Le mezzé est un voyage qui file au gré des savoirs-faire et des pratiques libanaises en un repas. Une symphonie gustative. Chaque acte de ce repas, sa hiérarchie, son cheminement, sa pensée son aboutissement ne vise qu’à séduire l’âme. Repas merveilleux, délicieusement terrien, condensé de traditions rurales et urbaine, les saveurs sont échelonnées, organisées pour un éveil des sens et de l’âme.

La conteuse de cette table est l’anthropologue Aïda Kanafani Zahar. Directrice émérite de recherches au CNRS, attachée au laboratoire d’anthropologie sociale, elle publie Le grand livre du mezzé libanais, anthropologie d’un savoir séculaire, aux éditions Actes Sud, conte poétique, recueil de 40 années de recherches autour du repas, du partage, du patrimoine culinaire et de la conservation alimentaire traditionnelle.
Pour aller plus loin
→ Mune, la conservation alimentaire traditionnelle au Liban d'Aïda Kanafani Zahar. Édition Maison des Sciences de L’homme.
→ Le mouton et le murier d'Aïda Kanafani Zahar. Édition PUF
→ Mune de Barbara Massaad
Musiques
Bint el Chalabiya de Fairouz
Fasateen de Mashrou Leila
La recette
Feuilles de blettes au jus de bigarades et aux pois chiches entiers
Recette et explication d'Aïda Kanafani Zahar.
Les blettes sont en saison et, bientôt, les oranges amères, bigarades, le seront aussi. Au Liban, la « saison » d’un fruit ou d’un légume porte le nom de mawsam. On dit « c’est le mawsam des olives », des amandes, des fèves, des noix… On dit aussi, en recourant à une formulation poétique, « ce sont les jours des fèves », « les jours de l’amande verte », « de la bigarade » etc. Pour marquer le début d’un mawsam d’un fruit ou d’un légume qui signe sa fraîcheur juvénile, on a recours à la belle expression « c’est la première cueillette de… ». Il n’est pas question de le manquer. Tout le rappelle. Les vendeurs dans leurs boutiques et les marchands sur charrettes en font leur bien fétiche. Les tables des foyers et des restaurants se parent de ces nouvelles mannes et leur réservent l’éminence dans les menus et, sur les tables des mezzés, ils miroitent dans la mise en bouche.
La personnalité de la bigarade (abû sfeir) réside dans la fragrance unique de la fleur du bigaradier, abritée dans le zeste et la pulpe. Son trait distinctif repose sur la quintessence florale qui gratifie l’odorat et le goût. Pourvu d’une délicieuse amertume fraîche, le jus de bigarades est doté d’une saveur acidulée distincte, teintée par une étincelle amère qui chatouille la langue. Son extraction requiert un soin méticuleux et une gestuelle précise dont le but est de le protéger du zeste amer. Pour cela, les oranges, coupées en deux, sont pressées avec la main légèrement, une à deux fois. On évite de récupérer la pulpe, ce que l’on fait d’habitude avec un citron.
Pour quatre personnes
2 kg de blettes
3 cuillerées à soupe d’huile d’olive
Échalotes, deux si petites
2-3 gousses d’ail épluchées et émincées
Pois chiches cuits
Le jus d’une bigarade et demie (associer jus de bigarades et de citron si on estime que le jus de bigarades est prononcé en amertume)
Quelques radis, rouges ou roses
Rincer les blettes, les égoutter, puis séparer les feuilles des côtes qui serviront à la deuxième recette. Comme les feuilles perdent beaucoup en volume, intégrer quelques côtes ciselées. Le plaisir des textures s’en trouve enrichi.
Faire revenir les échalotes émincées finement en les colorant légèrement dans de l’huile d’olive. Rajouter l’ail, le faire revenir sans le colorer*, puis déposer les feuilles de blettes taillées grossièrement (2 cm) et les côtes. Remuer pour mélanger les ingrédients, couvrir et cuire une dizaine de minutes à feu moyen. Ne pas sur-cuire. Incorporer quelques pois chiches entiers. Saler modérément car la blette a une saveur naturellement salée. Mélanger doucement le tout (les feuilles de blettes cuites sont très fragiles), puis disposer dans un plat. Avant de servir, arroser avec le filet de jus de bigarades. Déguster avec des radis.
*Puissant de saveur, l’ail est l’un des condiments les plus délicats du règne végétal quand on le fait revenir dans l’huile. En aucun cas il ne doit roussir sinon il racornit et développe une amertume désagréable.
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