Guinée-Bissau: «Ce qui s'est passé ne ressemble pas du tout à un coup d'État»
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La Guinée-Bissau connait depuis la fin de la semaine dernière un nouvel épisode de crise. Des militaires sont allés chercher des ministres dans les locaux de la police... Le président Umaro Sissoco Embalo parle de « tentative de coup d'État » et a décidé de dissoudre l'Assemblée nationale... Mais que s'est-il réellement passé ces derniers jours à Bissau ? Le pouvoir a-t-il été menacé par des militaires ou le chef de l'État bissau-guinéen profite-t-il des derniers événements pour tenter de reprendre le dessus face à son opposition ? Décryptage avec notre invité, Vincent Foucher, chercheur au CNRS et spécialiste de la Guinée-Bissau.

RFI : Le président bissau-guinéen affirme que les affrontements de jeudi dernier étaient une tentative de coup d’État de la garde nationale. Est-ce qu’on a des raisons de penser qu’il s’agissait effectivement de cela ?
Vincent Foucher : Dans le contexte actuel en Afrique de l’Ouest, on a vite tendance à mettre l’étiquette « coup d’État » sur les adversaires ; ça permet de gagner de la légitimité, de simplifier et d’expliquer de manière percutante une situation, d’essayer d’attirer de la sympathie. En l'occurrence, ce qui s’est passé ne ressemble pas du tout à un coup d’État. C’est la garde nationale qui s’est rendue à la police judiciaire pour libérer deux membres du gouvernement sous investigation pour des allégations de détournement. Il n’y a pas vraiment eu plus que cela. Il n’y a pas eu de tentative par la garde nationale de prendre le pouvoir, de prendre le Palais, de prendre la radio, enfin tout ce qu’on attend dans des situations de coup d’État. Par ailleurs, la garde nationale n’est pas vraiment en position de lutter contre l’armée qui est beaucoup plus puissante.
Est-ce que du coup, Vincent Foucher, ce qui se joue actuellement, ça n’est pas plutôt un nouvel épisode du long bras de fer engagé par le président Embalo avec le parti PAIGC, un bras de fer qui le contraint à l’heure actuelle à une cohabitation avec le Premier ministre, Geraldo Martins ?
Oui, absolument, c’est essentiellement de ça dont il s’agit. L’arrestation des ministres qui avait été ordonnée par le procureur de la République, lui-même nommé par le président, ressemble à un coup dans la longue partie d’échec jouée entre le PAIGC, qui contrôle le gouvernement et l’Assemblée nationale, et le président de la République, qui est issu d’un autre parti. Dans une constitution comme la constitution bissau-guinéenne où on est dans un régime mixte, ni présidentialiste ni parlementaire, structurellement, on a cette tension entre le président et le Premier ministre. C’est quelque chose d’ailleurs qui existait avant la prise de fonction de Embalo en 2019.
Umaro Sissoco Embalo a décidé de dissoudre le Parlement, ce que le président de ce Parlement, Domingos Simoes Pereira, adversaire de longue date du président Embalo, qualifie de coup d’État constitutionnel. Est-ce que les textes donnent raison à l’un ou à l’autre ?
La Constitution est très claire dans son article 94 : l’Assemblée nationale ne peut pas être dissoute durant les douze premiers mois suivant son élection, et là on en est à huit mois. Donc voilà, le texte constitutionnel est clair. Maintenant, la justice constitutionnelle elle-même est très politique en Guinée-Bissau, elle peut être soumise à des pressions, donc le jeu est sans doute ouvert.
Est-ce que le risque, Vincent Foucher, ça n’est pas qu’une nouvelle fois, l’armée fasse intrusion dans le jeu politique bissau-guinéen pour arbitrer le conflit en cours ?
C’est exactement cela qu’il se passe. En Guinée-Bissau, depuis le coup d’État de 2012, l’armée a compris qu’assumer directement le pouvoir c’était très compliqué pour elle, et au fond, elle exerce une influence, en mettant son poids derrière tel ou tel acteur politique et en se ménageant comme cela des marges de manœuvre. On a vu l’armée intervenir régulièrement en faveur d'Embalo à des moments clé - en 2019, au moment où son élection était très contestée. Et puis, cette fois-ci encore, elle est intervenue contre la garde nationale pour reprendre les deux membres du gouvernement et les remettre en détention. Tout est là, c’est-à-dire qu’on a une armée qui exerce une influence indirecte très importante. Les tentatives de réformes de l’armée bissau-guinéenne, qui est une armée qui, pour des tas de raisons, est compliquée - c’est une armée très âgée, avec une structure déséquilibrée, avec beaucoup de gens en haut et peu de gens en bas dans les rangs, des problèmes de formation, des problèmes de représentativité… toutes les tentatives pour réformer l’armée jusqu’à présent ont échoué. L’armée fait en sorte que le pouvoir en place ne touche pas à ses intérêts, à ses structures.
Est-ce qu’une incursion violente de l’armée dans ce qui est en train de se passer est une hypothèse envisageable ?
Il me semble que ce n’est pas la trajectoire de l’armée bissau-guinéenne de ces dernières années. Encore une fois, le coup d’État de 2012 a été un moment d’apprentissage et l’armée a compris qu’elle avait plus à gagner à défendre ses intérêts de loin, ne pas assumer directement le pouvoir. Maintenant, on peut imaginer des choses. L’armée elle-même d’ailleurs est traversée par des luttes factionnelles, elle n’est pas du tout un acteur totalement unifié. On peut aussi imaginer des jeux de ce point de vue-là.
Que sait-on des affinités politiques de cette armée ? Est-ce qu’elles sont plutôt au PAIGC et au gouvernement d’un côté, ou à la présidence de l’autre ? Ou est-ce que cette armée est divisée ?
Parmi les pouvoirs dont le président bénéficie et qui lui donnent un levier particulier, il a un rôle particulier dans la désignation des chefs militaires et donc, évidemment, ça lui donne une influence sur l’armée. Et puis, au-delà de ça, il y a une forme d’alliance un peu structurelle entre l’armée et Embalo qui n’est pas nouvelle. On a vu d’ailleurs Embalo prendre la parole ces derniers jours portant la tenue militaire - lui-même a eu un petit parcours dans l’armée, il en est sorti général, tout de même - on a donc une vieille association.
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