctuellement manqué de faire quand c'était nécessaire pour attester certains points de nos archives officielles. Je pense que c'est une chance, même si les témoins sont peu nombreux, c'est une chance folle de pouvoir récoler encore la parole de ces ainés et de pouvoir les intégrer dans ce travail.
Avez-vous déjà pu accéder aux archives camerounaises, et si oui, dans quel état sont-elles ?
Ecoutez, les archives camerounaises, elles sont évidemment très importantes parce que nous avons besoin de croiser les archives, même si une partie des archives dites coloniales sont souvent présentes dans les centres en France et au Cameroun, oui nous avons déjà pu avoir accès à certaines archives, notamment à Buéa, à Bamenda, dans des archives préfectorales, sous-préfectorales. En mars dernier, nous avions rencontré avec Blick Bassy, le ministre du Minac [ministère des arts et de la culture, NDLR] qui nous avait autorisé l'accès aux archives nationales de Yaoundé, mais comme vous le savez ces archives sont aujourd'hui en déménagement. Donc, pour l'instant, on n'a pas pu encore voir une partie de ces archives... Il y avait énormément d'archives en France, il y avait une très grande attente aussi des chercheurs camerounais de la commission par rapport à ces archives, et on a voulu les rassurer aussi en leur montrant que toutes ces archives étaient accessibles, notamment les archives militaires, notamment les archives diplomatiques. Nous avons déjà scanné une très très grande partie des archives militaires française qui étaient un peu, on va dire, ces archives que tout le monde pensait ne pas pouvoir voir... Et puis, les chercheurs de la commission, Camerounais, Français, ont vocation à travailler sur des archives classifiées en cours de déclassification.
Alors vous êtes depuis six mois pied au plancher. Est-ce que, du coup, à ce stade, vous êtes satisfaite du niveau de vos découvertes ?
Moi je suis très satisfaite, parce que je pense que nous avons une fenêtre pour travailler cette histoire. Que ce soit au Cameroun, mais que ce soit aussi en France, c'est un pan d'histoire qui n'est pas connu des Français ou très peu connu des Français, du grand public, et nous avons vocation aussi à faire rentrer cette histoire dans les programmes scolaires, comme la guerre d'Algérie qui a mis par exemple très longtemps à rentrer dans les programmes scolaires français, qui aujourd'hui y est bien installée et il y a vraiment beaucoup à faire aussi du point de vue français.
Le choix qui a été porté sur vous-même et le chanteur Blick Bassy a été critiqué par certains historiens et des figures de l'Intelligentsia camerounaise. Est-ce que depuis vous avez pu échanger avec certains de ces critiques et êtes-vous parvenue à dissiper leurs doutes sur votre légitimité à conduire cette commission ?
Ecoutez, moi je ne sais pas, je ne vais pas répondre pour Blick, je pense qu'il s'est déjà exprimé sur ce sujet, donc je ne vais pas répondre à sa place. Mais ce que je peux dire c'est que pour ceux qui doutaient de la sincérité de mon travail, je les enjoins à peut-être, avant de critiquer, lire ma thèse qui est publiée chez L'Harmattan, qui s'appelle "Leaders assassinés en Afrique Centrale au tournant des indépendances", et qui traitait des cas de Félix Moumié et de Ruben Um Nyobe. Et je ne peux pas considérer que je pourrais être potentiellement la seule à pouvoir diriger cette commission. En tous les cas, les orientations de mes travaux de recherches, les dix ans qu'il m'a fallu pour faire cette thèse, les nombreux colloques que j'ai faits, les articles que j'ai pu écrire, et tout l'engagement qui me caractérise, font que peut-être que je ne pouvais pas être la seule à diriger cette commission. Mais en tous les cas, je ne me sens pas du tout illégitime à le faire.
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