Le grand invité Afrique

Série «African Empires»: «Ce projet a à cœur de raconter l'histoire de l'Afrique précoloniale»

Publié le :

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », disait le président français Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 à Dakar. C’est notamment en réponse à ce discours très polémique que vient de sortir la série African Empires (Empires africains en français), qui part à la découverte de l’histoire africaine d’avant la colonisation. De la princesse Yennenga à Shaka Zulu, TV5 Monde et Canal Plus Afrique nous font connaître au plus près les bâtisseurs de l’Afrique précoloniale. Entretien avec le réalisateur Askia Traoré, auteur de l’épisode consacré au conquérant ouest-africain Soundiata Keïta.

Guerriers zoulous effectuant une danse traditionnelle. De la princesse Yennenga à Shaka Zulu, TV5Monde et Canal Plus Afrique nous font connaître au plus près les bâtisseurs de l’Afrique précoloniale.
Guerriers zoulous effectuant une danse traditionnelle. De la princesse Yennenga à Shaka Zulu, TV5Monde et Canal Plus Afrique nous font connaître au plus près les bâtisseurs de l’Afrique précoloniale. AFP - RAJESH JANTILAL
Publicité

RFI : Askia Traoré, pourquoi proposez-vous cette immersion dans le Mali du 13e siècle ?

Askia Traoré : Alors, ce projet est né du producteur Sébastien Onomo, qui avait à cœur de raconter l'histoire de l'Afrique précoloniale. Et donc, il nous a proposé à plusieurs réalisateurs – on est quatre – de faire une série sur quatre empires différents qui ont existé en Afrique précoloniale. Moi, j'ai été chargé de faire celui de l'empire du Mali et de raconter la vie de Soundiata Keïta.

Et pour donner de la profondeur à votre récit, vous faites décrypter l'histoire de Soundiata Keïta par des historiens et des griots maliens. Pourquoi ce choix, au risque peut-être d'alourdir un petit peu le récit, non ?

Le choix, il était important parce que, par rapport à l'histoire de l'Afrique précoloniale, il n’existe pas vraiment de source écrite. Il en existe quelques-unes avec les textes arabes qui ont été créés un peu plus tard, mais sur la création de l'empire du Mali, toute cette histoire a été racontée de manière orale, tout simplement. Donc, il me tenait à cœur de donner aussi la parole à un des plus grands griots connus au Mali, qui raconte aussi cette histoire, Bakary Soumano.

L’historienne Sylvia Serbin, qu'on voit également dans votre film, fait la remarque qu'il y a une grande misogynie dans l'historiographie sur le continent africain. Est-ce que c'est pour cela que justement, en contrepoint, deux des quatre épisodes de votre série sont consacrés à deux grandes femmes de l'histoire africaine, la reine de Koush, dans l'actuel Soudan, et la princesse Yennenga, dans l'actuel Burkina ?

Oui, c'était très important finalement de se réapproprier l'histoire. On est en 2024 et il est important en 2024 de faire découvrir à la jeune population, à la jeune génération que l'histoire – mais même dans toutes les cultures, en fait – a été aussi portée par des figures féminines, pas que des figures masculines comme on a appris.

Et avec ces quatre épisodes, vous mettez un coup de projecteur sur l'histoire africaine avant la colonisation. C'est un choix délibéré, j'imagine ?

Oui, c'est un choix délibéré parce qu’il y a eu le fameux discours et la fameuse phrase de l’ancien président en France, Nicolas Sarkozy, qui disait que l'Afrique n'était pas entrée dans l'histoire. Donc, c'était pour mettre un coup de projecteur, pour raconter en fait à la nouvelle génération que, dans tous les pays du monde entier, que ce soit en Amérique latine, que ce soit en Asie et donc en Afrique, il y a eu des grandes civilisations. Il y a eu de l'histoire, il y a eu des empires, il y a eu des États sophistiqués.

Et justement, vous rappelez que le fondateur de l'Empire Mandé, Soundiata Keïta, a fait promulguer dès le 13e siècle la charte du Mandé qui proclamait l'interdiction de l'esclavage et le caractère inaliénable de l'être humain.

C'est vrai, parce que je me suis rendu compte que beaucoup de gens ne connaissaient pas cette charte ou ce serment des chasseurs. Cette constitution a été promulguée en 1232 et donc il est arrivé à un moment où il a interdit l'esclavage, il a essayé de chercher une concorde pour son empire, l'empire du Mandé. Donc, c'était très important de mettre le point dessus, qu’il n’y a pas que des constitutions en Occident.

500 ans avant la Déclaration des droits de l'homme en France, il y a cette charte du Mandé en Afrique de l’Ouest.

Oui, ce qui est bien maintenant, c’est que la charte du Mandé a été reconnue comme patrimoine mondial de l'Unesco. Mais il a fallu du temps et je me rends compte que, même en Occident et même chez nos compatriotes sur le continent, peu de gens connaissent cette charte du Mandé. Donc, c'était important d'en parler dans le film. Toute la deuxième partie du film, de ce documentaire, traite de la charte du Mandé et de son importance.

Askia Traoré, vous vivez en France mais, pour tourner ce film, vous êtes allé au Mali. Et justement, dans certains pays sahéliens comme le Mali, l'année 2023 a été marquée par de nombreuses polémiques anti-françaises. Est-ce que vous pensez, comme un certain nombre de sahéliens, qu'il faut rompre tout lien avec la France ?

Alors non, je ne pense pas, parce qu'on a une histoire commune finalement, qui a été éprouvante, la colonisation, l'esclavage, etc. Mais je pense qu'actuellement, ce qui est bien pour la nouvelle génération, c'est essayer d'aller de l'avant finalement, parce qu’il y a énormément d'afro-descendants qui vivent en France, donc on en fait quoi ? Ils sont français aussi, mais leur culture, leurs parents, leurs grands-parents viennent d'Afrique, donc c'est important de garder ce lien. On ne va pas couper un lien comme ça. L'histoire fait qu'on est tous ensemble et il faut essayer d'avancer.

Et pour 2024, quels sont les vœux que vous formez ?

Ce que je souhaite, c'est que la nouvelle génération sur le continent, qu'elle prenne les choses en main, tout simplement. Parce que je suis sûr que la nouvelle génération, elle a comme ça une envie de créer des choses. Elle a envie d'exister, elle a envie d'avancer, finalement, et de vivre simplement. Et donc je leur souhaite du courage et je suis avec eux.

À lire aussiLa série «African Empires» part à la découverte de l'histoire africaine d'avant la colonisation

 

 

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes