Le grand invité Afrique

Roukiata Ouédraogo: avec la loi immigration en France, «on se tire une balle dans le pied»

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Notre Invitée Afrique de ce dimanche 31 décembre 2023 nous emmène au Burkina Faso. Humoriste, actrice, conteuse, Roukiata Ouédraogo est également romancière et publie, dans quelques semaines, son second roman, Un espoir rêvé. Une boule d’énergie, un sourire ravageur et une identité bien tranchée, notamment sur les questions de migrations. C’est avec elle que nous terminons cette année 2023.

L'actrice et humoriste burkinabé Roukiata Ouedraogo à Paris, le 13 mars 2019.
L'actrice et humoriste burkinabé Roukiata Ouedraogo à Paris, le 13 mars 2019. AFP - STEPHANE DE SAKUTIN
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RFI : Dans notre monde violent, marqué par des conflits un petit peu partout, qu’est-ce qui, en ce moment, vous fait du bien et pourrait justement apporter un peu de bonheur à nos auditeurs ?

Roukiata Ouédraogo : Quand je regarde mon fils, cette innocence, cette joie de vivre, ça me redonne le moral. Mon fils est assez particulier, il a trois ans et demi mais il a parfois des expressions qui nous scient mon mari et moi. Le matin, par exemple, quand il se lève, souvent il nous dit : « Maman, papa, je suis content de vous voir. » Tu te dis : voilà, je vis, j’ai le droit de vivre et j’ai le droit d’espérer pour ce petit, un vrai bonheur. Moi, ça me donne envie de me battre encore et d’espérer surtout.

Vous publiez Un espoir rêvé, votre second roman, dans quelques semaines, qu’est-ce que vous racontez dans cet ouvrage ?

Un espoir rêvé, c’est l’histoire de deux adolescents, Ella et Lamine, qui se rencontrent dans un camp de déplacés au Burkina. Et Lamine, certain que son avenir est ailleurs, propose à Ella de partir avec lui, mais Ella ne peut pas se résoudre à quitter sa famille Mossi. Ce livre, j’y ai mis vraiment tout mon cœur, j’y ai mis mes tripes et beaucoup d’espoir aussi. C’est un cri du cœur, c’est un hommage, une ode à toutes ces personnes qui quittent leur pays, qui fuient la guerre, la dictature et toute forme de violence pour un avenir meilleur. Et ça fait écho aujourd’hui, parce qu’en fait, la loi sur l’immigration est tombée il n’y a pas si longtemps que cela, mais il me semble qu’elle ne répond ni aux besoins démocratiques de la France, ni à ses besoins de main d’œuvre, ni à son besoin d’activité intellectuelle et culturelle. C’est une loi qui muselle en fait les gens. Moi, je pense qu’on se tire une balle dans le pied. Voilà.  

Vous avez publié récemment cette phrase : « On est tous habités par la peur. La peur de l’autre, la peur de faire le premier pas, la peur de donner, la peur de recevoir aussi et par peur de se regarder en face, on finit tous par indexer l’autre » …

Effectivement, c’est l’autre qui devient le bouc émissaire, c’est l’autre qui devient la chose pas bonne, alors que c’est faux, alors qu’il ne faut pas s’arrêter à cette peur-là. Et effectivement, je convoque Audre Lorde dans mon spectacle, qui est militante, qui s’est battue pour beaucoup de choses. Comme je vous le disais, cette loi est alimentée par de purs fantasmes, comme cette histoire du « grand remplacement ». Je ne peux pas comprendre qu’on ne puisse pas tendre la main à quelqu’un. Je ne peux pas comprendre qu’on s’arrête à la couleur de quelqu’un, juste à sa couleur de peau. Je pense que dans chaque être humain, il y a une part d’humanité, et quand quelqu’un va quelque part, il appelle toute une culture avec lui et on a besoin du métissage. Moi, je me suis enrichie de la culture française, j’ai aussi la culture burkinabè en moi, la culture africaine, et ces deux-là sont quelque chose de précieux pour moi, je me nourris de ça.

Vous avez grandi dans les années 80, est-ce que vous vous considérez de la génération Sankara ?

On avait une chanson avant d’entrer en classe et pendant la fête de l’indépendance des « pionniers » : « Oser lutter, savoir vaincre. Vive la révolution ! En avant pour la révolution ! La patrie ou la mort, nous vaincrons ! » Ça, c’est quelque chose qui m’a marquée. Il était avant-gardiste. Aujourd’hui, on parle de féminisme, Thomas Sankara avait compris depuis longtemps que la femme était le pilier d’une famille, la femme était le socle. Il incarnait beaucoup de valeurs que je partage aujourd’hui, bien sûr.

Et justement, dans votre double-identité, si je vous demandais de choisir une chanson, vous prendriez quel côté ? Ce serait une chanson française ou une chanson du pays, du Burkina Faso ?

(Rires) J’aime beaucoup la musique de chez moi, j’aime beaucoup la musique française aussi. J’aimerais bien une musique festive. J’opterais plus pour Victor Démé parce que c’est beaucoup plus de choses pour moi, ça signifie beaucoup plus pour moi. Victor Démé, « Mousso ».

Parfois, au pays, les doyens terminent souvent leur causerie avec un dicton. Comment terminer notre causerie aujourd’hui ?

Un dicton ? Houlala… Alors… « Il ne faut pas essayer de fuir la bave de la hyène pour se retrouver dans les griffes du lion ». C’est à la société française, en fait, que je dis ça. (Rires). En essayant de fuir, il ne faut pas tomber dans les griffes du lion (rires).

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