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RDC: «La communauté internationale pousse les gouvernements congolais et rwandais à initier des discussions»

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Dans l'est de la République démocratique du Congo, l'armée congolaise et les rebelles du M23 s'affrontent depuis hier mardi à Saké, à 25 km à l'ouest de Goma, la capitale du Nord-Kivu. Pourquoi cette escalade militaire ? Et pourquoi des manifestations anti-occidentales ont-elles éclaté la semaine dernière à Kinshasa ? Entretien avec Pierre Boisselet, responsable des recherches sur la violence à l'Institut congolais Ebuteli.

Un véhicule de la Monusco carbonisé par des manifestants à Kinshasa, le 10 février 2024.
Un véhicule de la Monusco carbonisé par des manifestants à Kinshasa, le 10 février 2024. © Reuters
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RFI : Pourquoi, ce mardi, les rebelles du M23 ont-ils attaqué Saké à quelque 25 kilomètres à l'ouest de Goma ?

Pierre Boisselet : En fait, Saké, c'est un verrou stratégique parce que ça permettrait de parfaire l'encerclement de la ville de Goma et de contrôler toutes ses issues. C'est au travers de cette ville que Goma peut rallier, par la route, le territoire de Masisi et la province du Sud-Kivu. Et par ailleurs, on sait que, ces dernières semaines, les troupes de la Sadc, les troupes sud-africaines et tanzaniennes de la Sadc, ont commencé leur déploiement et étaient en train de se déployer, notamment à Saké, avec l'intention de mener une campagne beaucoup plus offensive contre le M23, donc ça peut être aussi une façon de gêner leur déploiement.

Et pourquoi cette escalade militaire au Nord-Kivu depuis le début de ce mois de février ?

Alors, en fait, ces dernières semaines, la communauté internationale pousse en fait les parties prenantes, notamment le gouvernement congolais et le gouvernement rwandais, à initier à nouveau des discussions. Alors, les offensives en cours peuvent être vues comme une façon de renforcer leurs positions de force dans la perspective éventuelle de ces négociations à venir. Ou peut-être pour le gouvernement congolais de s'assurer d'empêcher de devoir en arriver là. Et par ailleurs, il y a ce déploiement des troupes de la Sadc, qui a commencé ces dernières semaines et qui s'est intensifié ces derniers jours, avec vraisemblablement pour but de mener une offensive beaucoup plus résolue contre le M23.

Depuis quelques mois, l'armée congolaise est équipée de drones armés. Et, depuis quelques jours, selon un document de l'ONU consulté par l'Agence France presse, les rebelles du M23 sont équipés de missiles sol-air lancés à partir de blindés rwandais. Est-ce qu'on peut dire que la guerre ne se joue plus seulement sur terre, mais aussi dans les airs ?

Oui, alors, tout à fait. C'est une nouvelle donnée en fait de ce conflit, depuis ces derniers mois, avec l'arrivée de ces drones armés qui sont employés par les FARDC, qui ont été acquis notamment par l'intermédiaire de sociétés militaires privées. Ça a changé la donne sur le terrain, c'est-à-dire qu’il y a eu des frappes qui ont porté des coups assez durs au M23, qui a même d'ailleurs été obligé de reconnaître dans un communiqué avoir perdu deux de ses commandants dans une de ses frappes. Par ailleurs, le président Tshisekedi a eu des déclarations très offensives pendant la campagne électorale, il y a quelques semaines, en disant notamment, en évoquant, la possibilité de déclarer la guerre au Rwanda. Et il a dit que les FARDC avait maintenant les capacités de frapper au Rwanda sans avoir à traverser la frontière à pied. Donc, vraisemblablement, il faisait référence à ses capacités de drones. Alors en face, le M23 et le Rwanda ne sont pas restés passifs. Effectivement, ils ont acquis ce type d'armement, ou en tout cas ils les ont renforcés, ces missiles sol-air, et ils en ont fait usage contre ces drones armés. Donc, il y a effectivement une escalade dans ce secteur.

Et dans la guerre aérienne…

Oui, et dans la guerre aérienne, même si aujourd'hui il y a un doute sur la capacité des drones armés côté FARDC à continuer d'opérer. On sait qu'il y en avait trois à l'origine et il semblerait qu'il y en ait un qui ait été abattu et un autre qui se soit crashé sur l'aéroport d’où il décollait. Et il y a des incertitudes sur le troisième. Donc, on ne sait pas pour l'instant quelles sont les capacités précises des FARDC à continuer de les employer, ni s'ils comptent en acquérir de nouveaux. Mais voilà, il semble qu’avec l'acquisition de ces missiles sol-air, le M23 et ses soutiens rwandais aient en quelque sorte rééquilibré le rapport de force dans ce secteur.

Depuis une semaine, des manifestants congolais s'en prennent aux sites de l'ONU au Congo, ce n'est pas très nouveau, mais aussi aux ambassades occidentales basées à Kinshasa. Et ça, c'est nouveau. Les manifestants accusent les pays occidentaux de soutenir le Rwanda contre le Congo. Mais ça fait plus de deux ans que la guerre a repris. Pourquoi ces manifestations n'arrivent que maintenant ? Et que cherche, derrière, le pouvoir de Kinshasa ?

D'abord, on peut dire que ces manifestations sont largement en réaction à l'intensification des combats. On a vu que les FARDC étaient en difficulté sur certains fronts, que les combats s'étaient beaucoup rapprochés de Goma, ça a créé un fort ressentiment et ça a réveillé certainement le sentiment très présent au Congo que la communauté internationale est passive par rapport à ce conflit. Elle ne met pas suffisamment la pression sur le Rwanda, voire, pour les franges les plus radicales de l'opinion, elle soutient le Rwanda dans son propre soutien au M23. Alors, effectivement, il semblerait qu'il y a eu une forme de passivité des autorités congolaises face à ces manifestations, au moins au début. On peut essayer de l’interpréter, c'est-à-dire que, d'abord, s'opposer aux manifestants, les réprimer dans cette contestation, ça aurait été prendre le risque de l'impopularité, voire d'accusation de complicité. Alors qu’au contraire, ces manifestations, elles ont quand même l'intérêt pour une partie du pouvoir de désigner des responsables autres pour expliquer les difficultés de l'armée congolaise. Par ailleurs, on sait qu’une partie des Occidentaux pousse actuellement les parties en conflit, et notamment le gouvernement congolais, à négocier, à accepter des discussions, ce en quoi le gouvernement congolais a toujours été très réticent. Et donc, on peut imaginer que ces manifestations ont aussi eu comme conséquence d'accroître la pression sur la communauté internationale, pour essayer de l'inciter à revoir sa position afin qu'elle s'aligne davantage sur ce que lui demande Kinshasa, à savoir de désigner le Rwanda comme agresseur et de prendre des sanctions plus importantes vis-à-vis de ce pays.

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