Cary Fowler: «Les terres en Afrique sont parmi les plus abîmées et érodées au monde»
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Plus de 700 millions de personnes souffrent de la faim aujourd’hui. Selon des chercheurs américains, la demande mondiale en nourriture va augmenter de plus de 50% d'ici à 2050. Comment répondre à la demande, tout en s’adaptant au changement climatique ? Il y a un an, les États-Unis lançaient le programme VACS (Vision pour des cultures et des sols adaptés), qui prône un retour à des cultures traditionnelles. Cary Fowler, envoyé spécial des États-Unis pour la sécurité alimentaire, est l'invité d’Alexandra Brangeon.

RFI : Il y a un an, les États-Unis ont lancé le programme VACS, Vision pour des cultures et des sols adaptés. De quoi s’agit-il ?
Cary Fowler : Ce programme a pour objectif de travailler sur deux aspects fondamentaux de la sécurité alimentaire : les cultures et les sols. Si vous voulez assurer la sécurité alimentaire de façon durable, il faut que vous ayez une terre fertile et des variétés de plantes adaptées au changement climatique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en Afrique – un continent où les besoins sont parmi les plus importants et qui sera le continent le plus peuplé d'ici à la fin de ce siècle. Les terres en Afrique sont parmi les plus abimées et érodées au monde.
Pourquoi cela ?
La structure des sols est pauvre et certaines pratiques agricoles tendent à dégrader encore plus ces sols. Il y a de multiples raisons, mais vous ne pouvez pas mettre sur pied une agriculture productive et sur une longue durée avec des sols abimés et érodés. L’autre aspect est qu’il y a énormément de plantes originaires d'Afrique qui sont très nutritives et pourraient améliorer la nutrition et la santé des populations. Aujourd’hui, 40% de la population mondiale n’a pas les moyens d’avoir un repas équilibré. En Afrique, le pourcentage est de 80%. Et pourtant, il y a des plantes incroyables en Afrique. Le fonio, par exemple, qui est une céréale cultivée en Afrique de l’Ouest, et qui contient 10 fois plus de fer que du maïs. Si on pouvait augmenter la productivité, le rendement de ces cultures et les intégrer un peu plus dans le régime alimentaire des populations, on pourrait remédier aux problèmes de carences nutritionnelles et de retard de croissance chez les enfants.
Il y a 50 ans, la Banque mondiale, le FMI poussaient au contraire les pays africains à cultiver une seule espèce pour l’exportation. Qu’est-ce qui a changé ?
Nous avons tous pris conscience, et surtout les Africains, qu’il faut stimuler la productivité de ces cultures locales, tout en les rendant plus résilientes au climat. Et cela ne peut pas se faire avec de la monoculture. Nous ne disons pas aux agriculteurs africains de ne plus planter les aliments de base qu'ils cultivent habituellement, mais, qu’il faudrait diversifier la culture, avec plus de légumes et de fruits, qui sont indispensables, si nous voulons nous attaquer au problème de carence nutritionnelle. Dans certains pays africains, 20 à 30% des enfants de moins de cinq ans ont un retard de croissance, dont ils souffriront toute leur vie. Vous ne pouvez pas développer une société avec ce genre de handicap.
Comment ce programme VACS va-t-il fonctionner ?
Aujourd’hui, un certain nombre de scientifiques africains travaillent sur des programmes de recherche nationaux pour améliorer les cultures. Nous voulons soutenir ce travail qui consiste à croiser des plantes, afin d’améliorer leur rendement, leur résilience et réduire les problèmes liés aux maladies et d’animaux nuisibles.
Vous parlez de croisement. Vous voulez dire des plantes génétiquement modifiées ?
Probablement pas, car la plupart des pays africains n’autorisent pas les semences génétiquement modifiées ; ça coûte très cher. Nous voulons plutôt favoriser le croisement des plantes de façon traditionnelle, comme cela se fait depuis des siècles.
Cela veut dire que les fermiers devront acheter ces semences ?
Il y aura différents moyens mis en place pour que ces fermiers puissent accéder à ces semences. Des ONG seront impliquées dans le projet. Dans certains cas, ces semences seront mises à disposition gratuitement. Il sera peut-être demandé aux fermiers de mettre de côté une partie des semences récoltées pour être reversée au programme et être redistribuée à d’autres agriculteurs. Il y aura peut-être aussi des petites et moyennes entreprises qui vendront ces semences. Nous voulons valoriser ces produits, que cela devienne un marché plus porteur, ce qui encouragera les fermiers à cultiver ces plantes traditionnelles.
Comment allez-vous convaincre ces agriculteurs de cultiver des plantes traditionnelles, après des décennies de monoculture ?
Ce qui est intéressant, c’est que les agriculteurs n’ont jamais complètement abandonné ces cultures locales. Si elles ont été cultivées pendant 10 000 ans, c’est bien qu’il y a une raison. Nous voulons aider à ce que ces cultures soient plus rentables, plus compétitives sur le marché et qu’elles reprennent une place plus importante dans le régime alimentaire des gens.
Cela fait un an que le programme a été lancé. Quelles ont été les réactions ?
La réponse est plutôt positive. Le Fonds international pour le développement agricole des Nations Unies a mis en place une plateforme de financement pour ce projet. Nous avons reçu des fonds du Japon, des Pays-Bas, de la Grande-Bretagne, de la Norvège. Nous sommes ici pour discuter avec la France. Nous avons besoin de soutien politique, financier et technique. La France, par exemple, a des instituts de recherches de pointe qui pourrait aider ce programme.
Vous le disiez, besoin de soutien politique, qu’en disent les pays africains que vous avez approchés ?
L’Union africaine, elle-même, estime qu’il y a toujours eu un sous-investissement pour ces cultures locales. Mais, je pense que les pays africains réalisent qu’avec les différents problèmes, les retards de croissance infantile et plus généralement les carences nutritionnelles, il faut que les choses changent. Et avec ces plantes locales, ils ont la solution en main. Il y a donc il y a un soutien important pour ce genre d’initiative.
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