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Niger: «La Cédéao veut montrer qu'elle est déterminée», dit le chercheur Arthur Banga

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Réunie en sommet extraordinaire ce jeudi 10 août, la Cédéao a durci le ton vis-à-vis de la junte au Niger en annonçant qu'elle activait sa force militaire dite « force en attente ». Mais elle a aussi affirmé qu'elle continuerait à œuvrer par tous les moyens pacifiques à la restauration de l'ordre constitutionnel à Niamey. Entretien avec Arthur Banga, maître de conférence à l’université de Côte d’Ivoire, docteur en histoire des relations internationales et en histoire militaire

Le président du Nigeria, Bola Tinubu, (centre au premier rang), pose pour une photo de groupe avec d'autres dirigeants ouest-africains avant une réunion de la Cédéao à Abuja, au Nigeria, le 10 août 2023.
Le président du Nigeria, Bola Tinubu, (centre au premier rang), pose pour une photo de groupe avec d'autres dirigeants ouest-africains avant une réunion de la Cédéao à Abuja, au Nigeria, le 10 août 2023. © AP/Gbemiga Olamikan
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RFI : Arthur Banga, quelle lecture faites-vous de ce deuxième sommet extraordinaire sur la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) sur le Niger. Il semble que l’organisation ouest-africaine ait voulu durcir le ton vis-à-vis de la junte en activant sa force en attente ?

Arthur Banga : On peut voir que la Cédéao est déterminée, déterminée à réinstaller le président Mohamed Bazoum au pouvoir. Cette détermination se voit dans l’aspect intervention militaire prévue. Mais en même temps, comme l’a rappelé Bola Tinubu au début en inauguration du sommet, la piste numéro un reste et demeure le dialogue.

Cette force en attente, qu’est-ce que c’est exactement ?

Les forces en attente font partie du mécanisme de sécurité collectif, instauré depuis le début des années 2000 par l’Union africaine et les communautés économiques régionales, dont la Cédéao. Auparavant, la Cédéao avait déjà une force de maintien de la paix qui est l’Ecomog, qui s’est illustrée au début des années 1990 au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée-Bissau. Il était question maintenant de la transformer en force africaine en attente et de l’inscrire dans un système de sécurité collective africain.

Est-ce que cette force en attente est prête ? Est-ce que les pays de l’Afrique de l’Ouest ont les moyens de la mettre réellement en action ?

Comme pour l’ONU, comme pour toute organisation internationale, il n’y a pas d’armée propre. C’est au moment où elle doit s’engager sur un projet militaire qu’elle met en quelque sorte cette force–là en place en tenant compte de la réalité géographique, des capacités militaires de chacun de ses pays et du plan d’opération qu’elle choisit. N’oublions pas que les chefs d’état-major de l’Afrique de l’Ouest ont eu une réunion pendant trois jours pour arrêter des plans et effectifs, et l’équipement militaire qui doit constituer cette force en attente. C’est sans doute le Nigeria qui va constituer l’essentiel des troupes, appuyé par quelques unités qui viendront probablement de Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Bénin.

Malgré l’opposition au Nigeria à une intervention militaire au Niger ?

L’opposition n’est pas qu’au Nigeria. L’opposition à une intervention militaire peut se voir dans d’autres opinions publiques africaines. Elle peut se voir dans le communiqué des anciens Premiers ministres du Niger, dans le communiqué des évêques d’Afrique de l’Ouest. Au Nigeria, le président a la possibilité de contourner l’avis défavorable ou disons la prudence du Sénat. Mais il faut bien comprendre que l’intervention militaire est d’abord et avant tout un élément dissuasif qui participe des négociations. Et chaque étape du dispositif militaire est un élément de pression supplémentaire.

On sent cette fois que la Cédéao souhaite que l’Union africaine, et dans une moindre mesure l’ONU, endosse cette décision d’intervenir militairement. Quelle chance a-t-elle d’obtenir ces feux verts ?

Pour l’opinion internationale, pour la légitimité, même pour la légalité de cette intervention militaire, il serait intéressant d’obtenir des quitus notamment de l’institution panafricaine et de l’institution onusienne. La discussion peut être un peu corsée à ce niveau-là parce que déjà des pays, notamment les pays frontaliers du Niger comme l’Algérie et le Tchad, se sont montrés sceptiques, pour l’Algérie quasiment opposés. On peut penser qu’il y aura le soutien de la France, de l’Union européenne, dans une certaine mesure des Etats-Unis, s’il faut passer par une résolution du Conseil de sécurité, peut-être un veto chinois ou russe dans un contexte géopolitique de rivalités assez intenses. Sans oublier que les diplomaties burkinabè et malienne avaient aussi saisi l’ONU sur les dangers que pouvait avoir une intervention militaire.

Qu’est-ce que l’on sait des divisions au sein de la Cédéao. Le Togo semblait sur la réserve quant à une intervention militaire au Niger. Et malgré tout, la Cédéao est arrivée à présenter un front commun…

Le Togo s’est illustré comme le bras du dialogue avec ces juntes. N’oublions pas le rôle important qu’a joué la diplomatie togolaise dans l’affaire des 49 soldats ivoiriens pris en otage au Mali. C’est une bonne chose. Il ne faut pas couper les ponts avec ces pays-là. Et c’est très important le rôle que le Togo joue aujourd’hui, maintenir un minimum de contacts pour avoir une sorte de partenaire de confiance dans l’ensemble qu’est la Cédéao.

Quelles sont les chances de succès de cette stratégie de la Cédéao alors qu’on voit qu’au Niger la junte a déjà nommé son gouvernement ?

La junte aussi veut montrer qu’elle est ancrée avant de démarrer le dialogue. Ça met dans des positions difficiles, mais c’est de bonne guerre. Après, les positions sont tellement tranchées qu’on se demande quel équilibre on peut trouver. Mais on peut aussi regarder dans l’histoire de la Cédéao, où l’on arrivait souvent à couper la poire en deux : on demandait une transition réduite, dirigée par des civils. Même si le dernier exemple qui était au Mali en 2020 a volé en éclats, suite au deuxième coup d’Etat réalisé par le colonel Assimi Goita, il faut faire confiance à la Cédéao, il faut faire confiance aux capacités africaines de médiation, aux traditionnels arbres à palabres qu’on a. Et puis, il faut percevoir l’intervention militaire, dans un premier temps et je dis bien dans un premier temps, comme une sorte de pression, tout comme les sanctions économiques, pour arriver à un accord négocié le plus tôt.

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