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Seidik Abba (Journaliste): «Le second tour de la présidentielle au Niger reste ouvert»

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Au Niger, vers la première alternance démocratique dans le pays alors qu'on s'achemine vers un second tour qui va opposer Mohamed Bazoum à l'ancien président Mahamane Ousmane. Le journaliste et essayiste Seidik Abba, spécialiste des groupes terroristes dans la zone du Sahel parle d'un exemple pour la région... Il répond aux questions d'Esdras Ndikumana.

Seidik Abba est un journaliste et écrivain, spécialiste des groupes terroristes dans la zone du Sahel.
Seidik Abba est un journaliste et écrivain, spécialiste des groupes terroristes dans la zone du Sahel. © RFI/Sébastien Bonijol
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RFI: Les partisans de Mohamed Bazoum, arrivé en tête du premier tour de la présidentielle au Niger, avaient tablé sur une victoire au premier tour - un coup ko - comme cela s’est passé récemment dans des pays voisins comme la Guinée, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire... Ce n’est pas le cas. Est-ce que c’est une surprise ?

Seidik Abba: Non, en réalité pour qui connaît bien la sociologie politique du Niger, ce n’est pas une surprise parce que depuis février 1993, il y a toujours eu un second tour lors des élections présidentielles organisées au Niger. Ce n’est donc pas une surprise. C’est le « coup ko » qui aurait été une surprise.

Il y a eu un émiettement de voix. À la différence de l’élection de 2016 où il n’y avait que 15 candidats, aujourd’hui on s’est retrouvé avec 30 candidats. Cet émiettement de voix a profité aux candidats qui ont un appareil politique important, une vraie assise politique.

Mohamed Bazoum a obtenu 39% des voix. C’est beaucoup moins que le président Mahamadou Issoufou, au premier tour, en 2016. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a d’abord le fait que le président Issoufou était le président sortant. En 2016, il a obtenu à peu près 48% et il avait également un fief qui est la région de Tahoua et qui lui est incontesté où il a une vraie assise et où il est porté par un électorat. Le fief de Bazoum était disputé entre lui et l’ancien président Mahamane Ousmane.

Il y a aussi une partie de l’électorat nigérien qui n’a pas manqué d’être déçu. Pour certaines régions du pays, c’est le fait que l’insécurité se soit aggravée entre 2011 et 2020 et, pour d’autres, notamment les centres urbains, c’est le sentiment général de corruption dans le pays.

Il y a aussi la déception de la jeunesse. Compte tenu du contexte économique difficile, beaucoup de jeunes n’ont pas trouvé d’emploi.

Donc l’ensemble de ces facteurs réunis ont alimenté un sentiment de déception qui s’est traduit dans les urnes par le rejet du système PNDS [parti au pouvoir], notamment dans les centres urbains.

Mahamane Ousmane n’a obtenu, lui, que 16%, malgré le soutien de Hama Amadou considéré comme le principal opposant au Niger, mais dont la candidature a été invalidée par la Céni. Comment peut-on l’expliquer ?

Je pense que l’appel à voter pour Ousmane, lancé par Hama Amadou, a largement joué en sa faveur. Sans cet appel, je n’aurais pas pensé que l’[ancien] président Ousmane serait arrivé deuxième puisque le président Ousmane avait été candidat lors des scrutins de 2016, lors des scrutins de 2011 et n’avait pas réuni autant de voix que cette fois-ci.

Et à la différence de son challenger [Bazoum] pour le second tour, le président Mahamane Ousmane n’a pas un grand appareil politique derrière lui. Il avait créé la CDS Rahama mais il a perdu. Donc là, il se présente sous l’étiquette d’un nouveau parti, un parti tout jeune qui n’a pas toutes les capacités de mobilisation du PNDS.

Si on regarde ces résultats, l’écart est assez conséquent entre les deux candidats qui vont s’affronter au second tour. Est-ce que les jeux sont déjà faits ?

Non. Le scrutin n’est pas du tout plié, au contraire, tout dépendra des logiques de grandes coalitions qui vont se former pour le second tour et tout dépendra aussi de la réserve de voix que l’un et l’autre candidat peuvent mobiliser pour ce second tour.Le scrutin reste encore plus ouvert que le premier tour, malgré l’écart de voix qui sépare les deux candidats. Mais tous ces éléments font qu’aujourd’hui le scrutin reste globalement ouvert avec pour chacun des candidats le même capital de chance.

Nous assistons à la première alternance démocratique au Niger depuis son indépendance, en 1960. Le président sortant Mahamadou Issoufou a estimé, il y a deux jours, que le Niger est devenu « un modèle de démocratie en Afrique et dans le monde ». Quel est votre avis ?

Le fait qu’il remette demain le pouvoir à un président élu est, je pense, de nature à consolider l’expérience démocratique au Niger et à donner un signal à d’autres pays africains. Quand on prend l’exemple de ce qui s’est passé en Guinée, en Côte d’Ivoire… dans la sous-région, il y a une tentation au troisième mandat et le président du Niger a résisté à ce troisième mandat. Il faut le mettre à son crédit. Je pense que tout cela est de nature à envoyer un bon signal, notamment dans les pays francophones, et cela doit être salué.

Malgré cela, des activistes de la société civile estiment qu’une démocratie, ce n’est pas seulement l’alternance au sommet de l’Etat, en pointant des violations des libertés et des droits, notamment celle de manifester ou la liberté de la presse...

La démocratie ne peut pas se réduire à une alternance démocratique, à des élections libres. Il faut des institutions fortes. Or, au Niger, on l’a vu à l’occasion de plusieurs événements que les institutions, une justice indépendante, un parlement qui fonctionne et qui assume… tout cela n’a pu être encore construit. Ce sont des éléments à construire.

Donc, autant on doit se réjouir de cette alternance démocratique, autant il faut appeler et insister pour que le pays soit doté d’institutions fortes qui puissent assurer des arbitrages, notamment une justice indépendante. Or, à l’occasion de plusieurs événements, on a vu qu’il y avait des difficultés sur le plan de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il y a aussi l’expérience de la liberté de la presse… tout cela doit être consolidé parce que c’est un package et aucun des piliers ne doit être négligé au profit d’un autre.

 

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