«Kel Tinariwen»: trente ans après, retour sur l'histoire d'un album et d'une K7 mythiques avec Keltoum Maiga Sennhauser
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En 1991, le groupe du nord du Mali Tinariwen diffuse une cassette qui va devenir mythique dans tout le Sahara. Pour la première fois à l’époque, des membres du groupe ont enregistré dans un studio. Plus de vingt ans après, cet album -qui s’appelle Kel Tinariwen- est réédité et diffusé sur toutes les plateformes. L’occasion de revenir sur l’histoire, la naissance de cette cassette enregistrée et produite à Abidjan par l’artiste et poète originaire de Kidal, Keltoum Maiga Sennhauser, dite Keltoum, notre invité ce dimanche.

RFI: Avant de nous raconter la création de cette cassette, la première chanson s'appelleÀ l’Histoire. Qu'est-ce qu'elle raconte ?
Keltoum Maiga Sennhauser: En fait je dis dans ce poème : « À l'Histoire, gravée sur l'épitaphe, te séduit, éclaire mon objectif, toi, photographe, cours, saigne-toi, apporte la lumière, ordonne le sursaut sans manière. »
Abin Abin, lui, il le traduit en tamasheq où il demande au peuple de se réveiller et de parler d'une seule voix, d'imposer son identité afin de trouver une place dans notre société. Les Berbères ont bien reçu cet appel-là. Jusqu'à aujourd'hui cette chanson est chantée partout dans les boutiques, des fois quand vous passez vous entendez cette chanson chez les commerçants.
Nous sommes donc en 1991. Vous êtes à Abidjan. Dans quel contexte politique allez-vous produire cette cassette ?
L'histoire vient du fait que nous sommes un peuple qui, à cette époque, a été marginalisé. Il y a eu beaucoup d'exodes, beaucoup de souffrances dans la zone du Nord-Mali et particulièrement la région de Kidal d'où je viens, et d'où viennent aussi les Tinariwen. Moi, j'étais à Abidjan, et ces cassettes mal enregistrées nous sont parvenues, dessus il y avait beaucoup de bruit, de vent, mais on captait quand même quelques mots, donc mon rêve à cette époque-là, c'était de rencontrer ce groupe-là et d'essayer de travailler avec eux afin de sortir quelque chose de plus propre et d’accessible à tous. L’histoire est partie de là, c'était un devoir pour moi.
Vous, en Côte d'Ivoire, les musiciens de Tinariwen, au nord du Mali, en Algérie, comment avez-vous réussi à les convaincre de venir ?
À partir de ce moment-là, j'ai pu les contacter facilement et les rencontrer, et les convaincre de venir à Abidjan avec le soutien des responsables de cette époque-là. On a fait faire des cartes d'identité à cette époque-là parce qu'ils n'en avaient pas et voilà, ils ont fait le trajet jusqu'à Abidjan.
Et donc vous allez les accompagner en studio et découvrir avec eux, pour la première fois, le son des Tinariwen enregistré dans de bonnes conditions…
Les studios, c’étaient les studios JBZ à Abidjan. Il y avait Abdallah, Liya qui s’appelle Diarra et « Abin Abin » : Hassan. Ils sont restés quand même presque une année. C'était le bonheur parce qu’on avait tous envie de découvrir cette musique au-delà des live en guitare, donc c'était découvrir un son vierge où on n’entend que la musique, on n’entend que les voix. C'était vraiment nouveau, comme une naissance, c'était vraiment merveilleux, on ne pouvait pas décrire le sentiment de ce moment-là, c'était super.
Cette cassette va sortir sous le nom Kel Tinariwen. Qu'est-ce que cela signifie ?
On avait simplement donné le nom Kel Tinariwen, ce sont ceux qui habitent le Ténéré, comme on dit le désert. Mais je tiens à souligner quelque chose par rapport au mot « ténéré ». Pour nous, ce n'est pas totalement le vide, en fait les habitants du désert sont discrets : que ce soit les humains ou les animaux, tous vivent en accord avec la discrétion et le respect de cet espace-là. Et nous, surtout dans ma région, les Kidalois sont tous des poètes en fait, donc le désert nous donne cette âme-là de comprendre qu’on est un peu seul, mais on est aussi tout en même temps.
Il y a huit chansons sur cette cassette. Comment l'avez-vous diffusée après l'enregistrement ? Comment a-t-elle été reçue par les populations qui vivent dans le désert ?
C'était une cassette très ambitieuse. J'en ai produit, je ne sais pas, peut-être 5 000, 7 000, je ne me rappelle plus très bien et j'en ai distribué partout : en Algérie, à Kidal, partout ! Elle a joué un rôle de sensibilisation parce qu'elle a beaucoup sensibilisé, les gens ont compris : ça a joué un rôle important dans la cohésion, dans la compréhension des défis qui attendaient tout le monde et qu'on savait difficiles. Et dans la cassette, on a justement annoncé que rien n'est facile et on est toujours en train de vivre ce dont la cassette a parlé : la souffrance et la difficulté du combat. Donc cette cassette a parlé de tout ça, elle a participé à l’éducation politique.
Pour terminer, Keltoum, racontez-nous l’histoire d’une autre chanson de cette cassette mythique des Tinariwen…
Arghane Manine, « ô mon âme qui prend feu », c'est un appel à tous nos sens pour expliquer qu'à force d'être dans un tourment des fois on se perd. Donc cette chanson explique un peu le dilemme que le peuple vit à cette époque-là, et on peut dire toujours : on peut trébucher, mais il faut toujours se relever, il faut savoir retrouver son équilibre.
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