Le grand invité Afrique

L’humoriste Edgar-Yves au Théâtre des Mathurins à Paris: « Avoir une parole libre ! »

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Edgar-Yves est à l’affiche au Théâtre des Mathurins à Paris. L'humoriste est l’une des figures montantes du stand-up actuellement en France. Français et Béninois, Edgar-Yves est le fils d’un ex-ministre béninois. Un père qu’il n’épargne pas vraiment dans l’un de ses sketchs. D’ailleurs, son humour au vitriol et sa double nationalité lui permettent un discours redoutable à propos des travers des sociétés françaises et africaines.

L'humoriste Franco-béninois Edgar-Yves.
L'humoriste Franco-béninois Edgar-Yves. © Wassim Al Chirazi
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RFI : Votre papa a été ministre des Affaires étrangères en 1995, il a été ambassadeur ici en France et un peu partout en Europe au début des années 2000. À quel moment vous êtes-vous rendu compte qu’il faisait partie des maillons de la chaîne de la corruption et de la prévarication en Afrique ?

Edgar-Yves : Moi, en fait, j’étais gamin, après j’ai grandi, je me suis mis à faire du stand-up, et puis un jour, on m’a dit : « Faites attention, quand on tape votre nom sur Google on tombe sur un mec qui est dans des affaires louches ». Je me suis dit : « Bon, il doit parler de mon père à tous les coups ! »  Et je vais sur Google et je tombe sur une histoire de corruption dans laquelle mon père aurait soi-disant trempé, et ça m’a inspiré pour mes sketchs, ni plus ni moins. Voilà, c’est ça l’histoire.

Et comment on ose en faire un sketch quand on est le fils de son père et de dire que son père a trempé dans des affaires louches ?  

Je suis né naturellement irrévérencieux et je pense que cette irrévérence ne fait que croître avec le temps. Moi, je ne me soucie pas vraiment de ce que les gens pensent. Quand je fais mon travail, je le fais et j’essaie de le faire le mieux possible, de divertir les gens en passant mon message. Après, comment les gens le reçoivent ? Ma famille y compris, c’est leur problème, pas le mien.

En matière de corruption, il y a un sketch qui vous a rendu célèbre : vous parlez d’un certain homme d’affaires français qui a obtenu des contrats portuaires moyennant justement : corruption, on parle de Vincent Bolloré, on parle d’Alpha Condé en Guinée Conakry. Là aussi, à quel moment vous vous êtes dit : tiens, il faut que je parle de ça et que j’en parle de telle manière ?

J’ai commencé par le sketch sur la corruption en mettant mon père en cause et après, j’ai voulu pousser le délire, je me suis dit : attends, allons au bout parce que là, je parle de moi, ça fait rire les gens, il y a une vraie situation avec la Françafrique qu’on pourrait évoquer durant les sketchs. Et si on peut rire en s’éduquant, si on peut rire en dénonçant, vas-y, on le fait. Moi, c’est ce qui m’a donné envie de faire de l’humour et je sais que quiconque embrasse la dimension socio-politique du métier d’humoriste a des chances de marquer son époque.

Ce sketch, il a été censuré sur C8 et Comédie. Là aussi, ce sont des chaines qui appartiennent à Vincent Bolloré. Ça a ajouté à la notoriété de ce sketch et de vous-même, en tant que comique ?

Oui, ça a ajouté à ma légende personnelle déjà, parce que moi, j’aime bien faire chier les gens et là, j’étais sûr que c’était fait au plus haut point possible, donc, j’étais plutôt content de moi, de pouvoir me regarder dans la glace le soir, de ne pas avoir honte de mon comportement, de ne pas me dire : putain, pourquoi t’as baissé la tête et courbé l’échine alors que là, tu n’aurais pas dû le faire ? Ça a fait un tollé parce que du coup, beaucoup de gens se sont emparés du sujet et ça m’a rendu plus visible, c’est sûr.

Ça vous inspire quoi d’être censuré en 2023, ici, en France, pour un « simple sketch » ?

Ça m’inspire qu’il faut arrêter de nous dire qu’en Afrique, on a du progrès à faire sur le plan du respect des libertés individuelles. A priori, on est tous le Congolais de quelqu’un, ici aussi. En France aussi, si tu vas dans une émission et que tu dis un truc qui n’est pas prévu, on te coupe. Ça marche aussi comme ça en France. Donc la conception de la liberté est à deux vitesses sans doute et assez relative, et on a envie de dire à l’Europe de balayer devant leur porte avant de faire le gendarme du monde ! Voilà ce que cela m’inspire.

En même temps, là je m’adresse plutôt au comique béninois, vous feriez des sketchs, alors peut-être pas au Bénin, mais dans un pays africain, en vous en prenant à des hommes de pouvoir en Afrique, est-ce que vous auriez aussi cette même liberté de ton et la liberté de circuler ?

La réponse est non. Mais nous, au moins, en Afrique, on a le mérite de ne pas se faire passer pour ce qu’on n’est pas !! (rires). Bah oui mon gars ! Nous on ne dit pas qu’on est des lumières tu vois ce que je veux dire ?!? Parce que quand tu dis que tu es propre, on a tendance à regarder à la loupe s’il n’y a pas une tache sur le jean. Bon ben, sur le jean européen, il y en a deux, trois, quatre des taches, je te le dis, donc il faut arrêter de se faire passer pour ce qu’on n’est pas, tout le monde doit faire de son mieux et essayer de progresser. Et a priori, l’Europe n’est pas le phare du monde.

Vos sketchs, on les voit partout sur les réseaux sociaux donc on les voit aussi en Afrique, à Cotonou ou à Ouidah. C’est quoi les retours que vous avez ?

Les gens sont contents de voir un gamin de chez eux dire ce que je dis. Ils m’encouragent, ils me soutiennent, ils me donnent beaucoup de force et pour moi, c’est un vrai carburant, parce que vu le discours que je tiens, je ne serai mis en avant ni par les instances politiques, ni par les médias, ni par les médias français. C’est compliqué un discours comme le mien à la télévision, et on le sait très très bien en fait, à part les hypocrites, les menteurs, les voleurs, les tricheurs. Sur quelle émission de TF1 ou de M6 je pourrais dire ce que je suis en train de te dire là ?

Il n’y a pas que TF1 et M6 dans le paysage médiatique français…

Non, c’est vrai ! Mais si tu prends les médias principaux, les mainstreams, sur lequel d’entre eux je pourrais dire ce que je dis là ?

On choisit ses médias en fonction de ce qu’on a envie d’entendre…

Exactement ! donc moi, je choisis les médias en fonction de ce que je peux dire et c’est ce que je suis en train de faire, voilà pourquoi je suis à RFI, pourquoi je passe sur Blast, sur plein de médias indépendants, c’est pour avoir une parole libre. Les gens sont contents que je dise ce que je dis, ils me donnent de la force et ça me suffit. Moi, je n’ai besoin que de moi et des gens, je n’ai besoin de la validation de personne d’autre.

L'humoriste Edgar-Yves est au théâtre des Mathurins à Paris jusqu’au 31 décembre 2023.

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