Assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon: «Il ne faut jamais clôturer vite un dossier comme celui-là»
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Il y a dix ans, ce 2 novembre, que nos collègues de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés à Kidal, dans le nord du Mali. Ils étaient en reportage lorsqu’un commando d’Al-Qaïda au Maghreb islamique les a enlevés avant de les exécuter, moins d’une heure plus tard, aux portes de la ville. Aujourd'hui, l’enquête judiciaire est toujours en cours en France. Des avancées ont été réalisées, des certitudes acquises, mais des zones d’ombre demeurent. Pour faire le point sur la procédure, Marie-Pierre Olphand et David Baché ont interrogé maître Marie Dosé, l’avocate de l’Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon.

RFI : Dix ans après l’assassinat de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, l’enquête est toujours en cours. Vous vous attendiez à ce que le combat pour établir la vérité soit si long ?
Maître Marie Dosé : Ce sont des dossiers qui prennent nécessairement énormément de temps et parfois même, ils aboutissent à beaucoup moins d’informations mises en lumière que dans ce dossier précisément. Les membres du commando sont identifiés. Nous savons qui ils sont, c’est déjà beaucoup ! Moi, j’ai l’habitude, et je ne veux pas faire de parallèle avec des dossiers précis, mais on sait combien il est difficile dans ces pays de mener des investigations, d’obtenir de vraies coopérations judiciaires. En tout état de cause, là au moins, ce qui s’est passé est délimité. Et ceux qui ont enlevé et tué Ghislaine Dupont et Claude Verlon sont identifiés.
David Baché : Le juge d’instruction en charge de l’affaire a rencontré les parties civiles la semaine dernière. Vous avez participé à cette réunion. Jean-Marc Herbaut a-t-il fait état d’avancées particulières, notables ?
Il y a eu des avancées sur lesquelles il est revenu et notamment des exploitations téléphoniques qui ont permis de mettre en exergue le fait que Ghislaine et Claude étaient surveillés et que d’autres complicités doivent pouvoir être travaillées, parce que ça ne s’est pas arrêté au simple commando. Il y a eu d’autres complicités extérieures. Ça, c’est le premier point. Ensuite, la dernière requête en déclassification auprès du ministère de la Défense a été plutôt fructueuse. Il [le juge d’instruction, NDLR] a obtenu des renseignements précis sur ceux qui portent la responsabilité de ces enlèvements et de ces deux assassinats.
D.B. : Des éléments de biographie ?
Des éléments d’identification et de biographie, mais des éléments suffisamment précis pour pouvoir être exploités. Par contre, ce qui ressort de cette audition de parties civiles, mais nous le savions, c’est qu’il n’y a plus aucune coopération judiciaire entre la France et le Mali, et que là nécessairement, cette instruction va être gelée, ou en tout cas, pendant des mois, peut-être des années, elle va être extrêmement difficile à poursuivre puisque, tout simplement, il n’y a plus de travail possible au Mali aujourd’hui.
M.P.O. : Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a plus d’échanges du tout avec le juge malien en charge de l’instruction ?
Mais c’est pire que ça, il n’y a plus de juge malien en charge de l’instruction ! Il a existé, ils ont pu travailler [les juges français et malien, NDLR]. Il a aidé notamment s’agissant de la récupération de certaines données qui permettent aujourd’hui d’avancer dans la manifestation de la vérité. Mais là, il n’y a plus d’interlocuteur, donc il n’y a plus de coopération. C’est fini.
D.B. : Vous avez parlé de l’exploitation des données téléphoniques. Aujourd’hui, ces données téléphoniques permettent d’établir qu’il y a eu un réseau de complicité plus large qu’imaginé au départ ? C’est sur cela que portent les investigations actuellement ?
Je pense que les magistrats instructeurs n’imaginent rien. Ils ouvrent des portes, puis ils les ferment. Là, en l’occurrence, les exploitations téléphoniques ont montré que depuis leur arrivée à Kidal, il semblerait que Ghislaine et Claude étaient surveillés. Donc, en tout état de cause, il y a eu des complicités extérieures aux membres du commando.
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M.P.O. : Est-ce qu’on sait si ces complicités concernent des personnalités encore vivantes aujourd’hui ?
Il est tout à fait possible que certaines personnes encore vivantes soient actuellement à Kidal et puissent avoir été complices de cette opération. Mais je dis bien qu’il est « tout à fait possible », je ne peux pas vous l’affirmer avec précision aujourd’hui.
D.B. : Cela fait quatre années que le juge d’instruction demande des documents aux Nations unies, notamment des photos qui ont été prises à Kidal par des Casques bleus, peu avant l’enlèvement de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Où en est-on de cette demande ?
Alors, j’avoue que je comprends très mal ce qui se passe avec l’ONU parce que, dans ce dossier, l’ONU a été très ferme sur le Secret Défense et a d’ailleurs vilipendé la France en expliquant que le Secret Défense freinait la manifestation de la vérité. Mais force est de constater que depuis quatre années maintenant, nous attendons des photographies qui ne viennent pas. Le magistrat instructeur n’a tout simplement aucune réponse ! L’Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon s’est adressée directement à l’ONU. J’ai écrit ! J’ai écrit au nom de l’association directement à l’ONU en leur demandant de transmettre ces photographies. Et nous n’avons aucune réponse. Il semblerait que l’ONU ait adressé une réponse qui serait sur le bureau du ministère des Affaires étrangères, et toujours pas transmise au juge d’instruction en indiquant qu’aucune photographie n’avait été prise. Ce qui est absolument impossible. Évidemment que des photographies existent et je ne comprends pas cette réticence, en tout cas ces quatre années où strictement rien ne s’est passé s’agissant de cette coopération.
M.P.O. : Pourquoi ces photos sont-elles importantes pour vous ?
Les photographies sont toujours importantes, notamment parce que trois, quatre jours avant leur enlèvement, il y a eu une manifestation où, peut-être que des complices étaient présents. Peut-être même des membres du commando ? Les photographies doivent toujours être dans les dossiers d’instruction pour pouvoir être exploitées et comparées au fur et à mesure des investigations menées. Donc, c’est toujours extrêmement important.
D.B. : Le juge d’instruction a récemment auditionné Olivier Dubois, journaliste et ex-otage au Mali d’Al-Qaïda, libéré en mars dernier. Olivier Dubois s’est retrouvé face à Seidane Ag Hitta, l’un des principaux chefs du Jnim lié à al-Qaïda, et qui avait personnellement commandité l’enlèvement de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Est-ce que cette audition a apporté de nouveaux éléments ?
Elle a d’abord permis de confirmer une chose : c’est que c’est bien ce véhicule qui était en panne et qui a empêché les ravisseurs de poursuivre leur route, et qui a fait que la voiture s’arrête et que donc, tout le monde descend. Ensuite, ce qu’il a pu préciser, c’est que ce n’est pas lui qui avait ordonné l’assassinat. Cela n’a pas empêché évidemment la revendication. Mais ce n’est pas lui qui l’avait ordonné, ça a été une décision des membres du commando au moment où justement ils ont été obligés de prendre la fuite, ce qui d’ailleurs ne semblait pas avoir surpris ce témoin en expliquant que de toute façon, les jihadistes expliquent qu’à un moment donné lorsque l’on fuit et que les otages refusent de fuir, ils sont exécutés. Je ne sais pas si Ghislaine et Claude ont refusé de fuir. Leurs amis, leurs proches indiquent aujourd’hui, eu égard à ce qu’ils étaient et à leur expérience, que c’est absolument impossible. Là, on ne va pas pouvoir, de toute façon, tisser exactement le scénario de ce qui s’est passé. Mais au moins, cette audition aura permis de confirmer que la voiture s’est arrêtée, qu’ils n’ont pas pu poursuivre leur trajet et qu’à partir de là, tout le monde est descendu et les otages ont été assassinés.
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M.P.O. : Un seul des quatre ravisseurs présumés est toujours vivant. Peut-on envisager qu’il soit appréhendé, interrogé dans le contexte actuel des relations entre la France et le Mali ?
Dans le contexte actuel, non. Absolument pas. Mais il ne faut jamais clôturer vite un dossier comme celui-là. Il faut attendre, il faut persévérer. Il faut essayer malgré tout de travailler. Et puis surtout, il faut espérer que dans un an, deux ans, trois ans, une coopération puisse de nouveau être effective entre les deux pays. Il n’est jamais trop tard, jamais.
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