Que reste-t-il du Hamas après la mort de Yahya Sinwar?
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Le Hamas vient de confirmer la mort Yahya Sinwar, tué mercredi 16 octobre par l’armée israélienne qui le traquait depuis des mois, ravageant au passage la bande de Gaza. Soulagement côté israélien après la mort de la tête pensante du Hamas, dont il avait pris la direction depuis la mort d’Ismaïl Haniyeh cet été et considéré comme l'architecte de l'attaque du 7 octobre 2023. Le Hamas affirme que la mort de Sinwar « renforcera » le mouvement. Que reste-t-il du mouvement palestinien ? Éléments de réponse avec Thomas Vescovi, chercheur indépendant spécialiste d’Israël et des territoires palestiniens. Auteur de « L’échec d’une utopie, une histoire des gauches en Israël », éditions La découverte.
RFI : Qu'est-ce que ça change le décès de Yahya Sinwar pour le Hamas ?
Thomas Vescovi : Disons qu'il est certain que là, nous venons de tourner la page d'une séquence qui était la séquence Yahya Sinwar. Un petit peu comme le Hezbollah tourne la page de la séquence Nasrallah. Ce qui va advenir par la suite dépendra naturellement de la manière par laquelle les Israéliens vont continuer ou non à mener la guerre dans la bande de Gaza.
Cependant, il faut rester très prudent dans l'idée que c'est la fin du Hamas dans la bande de Gaza, puisque ce qui conditionne la continuité de la présence d'une organisation sur un territoire tel que Gaza, donc en guerre, ça va être d'abord sa capacité à recruter de nouveaux membres, à maintenir des activités armées et surtout à se poser comme seule alternative de gouvernance.
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Et là, à l'heure actuelle, quand on voit les réactions sur les réseaux sociaux notamment, ça questionne beaucoup la raison pour laquelle les Israéliens ont diffusé ces images de Yahya Sinwar avant sa mort, où il est véritablement mis par une partie des Palestiniens et même par beaucoup de monde, presque comme un héros qui, jusqu'au bout, a combattu armes à la main.
On le voit blessé, essayer même de repousser un drone avec une barre de fer alors qu'il est très gravement blessé déjà.
Ce qu'il faut réussir à comprendre dans ces images et c'est une interrogation qu'il faudra avoir dans les prochains jours, c'est l'image qui a été donnée de Yahya Sinwar depuis plusieurs mois qui était celle de quelqu'un terré dans des tunnels avec sa famille alors que son peuple se fait massacrer dans Gaza. Et là, l'image de la mort qui est donnée est celle de quelqu'un qui est assez seul avec ses deux gardes du corps et qui jusqu'au bout combat l'armée israélienne.
Il n'a pas du tout été tué dans un tunnel mais en plein jour apparemment. En plus, sans être visé personnellement par Israël puisqu'il a été tué au cours d'échanges de tirs autour de combats. Ça veut dire qu'Israël ne savait pas où il se trouvait malgré tous les efforts et tous les moyens de l'armée israélienne ?
Pour l'instant, les éléments qu'on a en tout cas montrent qu'Israël est tombé sur lui un peu par hasard. Il ne savait pas que c'était lui jusqu'à arriver à son cadavre. Dès lors, c'est vraiment la question. C'est-à-dire que j'entends même parfois des gens expliquer qu’on va maintenant déployer l'Autorité palestinienne ou le Fatah dans la bande de Gaza. En l’état, sans forcément dire que le Hamas va être renforcé — puisque la situation de désastre est telle que ce terme de renforcement me pose problème —, mais par contre, considérer qu'on pourra continuer à gouverner Gaza sans le Hamas, alors même qu'on vient de placer ses principaux leaders à des rangs quasiment de héros tués par l'armée israélienne en combattant. Ça va être très compliqué de les remplacer.
A-t-on une idée du soutien dont ils bénéficient à Gaza parmi la population palestinienne ?
Je suis très prudent sur les sondages qui sont fait en situation de guerre, puisque ça va dans les deux sens. Vous pouvez trouver certains sondages, qui sont tout à fait fiables, mais qui expliquent qu'il y a un réel ressenti de la population de Gaza à l'égard du Hamas. Et d'autres sondages qui, au contraire, continuent à dire que le 7-Octobre a été une opération de résistance.
Ce qui va déterminer la persistance ou non du Hamas dans la bande de Gaza, est vraiment lié à la capacité de l'organisation à recruter et à se poser en seule alternative de gouvernance. Et pour le moment, je ne vois pas comment est-ce qu'on pourrait faire autrement dans la bande de Gaza, comment on pourrait outrepasser le Hamas vu l'imaginaire qui est créé autour de ses principaux leaders.
Qui pour succéder à Yahya Sinwar ? On imagine qu'un successeur sera nommé assez rapidement sans forcément de grandes difficultés. Mais est-ce qu'il reste au sein du mouvement des personnalités importantes et influentes ?
Oui, il en reste évidemment d'abord dans la diaspora. Peut-être pas en Cisjordanie, ni dans la bande de Gaza, ça, ce sera complexe. Mais c’est certain que quelqu'un va être nommé assez rapidement. On le saura dans les prochains jours. Mais en l'état, ce qu'il faut mesurer tout de même, c'est que ce qui va continuer à alimenter les réseaux de résistance armée ou de recrutement des combattants palestiniens, ce n'est pas le leader, ou le responsable, c'est véritablement la situation d'injustice, d'impunité et d'oppression que vivent les Palestiniens qui va alimenter tout ça.
A-t-on une idée des forces du mouvement du Hamas aujourd'hui qui est visé, depuis un peu plus d'un an maintenant par Israël, avec deux figures qui ont été tuées en quelques mois, des bombardements qui ont complètement ravagé Gaza. Est-ce qu'on a une idée du nombre de combattants, de personnalités qui composent aujourd'hui le Hamas sur place, hors diaspora ?
Les chiffres que donnent les autorités israéliennes font état d'au moins 10 000 combattants du Hamas qui auraient été tués. Là, encore une fois, il faut être assez prudent puisque qu'est-ce qu'on entend par un combattant, puisqu'il y a plusieurs organisations dans Gaza armées qui existent ? Le Hamas, c'est évidemment la plus importante.
Ce qui va être important, et le média CNN a fait une enquête assez importante cet été sur ça, c'est de regarder la capacité des différentes brigades dans la bande de Gaza à rester présentes sur le territoire et à se renouveler. Et on voit qu'en fait, même des brigades qui avaient été complètement décimées par l'armée israélienne parviennent progressivement à se réimplanter dans différentes zones, avec évidemment des forces, des moyens militaires moindres que par le passé nécessairement, mais restent présentes et continuent à contrôler des zones.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'armée israélienne n'arrête d'aller d'une zone à une autre et d'y revenir, parce que dès que l'armée israélienne quitte une zone, la zone est immédiatement quasiment réinvestie par différentes organisations principalement liées au Hamas. Parce que la nature ayant horreur du vide, à chaque fois différentes organisations s'y implantent.
Selon vous, le décès de Yahya Sinwar pouvait laisser la place à une aile moins dure au sein du mouvement et notamment dans le cadre des négociations avec Israël et de la libération des otages ?
Ça me paraît complexe à envisager dès maintenant. Dès lors que Yahya Sinwar était vraiment la personne qui décidait en dernier recours des négociations et de ce qu'on allait accepter ou non, j'ai du mal à considérer maintenant que quelqu'un puisse prendre la tête du Hamas et faire un ensemble de concessions à Israël tellement la situation justifierait, du point de vue en tout cas du Hamas, d'être encore plus raide sur les conditions d'un cessez-le-feu, puisqu'ils n'ont plus rien à perdre, quelque part.
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