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États-Unis-Ukraine: «L’armée commence à dire, nous ne pouvons pas envoyer beaucoup plus»

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Le président américain a annoncé ce mercredi 24 août une nouvelle aide militaire de trois milliards de dollars à l'Ukraine pour marquer le jour de son indépendance. Cette nouvelle enveloppe devrait permettre à Kiev d’acquérir de nouvelles armes, de financer des formations ou des opérations. C'est la plus importante depuis le début de la guerre, qui entre aujourd’hui dans son septième mois.

Joe Biden
Joe Biden © JimWatson/AFP/POOL
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Entretien avec Mark Cancian, ancien colonel des Marines, aujourd'hui conseiller principal au Centre pour les études stratégiques et internationales à Washington (CSIS), au micro de notre envoyé spécial permanent à Washington.

Mark Cancian :

L'aide américaine est passée par trois phases. La phase initiale, c’était d’envoyer des armes faciles à utiliser, comme des missiles anti-aérien Stinger ou encore des missiles antichar Javelin. Des armes ne nécessitant pas beaucoup d’entraînement, mais que les Ukrainiens pouvaient utiliser immédiatement parce qu’ils étaient en situation de crise. Après ça, les États-Unis et les alliés de l’Otan ont envoyé de l’équipement de l’ère soviétique, que beaucoup d'alliés de l’est de l’Europe avaient encore de leur époque du pacte de Varsovie. C’était facile à envoyer en Ukraine parce qu’ils avaient déjà cet équipement. Ils pouvaient l’utiliser et l’entretenir assez facilement.

 

RFI : Par exemple, quels étaient ces matériels ?

Quelques hélicoptères MI-17, des chars T-72, des missiles antiaériens S-300, et aussi d’autres équipements. Les Ukrainiens ont eu du matériel de remplacement pour compenser leurs pertes. Les Européens de l’Est ont pu se débarrasser de leur matériel de l’époque soviétique et le remplacer par de l’équipement aux standards de l'Otan. Quant à l’industrie de défense, elle a pu vendre plus de marchandises à tout le monde. Tout le monde était gagnant. Quand cela a commencé à se raréfier, l'aide américaine est passée aux armes de l’Otan. Et il y a plusieurs raisons à cela. La première, c'est que c’est bien plus facile à alimenter. Par exemple, pour l’artillerie, les Ukrainiens ont des canons de l’ère soviétique, des 102 mm ou encore des 152 mm. Ce sont de très bonnes armes. Le problème, c'est pour se procurer les munitions. Quand vous ne pouvez pas vous fournir en Russie ou en Chine, les réserves sont très limitées. Je crois que les États-Unis ont acheté littéralement l’ensemble de réserves d’équipement et de munitions aux standards soviétiques. Mais ils avaient besoin de passer aux standards Otan, avec des 105 mm et des 155 mm. Il y a une douzaine de pays qui fabriquent ce genre de munitions, et bien sûr, dans la guerre d’attrition à laquelle nous assistons maintenant, avoir beaucoup de munitions d’artillerie est très important. Les alliés de l’Otan ont envoyé différents types d’équipement de l’Otan, et comme pour le nouvel équipement américain, les Ukrainiens ont dû être formés nos seulement à leur utilisation, mais à leur entretien.

Par exemple, les canons de 155 mm ? 

Par exemple, c’est exact. Les Français ont envoyé des canons Caesar. Les Allemands ont envoyé des canons Panzer 2000, les États-Unis ont envoyé des M777. Ils utilisent tous les mêmes munitions, mais ils sont tous différents. Les Ukrainiens s’en sont bien sortis, mais les besoins de formation ont limité la quantité qui a pu être envoyée. Mais je pense que ce que l’on voit avec la dernière tranche d’aide américaine, c’est qu’à cause de la baisse des stocks, les États-Unis commencent à envoyer des types d’équipement différents.

Parce que les réserves américaines, les stocks, ne sont pas infinis. Donc, ça commence à être un problème pour la défense américaine ?

Il y a une limite à ce que les États-Unis peuvent envoyer avant que cela commence à retirer des armes à leurs propres forces. Beaucoup de ces munitions sont prévues pour les besoins américains. Cela fait prendre des risques. Cela s’est fait pour les Stingers, les Javelins et l’artillerie par exemple. Mais il y a une limite et je pense que l’armée commence à dire : « Nous ne pouvons pas envoyer beaucoup plus de notre équipement actuel. Il faut penser à d’autres types de matériels. Peut-être des choses plus anciennes, très efficaces quand même, mais que nous pouvons prendre dans nos surplus. »

Parce qu’on se souvient que Joe Biden est allé en Alabama, dans l’usine qui fabrique les Javelins, pour remercier le personnel, mais aussi pour lui dire : « II faut continuer à produire ».

Exactement, et les Javelins sont un bon exemple, parce que c'est une production continue. Les États-Unis en produisent à peu près 1 000 par an, mais nous en avons donné 8 500 à l'Ukraine. Nous avons augmenté la vitesse de production, mais il va falloir de nombreuses années pour les remplacer. Et en fait, j'ai été un peu surpris que la dernière tranche d'aide comprenne des Javelins. Parce que je crois qu'on en arrive au point où nous ne serons pas capables d'en envoyer d'autres avant un rattrapage de production.

Un autre problème, c'est que les Ukrainiens, depuis le début, demandent des avions, demandent des types d'armes que peut-être les États-Unis ne peuvent pas fournir ou ne fournissent pas parce qu'ils ne le veulent pas ? 

Oui, il y a deux types d'armes que les États-Unis n'envoient pas. D'abord, il y a des choses qui sont très complexes. Les Ukrainiens ont par exemple demandé des chars et des avions de combat. Le problème, c'est que cela prendrait un ou deux ans pour mettre en place le programme de formation pour l'utilisation, l'entretien et l’aspect logistique pour un nouvel avion, un F-16 ou un char M1, par exemple. À long terme, ce serait une bonne idée, mais cela ne va pas aider pour la guerre dans les six prochains mois. Il y a aussi un autre type d'équipement que les États-Unis sont réticents à envoyer à cause du risque d'escalade. Le plus connu concerne les missiles à longue portée, qui peuvent être tirés d'un système HiMars dont les Ukrainiens disposent. Mais parce qu’ils peuvent faire 300 kilomètres, il peut frapper loin dans le territoire russe. Et les États-Unis sont inquiets que ce soit pris comme une provocation et que cela intensifie la guerre. Et les Ukrainiens n'en ont pas vraiment besoin sur le champ de bataille.

À partir de maintenant, quelles sont les possibilités pour augmenter l'aide militaire ? Si je vous entends bien, ce n'est pas un problème financier ; manifestement les États-Unis et la Maison Banche veulent continuer à aider l'Ukraine, mais ils vont se heurter à une sorte d'obstacle technique.

Il y a beaucoup de gens pour dire : « Envoyez juste beaucoup d'équipement là-bas. » Mais les Ukrainiens ont besoin de temps pour apprendre à les utiliser et à avoir suffisamment de personnel pour les utiliser. L'un de leur problème, c'est que si vous voulez former quelqu'un sur un HiMars américain ou un Caesar français, il faut retirer cette personne du front, l'envoyer en France, l'entraîner pendant trois, quatre, voire cinq semaines, ou tout le temps nécessaire et ensuite le renvoyer. C'est très difficile de retirer des soldats du front quand vous vous battez tous les jours et que vous avez besoin de toutes vos forces sur le front. Donc cela limite la formation que vous pouvez mettre en place, et donc la quantité d'équipement que vous pouvez envoyer. Ceci étant dit, les pays de l'Otan ont envoyé beaucoup d'équipement et cela va continuer. Il faut aussi noter que des choses qui ne se remarquent pas comme les munitions pour l'artillerie ont une énorme importance. Parce que quand les armées sont au contact, en particulier dans une situation comme nous avons aujourd'hui où les lignes de front sont assez stables, cela commence à ressembler à la Première Guerre mondiale, avec des armes du XXIe siècle. Et cela veut dire qu'il y a beaucoup de tirs d'artillerie. Les Français l'ont appris de leur propre histoire, en particulier de la Première Guerre mondiale, il faut énormément d'artillerie et cela reste toujours vrai aujourd'hui. C'est vraiment important de maintenir ce flux sur le terrain, même si ce n'est pas visible ou spectaculaire.

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