Mayotte: le président des Comores, Azali Assoumani, demande à la France «une pause» dans son plan d’expulsions
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Du nouveau dans le bras de fer qui oppose Moroni à Paris sur l’île de Mayotte. Voilà deux semaines que les Comores refusent de laisser débarquer sur leur territoire les Comoriens en situation irrégulière que la France veut expulser de Mayotte. Or, le président des Comores Azali Assoumani, est de passage à Paris. En exclusivité sur RFI et France 24, il demande à son homologue français Emmanuel Macron de faire une pause dans l’opération Wuambushu, qui vise à expulser de Mayotte quelque 10 000 Comoriens en situation illégale. Le chef de l’État comorien Azali Assoumani répond aux questions de Christophe Boisbouvier et de Marc Perelman.

RFI : La France souhaite expulser 10 000 Comoriens en situation irrégulière dans les semaines à venir. Vous dites ne pas avoir les capacités pour les accueillir. Mais si la France vous fournit un soutien financier, comme par exemple les 150 millions d’euros proposés en 2019, est-ce que vous seriez prêt à accueillir des personnes en situation irrégulière qui reviendraient aux Comores ?
Azali Assoumani : Je ne suis pas prêt parce que la France est un pays de droit. Les gens qui sont en France ne sont pas seulement des trois îles. Il y a des Malgaches, il y a des Rwandais, il y a des Burundais qui sont là et la France accorde des droits aux gens qui sont là. Donc les gens des trois îles qui sont à Mayotte, c’est à la France de les gérer. Maintenant effectivement, puisqu’aujourd’hui il y a des Comoriens qui sont des docteurs, des professeurs à Mayotte, dans un cadre concerté, on peut faire ça pour que les gens qui viennent à Moroni aient quelque chose à faire, c’est une option qu’il va falloir approfondir. Mais je ne vais pas accepter qu’aujourd’hui, les Comoriens qui sont là-bas soient expulsés moyennant de l’argent. Il faut exclure cet aspect-là. On n’achète pas ça. Néanmoins, on est prêt à discuter dans le cadre des relations entre la France et les Comores.
S’il n’y a pas d’accord, est-ce que vous ne craignez pas des représailles de Paris, financières, ou alors par exemple le gel de la délivrance des visas aux Comoriens. Il y a déjà eu un précédent en 2018. Si jamais Paris franchit ce pas, quelle serait votre réaction ? Je vous vois sourire…
Je souris parce qu’effectivement, ça me fait mal, qu’on fasse un peu de chantage avec les visas. Ce n’est quand même pas à la mesure d’un pays comme la France.
Elle l’a déjà fait pourtant…
Justement, elle l’a fait et ça n’a pas donné de bons résultats. C’est pourquoi il vaut mieux qu’on discute pour voir effectivement ce que l’on peut faire pour qu’on puisse maintenir ces relations, dont la France en a grand besoin et nous aussi. Parce qu’effectivement, ce que la France est en train de vivre partout en Afrique, au Sahel, un peu partout, elle n’a pas intérêt à ce que ça se passe en Afrique de l’Est. Ce chantage, moi franchement, je ne cède pas au chantage. Mais je discute : vous avez votre intérêt, j’ai le mien ; on regarde comment on peut capitaliser. Donc, s’asseoir et discuter, avec cela je suis convaincu qu’on trouvera une solution.
Monsieur le président, est-ce que vous avez échangé ces derniers jours ou ces dernières semaines avec votre homologue français, Emmanuel Macron ?
Tout à fait, on a échangé au téléphone, par deux fois. J’ai dit, l’opération telle qu’elle a été lancée, franchement, je ne sais pas ce qu’on a à gagner. Comment aujourd’hui on annonce au vu et au su de tout le monde, avec toutes les caméras du monde qui se tournent vers Mayotte, que maintenant on expulse des Comoriens ? C’est pour cela que j’ai dit : monsieur le président, je ne suis pas d’accord. Néanmoins, si on fait une pause dans cette opération [Wuambushu], on est prêt à discuter, que ce soit entre vous et moi, ou que ce soit entre ministres pour essayer de trouver une solution ensemble.
Vous êtes à Paris en ce moment. Vous allez vous voir avec votre homologue français ?
C’est une possibilité, c’est une hypothèse, mais le plus sûr, c’est que les ministres vont se voir. Avec le président Macron - on s’est parlés au téléphone, donc à chaque fois je sais -, ce n’est pas impossible qu’on puisse se voir.
Donc, votre ministre de l’Intérieur Fakridine Mahamoud et le ministre de l’Intérieur français Gérard Darmanin vont se voir ?
Non. Justement, nous, on a dit que c’est entre gouvernement et gouvernement, parce qu’on ne veut pas poser ce problème de Mayotte et de France en tant que « Intérieur ». Nous avons dit que c’est le ministre des Affaires étrangères, le porte-parole du gouvernement - parce que la ministre de la Défense n’est pas disponible -, et le ministre de l’Intérieur qui viendront pour rencontrer leurs homologues ici pour essayer de discuter, et puis pour trouver une solution au problème.
Que répondez-vous à ceux qui disent que vous faites une sorte de chantage aux migrants, un petit peu comme la Biélorussie avait pu le faire avec la Pologne, ou comme la Turquie a pu être accusée de faire avec l’Union européenne ?
Je n’ai pas compris la question. Quel chantage ? Les passeurs qui laissent les gens aller à Mayotte, ce n’est pas moi. Ce sont les gens qui sont à Mayotte qui laissent les gens aller, et qui gagnent de l’argent comme cela. Moi au contraire, j’ai tout fait pour empêcher les Comoriens d’aller mourir en mer. Le problème de migration ne me concerne pas.
Vous avez parlé il y a quelques jours avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, notamment pour évoquer un sommet mondial pour la Paix. C’est la première fois que vous lui parliez. Est-ce qu’on peut sérieusement imaginer messieurs Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky dans la même conférence ? Est-ce que c’est réaliste ?
Rien n’est impossible. Moi j’y crois très sincèrement, à condition qu’on s’investisse réellement. Donc, j’ai reçu l’ambassadeur de Russie à Moroni, j’ai discuté avec le président Volodymyr Zelensky et j’ai dit même à l’ambassadeur de Russie que, si je condamnais la guerre, la Russie et les Comores, on est amis, mais on condamne la guerre. Et j’ai répété ça à Zelensky.
J’ai dit qu’en tant que président de l’Union africaine, je vais donner tout ce que je peux donner pour qu’on puisse tenir ce sommet pour essayer réellement de trouver une solution à ce problème, et que ça soit aussi une leçon pour les autres guerres inter-États ou intra-États.
Parce qu’effectivement, ce qu’on vit au Soudan, c’est quand même terrible. Je salue l’initiative des États-Unis et de l’Arabie saoudite [pour une trêve au Soudan]. En tout cas, je suis en contact permanent avec les deux généraux [le général Abdel Fattah al-Burhan et le général « Hemedti »]. On discute bien, pour essayer de les convaincre qu’à un moment donné, d’abord il faut une trêve, un couloir humanitaire, puis comment on peut mettre en place un mécanisme de dialogue entre les deux parties. Et là, la solution ne peut venir que d’une solution africaine.
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