Jérôme Gence: «Les enfants sont-ils vraiment plus en sécurité sur les écrans qu'à l'extérieur ?»
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Interdire le portable à l'école, c'est l'expérience qui est menée dans 200 collèges français depuis le début de la rentrée scolaire. En moyenne, les adolescents passent 36 heures par semaines devant les écrans. Le fléau, qui s'est accentué après le Covid, est illustré dans une exposition photographique que l'on peut voir jusqu'à dimanche à Perpignan, au festival Visa pour l'image dont RFI est partenaire.

Grandir dans la cour d'écrans, un photoreportage de Jérôme Gence exposé à l'église des Dominicains à Perpignan du 31 août au 15 septembre 2024 dans le cadre du festival Visa pour l'image.

RFI : Pour votre travail photographique intitulé Grandir dans la cour d'écrans, vous avez sillonné la France pour montrer l'addiction des jeunes aux smartphones, aux jeux vidéo. C'est un fléau qui envahit l'espace familial, l'école dès le plus jeune âge. Vous parlez de génération d'enfants d'intérieur, que voulez-vous dire ?
Jérôme Gence : Je me suis rendu compte à travers ces trois, quatre années de reportages que je photographie beaucoup à l'intérieur. Aussi bien dans les classes, mais aussi à la maison... Et, pour comprendre la relation d'addiction des enfants aux écrans, je pense qu'il faut se référer au monde réel. Ce succès des mondes virtuels chez les plus jeunes vient de deux choses. Parfois de l'addiction-même de leurs propres parents. Et aussi des maux de notre société. On est dans notre société où l'on essaie, à l'aide des nouvelles technologies, de limiter tous les risques. Bien souvent, chez les parents, il y a tout un discours qui tend à dire que les écrans sont à un endroit où on se sent plus en sécurité qu'à l'extérieur. Mais est-ce que c'est vrai ? C'est une question que je pose à travers ce reportage.
Les parents ou l'école d'ailleurs, est-ce qu'ils font assez pour lutter contre ce fléau des écrans ?
La grande majorité des parents que j'ai rencontrés m'ont dit qu'ils se sentent complètement impuissants et, en plus de se sentir impuissant, on nous culpabilise. D'un côté, vous avez ces parents qui me disent : « Si je donne un téléphone à mon enfant, c'est la porte ouverte à des choses que je ne pourrais contrôler. Mais si je ne lui donne pas, je prends le risque que mon enfant soit exclu d'un groupe à un âge où ils ont besoin d'appartenir, de se sentir identifiés à un groupe. » C'est vraiment un dilemme auquel les parents ont du mal à répondre.
Vous avez illustré les dégâts psychiques sur les enfants. Quels sont-ils ?
J'étais au 30 18, c'est le numéro d'appel où des psychologues aident des jeunes victimes de cyberharcèlement, de « Revenge porn », de chantage à la webcam. L'une des conséquences les plus néfastes, c'est que ces victimes ressentent une injustice. Outre le fait qu'elles vont être rejetées de leur famille, de leurs, de leurs amis, le cercle d'amis, elles se retrouvent toutes seules. Après, vient le problème de réparer le crime, le délit. La justice se retrouve totalement impuissante, la police se retrouve impuissante... Parce que, quand bien même l'on sait qui est derrière cette vidéo, encore fraudait-il trouver les preuves pour condamner les auteurs de ces crimes. Mais pour les victimes, il y a encore un autre problème – et là, je pense plus au chantage à la webcam –, c'est que ces vidéos, ces contenus filmés à leur insu, le sont à vie, comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête puisqu'elles peuvent ressurgir à tout moment dans leur vie future. Cela, pour un enfant, c'est quelque chose d'ultra-problématique. Comment voulez-vous vous construire dans un avenir qui déjà vous menace ?

Je reviens sur l'école, en quelques mots, parce qu'on est en période de rentrée scolaire. Il y a des mesures pour interdire le portable au collège, ce qui est déjà un peu le cas, à vrai dire. Est-ce que c'est une bonne solution ?
Je pense qu'interdire, c'est toujours la méthode la plus facile à court terme. Mais on est face à des plateformes technologiques ultra-puissantes, encore plus puissantes que des États. Surtout, on se rend compte, et c'est le cas par exemple au Népal où TikTok a été banni, que les gens, ils utilisent les VPN pour passer outre. Au final, on fait que contourner le problème et je pense qu'il faut une régulation aussi mondiale. Cela va être, je pense, un des plus grands défis des années à venir.
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