Gambie: «Tout ce qui est dit dans ce procès (en Suisse) pourrait permettre de poursuivre Yahya Jammeh»
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L'ancien dictateur gambien Yahya Jammeh, qui a dirigé son pays avec férocité pendant 22 ans, doit suivre de très près le procès qui s'est ouvert ce lundi en Suisse de la Guinée équatoriale où il est réfugié. C'est son ancien ministre de l'Intérieur, Ousman Sonko, qui est jugé pour crimes contre l'humanité au nom de la justice universelle. Et pour sa défense, l'ancien ministre se défausse de plus en plus sur lui. Yahya Jammeh répondra-t-il un jour de ses crimes ? Benoît Meystre, conseiller juridique pour l'ONG Trial International qui est à l'origine du procès actuel en Suisse, est notre invité.

RFI : Pour sa défense, l’ancien ministre de l’Intérieur de Yahya Jammeh affirme qu’il n’avait aucun pouvoir opérationnel et que son rôle était purement politique, qu’est-ce que vous en pensez ?
Benoit Meystre : C’est effectivement ce qu’il exprime durant ces premiers jours d’audition. Nous pensons que le dossier, qui est dans les mains du ministère public de la Confédération helvétique et du tribunal, dit autre chose. Il y a quand même des pièces au dossier, il y a des actes de violences sexuelles qui se seraient déroulés au début des années 2000, ensuite des actes de torture qui se seraient déroulés en 2006 et puis d’autres actes de torture en 2016. Chaque plaignant est là pour présenter des faits dont ils ont été chacun et chacune victimes.
Pour sa défense, Ousman Sonko affirme notamment que les juges suisses n’ont pas le droit d’examiner les crimes commis en Gambie avant 2011, car ce n’est qu’en 2011 que la Suisse s’est reconnue une compétence universelle…
Alors c’est effectivement un point très important, qui a été discuté dès le premier jour du procès lundi. Les juges ont répondu à cette contestation en expliquant qu’a priori leur compétence était donnée, y compris pour les faits qui se sont déroulés avant 2011. Il est précisé aussi que la jurisprudence suisse reconnait déjà cette compétence, donc d’un point de vue juridique, pas de problème.
Ce procès d’Ousman Sonko doit durer un mois, le verdict doit être connu au mois de mars, mais, au-delà de cet ancien ministre gambien de l’Intérieur, est-ce que la responsabilité criminelle de l’ancien président Yahya Jammeh lui-même ne va pas être évoquée lors de ce procès ?
Ce n’est effectivement pas Yahya Jammeh qui est actuellement jugé, c’est Ousman Sonko, l’ancien ministre de l’Intérieur. Cela dit, on écoute avec intérêt le témoignage d’Ousman Sonko. Lorsque la parole lui est donnée, il renvoie assez régulièrement la responsabilité également à Yahya Jammeh, ce qui est effectivement très important pour, nous l’espérons, une future poursuite de l’ancien président.
Oui, c’est-à-dire que l’accusé a tendance à se défausser sur l’ancien président ?
Voilà, il explique notamment que la National intelligence agency – donc les services de renseignements gambiens, là où se déroulaient la plupart des actes de torture – n’était pas sous sa propre responsabilité, mais tombait sous la responsabilité du président. C’est effectivement un argument pour se défausser, qui est contredit, encore une fois, par les éléments du dossier qui montrent que, tant le président qu’Ousman Sonko, que d’autres hauts responsables, collaboraient, discutaient ensemble des attaques à mener sur la population civile.
Et ce procès va peut-être permettre de prendre connaissance de nouveaux éléments à charge contre l’ancien président Yahya Jammeh ?
Exactement. Tout ce qui est dit dans le cadre de ce procès en Suisse, bien sûr, fait l’objet de procès-verbaux qui pourront être utilisés dans le cadre d’autres poursuites, que ce soit contre l’ancien président ou d’autres personnes suspectées d’avoir commis des crimes en bande.
Alors depuis 2017, Yahya Jammeh est réfugié en Guinée équatoriale et, depuis cette date, plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme, dont Human rights watch et la vôtre, Trial international, multiplient les démarches auprès du président Obiang Nguema pour qu’il livre l’ancien président gambien à la justice, mais ça ne marche pas. Est-ce que vous n’êtes pas découragé ?
Je pense que la réponse est assez simple : jamais personne ne sera découragé. La société civile gambienne mène un combat acharné, effectivement, que l’on soutient depuis de nombreuses années. On garde tout espoir que Yahya Jammeh puisse un jour être extradé. Tout cela prendra du temps, c’est sûr, mais l’espoir est tout à fait intact.
L’actuel président gambien, Adama Barrow, évoque la possibilité de la mise en place à Banjul d’un tribunal hybride, qu’en est-il ?
Oui, c’est vrai et c’est ce qu’on attend de pied ferme, c’est une annonce qui a été faite depuis un certain temps déjà par le président gambien actuel et par les autorités gambiennes. Là encore, tout ça prend beaucoup de temps à se mettre en place, ça demande des moyens financiers importants, mais on encourage les autorités gambiennes à aller au plus vite de l’avant dans la création d’un tel tribunal, effectivement.
Un tribunal mixte, à la fois gambien et international ?
Oui, absolument, ça permettrait justement la poursuite de l’ancien président pour des crimes internationaux qui n’étaient pas compris dans le droit gambien jusque-là.
Mais le problème, Benoit Meystre, c’est qu’il n’y a aucun accord d’extradition entre la Gambie et la Guinée équatoriale…
C’est une bonne question. Ce qu’il est intéressant de voir, c’est que et la Gambie et la Guinée équatoriale ont ratifié des textes internationaux importants, telle que la Convention contre la torture, laquelle oblige soit à poursuivre la personne, soit à l’extrader. Donc, en ce sens, les autorités équato-guinéennes ont l’obligation de soit procéder à la poursuite, soit extrader Yahya Jammeh en Gambie. Donc la justice est en route et nous sommes très contents pour les victimes qui se battent pour obtenir justice.
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