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Ouganda: «On présente le pays comme une réussite, mais sur le plan démocratique c'est tout le contraire»

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C’est la première économie de l’Afrique de l’Est, et ce dimanche 9 octobre 2022 elle fête ses 60 ans. Il s’agit de l’Ouganda, la « perle de l’Afrique » selon les mots de l’ancien Premier ministre britannique Winston Churchill. Soixante-ans après, que reste-il de son éclat ? Après les régimes de terreur d'Idi Amin Dada et de Milton Obote, l’actuel président Yoweri Museveni est au pouvoir depuis presque 40 ans. Les dernières élections ont été parmi les plus violentes, faisant plus de 50 morts. L’Ouganda à 60 ans, quel bilan ? Éléments de réponse avec Jean-Claude Félix-Tchicaya, chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).

Incendie causé par l'explosion d'une bombe près du bâtiment du Parlement à Kampala, en Ouganda, le 16 novembre 2021.
Incendie causé par l'explosion d'une bombe près du bâtiment du Parlement à Kampala, en Ouganda, le 16 novembre 2021. © AFP / IVAN KABUYE
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RFI : Dans quel contexte intervient ce soixantième anniversaire de l'indépendance de l'Ouganda ?

Jean-Claude Félix-Tchicaya : Dans un contexte toujours tendu sur le plan politique et sur le plan économique, même si on présente l'Ouganda comme une « perle économique ». Son fond d'écran est une dictature, et souvent, on dit et on répète que ce serait une réussite dans l'Afrique de l'Est, mais sur le plan démocratique et sur le plan dictatorial, c'est bien tout le contraire.

Au départ, le président Yoweri Museveni promettait de libérer l'Afrique et l'Ouganda de ces dirigeants qui restent trop longtemps au pouvoir. Presque 40 ans après, il est toujours là, comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Au départ, il a libéré l'Ouganda du régime d'Amin Dada, ce sanguinaire dictateur, dont rien que la prononciation du nom sur le plan mondial crée l’effroi. Donc Yoweri Museveni arrive au pouvoir en 1986, en énonçant un diagnostic qui n'était pas seulement un diagnostic pour l'Ouganda, mais bien pour l'Afrique, comme il l’a bien dit et souligné, sur une problématique de présidents qui s'accrochaient à leurs régimes. Sauf que depuis cette déclaration, il a changé la Constitution plusieurs fois. Ça fait plus de 30 ans que ce monsieur est au pouvoir. D'un diagnostic qui était bon, il a fait diamétralement le contraire pour se maintenir au pouvoir et donc devenir un dictateur.

On prétend que Yoweri Museveni aurait restauré la stabilité et la croissance économique de l'Ouganda, est-ce que cela correspond à la vérité ?

Il est arrivé au pouvoir en menant une politique économique qui a créé une classe moyenne, sauf qu'il l’a laissée assez vite, en allant vers un marxisme-léninisme complètement lunaire et fermé, pour adopter une politique sociale-démocrate et ultra libérale aujourd'hui, avec une croissance qui peut être enviée par bien des nations sur la planète. Le résultat de la croissance est à plus de 7%, sauf que la traduction dans le quotidien de l'ensemble de la population ougandaise est que 50% des Ougandais vivent avec un dollar par jour.

Comment expliquez-vous sa longévité ?

Il a travaillé à la fondation de plusieurs partis à l'intérieur même de l'Ouganda. Il a travaillé avec des partis jouissant d’une influence régionale et sous régionale, où parfois, il déstabilise, ou mène des incursions économiques pour piller d'autres pays sur le plan économique. Sur le plan géopolitique aussi, il a été présenté comme un bon élève du FMI, de la Banque mondiale, et souvent soutenu par les États-Unis et la Grande-Bretagne. Il utilise de manière habile son influence géostratégique et géopolitique sur le plan sous régional et régional. Malgré ses frasques, il s'est auto-nommé comme dictateur merveilleux, sauf que le merveilleux, il y a bien longtemps qu’il lui a tourné le dos, et vice-versa.

L’Ouganda est-il prêt à tourner la page à Yoweri Museveni, qui pourrait lui succéder ?

L'Ouganda n'a jamais eu de problématique de maturité en ce qui concerne l'opposition. Mais elle a souvent été matée dans le sang. Le père, qui montre quelques fragilités après toutes ces décennies au pouvoir, prépare son fils comme une succession dynastique. Bobi Wine, le chef de l'opposition, plus que très apprécié par la jeunesse et par ceux qui sont moins jeunes en Ouganda, travaille à être l'alternative qui soit beaucoup plus en phase avec la modernité. Il (Museveni, NDLR) craint, je pense, la montée politique de cette opposition, qui est plus en phase avec les aspirations des jeunes et des moins jeunes ougandais.

Bobi Wine est-il une alternative crédible ?

Oui, c'est une alternative plus que crédible, certains voudraient pointer le fait qu'il soit chanteur, sauf qu'il a un projet politique. Sur le plan intellectuel, il est doté d'une épaisseur et d'une vision politique très affirmée. Il a une équipe extraordinairement brillante qui est d'ailleurs souvent embastillée comme lui, relâchée, reprise, intimidée… La démocratie n'est pas au centre du régime de Museveni, mais au centre de sa nation se soulèvent - en tout cas se préparent - des aspirations tout à fait légitimes de jeunes et de moins jeunes ougandais qui aspirent à un changement, même si les Museveni préparent une succession dynastique.

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