Présidentielle au Sénégal: le Premier ministre Amadou Ba «pense être élu dès le premier tour»
Publié le :
À un mois de la présidentielle, c’est un candidat très confiant dans ses chances de victoire qui est sorti de son silence médiatique de ces derniers mois et qui s’est prêté au jeu de l’interview aux micros de RFI et France 24, à la résidence du Premier ministre à Dakar.
Une extension de votre navigateur semble bloquer le chargement du lecteur vidéo. Pour pouvoir regarder ce contenu, vous devez la désactiver ou la désinstaller.

RFI : Monsieur le Premier ministre, vous êtes le candidat de la majorité présidentielle. C’est votre baptême du feu à l’occasion cette élection qui est prévue dans quelques semaines. Avec pas moins de 19 candidats face à vous, beaucoup estiment que c'est l'élection la plus incertaine de l'histoire du Sénégal. Pour commencer, une question toute simple, est-ce que vous êtes convaincu de gagner dès le premier tour ou est-ce que vous préparez d'ores et déjà des alliances pour un second tour ?
Amadou Ba : Je voudrais vous dire qu’on a une élection très ouverte, parce qu'on a quand même 20 candidats. J'ai le privilège d'appartenir à la coalition la plus forte, la plus organisée, et il n'y a pas de doute de mon point de vue que nous passerons au premier tour.
Alors cette élection du 25 février, elle va se tenir sans deux des principaux favoris, Ousmane Sonko et Karim Wade, dont les candidatures viennent d'être rejetées par le Conseil constitutionnel, l'élection ne sera donc pas inclusive. Est-ce que vous le regrettez ?
Je ne pense pas qu’une élection avec 20 candidats soit une élection qu'on peut considérer comme n'étant pas une élection inclusive. Je pense que c'est la première fois – le Sénégal a organisé 11 élections – qu'on atteint le chiffre de 20 candidats. Maintenant, effectivement, il y a deux personnalités qui n'y sont pas, le Conseil constitutionnel en a décidé autrement. Nous sommes un pays de droit et nous respecterons les règles de droit.
L'un d'entre eux, Karim Wade, vous accuse nommément d'avoir été l'instigateur du rejet de sa candidature par le Conseil constitutionnel, en ravivant la controverse sur sa nationalité française. Je vais le citer, il vous qualifie de « spécialiste des coups bas et d'homme très peu courageux ». Que répondez-vous à Karim Wade ?
Je regrette qu'il ait eu cette attitude et ces propos à mon endroit. Je pense que je n'ai pas besoin d'user de certaines pratiques pour m'opposer à la candidature de Karim Wade. Je pense que, politiquement, tout a été fait pour que Karim Wade soit candidat. Le Conseil constitutionnel en a décidé autrement et le recours n'a pas été fait par moi, je suis désolé. Je regrette, je ne suis pas du tout à la manœuvre. J'ai fait des recours concernant deux candidats, donc c'est dire qu’il n’y a pas un problème à ce niveau-là. Je pense qu'il a été mal informé, mais je pense que c'est une affaire qui est oubliée, qui est dépassée. En tout cas, en ce qui me concerne, je suis très ouvert pour travailler avec tous les segments de la vie politique qui croient à la liberté, qui croient à la démocratie.
Du côté de l'autre grand exclu de ce scrutin, Ousmane Sonko, tous les regards se tournent vers son principal lieutenant, Bassirou Diomaye Faye qui, lui, a le droit de se présenter, mais qui est en prison en attente d'un jugement. Alors, au nom de l'équité, ça, c'est un mot qui revient souvent dans votre bouche, au nom de l'équité entre tous les candidats, est-ce que vous souhaitez qu'il bénéficie d'une mise en liberté provisoire, afin de pouvoir faire campagne comme tout le monde ?
Je pense que j'ai dit tout à l'heure que nous, nous sommes un pays de droit. Il y a une séparation stricte entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. La preuve, moi-même j'ai fait un recours contre ce candidat. Ce recours a été rejeté, maintenant il est incriminé dans une autre procédure. Il lui appartiendra avec ses conseils d'user des voies de droit. Je pense que je n’ai vraiment pas de préférence en ce qui me concerne.
Vous avez donc été désigné par le camp présidentiel au mois de septembre, suite à la décision du président Macky Sall de ne pas se représenter pour un nouveau mandat. Vous êtes donc un candidat par défaut ?
Candidat par défaut, non. Le président Macky Sall a décidé volontairement de ne pas se présenter, et il a entrepris des consultations pour que la majorité puisse avoir un candidat. Et je pense que des consultations, il est ressorti que je devais en tout cas assumer cette responsabilité, et je mesure l'ampleur et l'envergure des progrès qui ont été réalisés sous le magistère du président Macky Sall. Maintenant, il m'appartient de travailler à faire encore plus, à faire encore mieux et à faire encore plus vite. C'est ça aujourd'hui la demande, l'aspiration la plus forte de nos populations.
Dans le camp présidentiel, vous ne faites pas l'unanimité, puisque certains vous reprochent d'être un militant de la 25e heure. À tel point que vous allez faire face notamment à trois candidats dissidents de votre propre camp. Est ce qu'ils ne peuvent pas vous faire perdre des voix précieuses ? Est-ce que cela ne vous inquiète pas ?
Je pense que leur place est dans la majorité. Nous avons pu construire une majorité très forte. Certainement du point de vue politique, c'est la majorité, en tout cas la coalition, qui a quand même l'existence la plus longue. Je pense que ça, il faut le reconnaître. Maintenant, l'unanimité n'est pas de ce monde. Mais je ne désespère pas de les voir revenir, parce que leur place est dans la majorité pour qu'ensemble, on puisse faire ces élections, les gagner et gouverner ensemble.
Et qu'est-ce que vous répondez, Monsieur le Premier ministre, à votre propre ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, qui dit à votre propos : « on sait qu'il va perdre, il ne passera même pas le premier tour » ?
C'est son appréciation. Je regrette qu'il y ait des propos de cette nature. Mais je pense que le 25 février, je serai élu dès le premier tour.
Depuis que vous êtes Premier ministre, les jeunes Sénégalais sont de plus en plus nombreux à prendre la mer en direction de l'Europe, souvent au péril de leur vie. Quand vous voyez ces jeunes partir, est ce que vous ne vous dites pas « on a échoué » ?
Non, ça fait très mal parce que ces jeunes sont utiles à notre pays. Le Sénégal a 18 millions d'habitants, ce n’est même pas un marché qui peut permettre aux pays d'aller à l'émergence, je pense qu'il faut encore beaucoup plus de personnes. Mais maintenant, nous sommes un pays en voie de développement, ça aussi il faut l'admettre. Nous sommes aussi dans un monde ouvert, dans un monde de plus en plus interdépendant. Mais je pense que leur avenir, c'est ici, dans ce pays, et sous ce mandat, c'est un focus qui va nous permettre de démultiplier l'emploi. Je dis maintenant que les fondamentaux sont là, parce que vous ne pouvez pas vouloir créer des emplois alors que la question de la mobilité n'est pas réglée, la question de l'électricité n'est pas réglée. Aujourd'hui, nous avons quand même une disponibilité, ce n’est pas suffisant, ce n'est pas assez, mais nous avons de quoi pouvoir, en tout cas, partir de ces éléments que nous avons pour multiplier le potentiel de croissance.
Sur la question de la paix et des droits de l'homme, l'ONG Human Rights Watch vient de publier un rapport très sévère sur la répression préélectorale au Sénégal. L'ONG affirme que, dans tout le pays, près de mille partisans de l'opposition ont été arrêtés depuis les premières émeutes de mars 2021 et qu'ils sont détenus dans des conditions très pénibles, entassés la nuit les uns sur les autres. Alors, au-delà de l'éternel problème de séparation entre l’exécutif et le judiciaire dont vous parlez souvent, si vous êtes élu, Monsieur le Premier ministre, est ce que vous vous engagez à faire preuve de clémence à l'égard de tous ces prisonniers ?
Si je suis élu aujourd'hui, c'est d'accélérer toutes ces procédures judiciaires pour qu'on ait le dénouement dans le délai le plus rapide. Nous travaillerons à réconcilier les Sénégalais, mais en permettant à la justice de s'acquitter, de faire son travail le plus normalement possible. Ce qu'on doit éviter, c'est tous ces arrangements après qui nous créent quelques difficultés. Je pense qu’un État de droit doit rester un État de droit en toutes circonstances. Maintenant, il faut aujourd'hui que toutes ces personnes qui sont en tout cas accusées, qui sont détenues, je ne connais pas le nombre exact, que ces personnes soient jugées dans le meilleur délai possible. Oui, ça je m'y engage. Il faut que, dès la fin des élections, on en fasse une priorité absolue, on traite les dossiers. Et à partir de ce moment, le pouvoir exécutif aura la possibilité d'apprécier et de voir peut-être dans un élan de recherche de paix, de stabilité, comment faire pour que l'ensemble des Sénégalais puissent se retrouver autour de l'essentiel, c’est-à-dire de travailler pour le pays.
Je veux venir à l'actualité dans la sous-région, les putschs, les coups d'État se sont multipliés. On a vu la Cédéao sanctionner, on a vu des menaces d'intervention militaire, on a vu des promesses de la part des militaires que les transitions seront courtes. Mais il faut bien se rendre à l'évidence, les juntes dans ces pays-là s'accrochent au pouvoir. Alors, est-ce qu'il n'est quand même pas temps de changer de stratégie vis-à-vis de ces putschistes ?
Certainement. Il faut changer de stratégie, il faut qu'on aide ces pays à sortir un peu de ces situations et, peut-être, avoir une autre approche, parce qu'on a vu que l'approche qui consiste à prendre en tout cas des sanctions qu'on n'applique pas, ou qu'on ne peut pas appliquer, tout simplement parce que les conséquences vont être beaucoup plus difficiles pour les populations, je pense qu'il nous faut changer d'approche et veiller à ce que l'on soit dans un espace où la liberté et la démocratie régneront. Je pense qu'on doit pouvoir s'entraider à ce niveau-là, nous parler entre nous.
Y compris avec les militaires, leur tendre la main peut-être ?
Oui il faut échanger, il faut discuter avec eux. Il y a une réalité qui est là, les militaires sont au pouvoir. Maintenant, il faut organiser des canaux pour ne pas permettre que, justement, ce soit la voie la plus facile pour accéder au pouvoir. Je pense qu'aujourd'hui nous devons plus penser aux populations qui étaient déjà dans des situations très compliquées, très difficiles et il faut les aider, échanger avec les autorités qui sont là-bas pour pouvoir permettre en tout cas d'organiser des transitions les plus courtes possible. Et pouvoir permettre à ces populations de choisir librement leurs dirigeants. Je pense qu'il faut qu'on s'accorde sur ces questions.
Le franc CFA est une monnaie très décriée par une partie de l'opinion publique au Sénégal et en Afrique de l'Ouest, pour qui cette monnaie est une survivance de l'époque coloniale. Est-ce que vous pensez qu'il faut supprimer cette monnaie ou pas ?
Je pense qu'il y a eu des changements quand même depuis deux ans. Il y a toujours une garantie française, mais le compte d'opération n'existe plus. Maintenant, des évolutions sont attendues. Nous avons intérêt, en tout cas nous, pays africains membres de l'UEMOA, à rester ensemble. Moi, je suis un partisan de l'intégration. Il faut qu’ensemble, on puisse continuer à avoir notre propre monnaie, une monnaie commune. Je pense que cela est extrêmement important. Et de même, dans le cas de la Cédéao, le projet en cours qu'on ait, pour les pays membres de la Cédéao, une monnaie commune, on a eu des acquis indéniables liés à la stabilité. Maintenant, une coopération, elle est toujours revisitée et adaptée à la situation de l'heure. Je pense qu'il y a eu aujourd'hui un retrait de la France, il faut quand même le constater. Au niveau des instances, il y a une garantie qui est là, qui est formelle. Je pense que c'est une question que nous allons évaluer, parce qu’on ne peut pas être dans le populisme, ça ne me semble pas être la voie la plus appropriée pour aider nos populations. Il faut concilier l'ensemble des exigences. Et mon souhait, c'est de défendre les intérêts de mon pays et de la sous-région.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne