Azali Assoumani: «Si on a raté l’unité politique, on ne doit pas rater l’unité économique et sociale de l’Afrique»
Publié le :
Adhésion de l’Union africaine au G20, rencontre avec Vladimir Poutine, multiplications des crises sur le continent, Mayotte et la France, réélection contestée. Le président des Comores Azali Assoumani dresse le bilan de son année à la tête de l’Union africaine, alors que le 37e Sommet de l’organisation vient de se clôturer. Depuis Addis-Abeba, il répond aux questions de notre envoyé spécial Sidy Yansané.

RFI : Vous venez de passer le flambeau de la présidence tournante de l’Union africaine, quelle évaluation faites-vous de votre bilan ?
Azali Assoumani : Les gens apprécient le bilan puisque, effectivement, j’ai parcouru l’Afrique, on est même partis en Russie au nom de l’Afrique, et il y a surtout notre adhésion au G20 en tant que membre à part entière. Aujourd’hui, le G20, demain, on pense au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais le plus important pour le G20, c’est qu’avant, les puissances économiques décidaient et nous, on exécutait. Maintenant, on va être avec eux, pour essayer de décider ensemble.
Le thème de l’année écoulée de l’Union africaine, c’était la ZLECAf. La mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine, qui est, pour l’instant, un peu à la peine. Quels obstacles expliquent, selon vous, cette difficile mise en œuvre de la ZLECAf ?
Je vous corrige : ce n’est pas la mise en œuvre, c’est l’accélération de la mise en oeuvre, ce n’est pas la même chose. Et là, j’ai constaté, quand même, qu’il y a un esprit pragmatique qui l’emporte. C’est un bel outil la ZLECAf. Je le dis : si on a raté l’unité politique, on ne doit pas rater l’unité économique et sociale en Afrique, ça, c’est une obligation. Donc l’accélération, c’est faire en sorte que les gens qui n’avaient pas signé, signent, les gens qui n’avaient pas ratifié, ratifient, et que les structures à mettre en place demain dans les communautés économiques régionales (CER, ndlr) soient mises en place en amont. On a mis en place un secrétariat de la ZLECAf, ce secrétariat visite tous les pays de la région pour faire du lobbying pour convaincre les pays de l’intérêt de la ZLECAf. Par exemple, aux Comores, j’ai mis en place un secrétariat de la ZLECAf, donc ce secrétariat a commencé à travailler et ça donne de bons résultats, parce qu’avec le secrétariat général, ils ont pu plaider auprès de l’Afreximbank pour nous donner de l’argent pour l’exécution de nos plans à Moroni, alors que la ZLECAf n’est pas encore à l’œuvre. Donc dans l’accélération, c’est convaincre les Africains de l’intérêt de la ZLECAf et la mise en œuvre viendra. J’espère que ce sera d’ici l’année prochaine. La mise en œuvre peut être soit continentale, ou séparée par communautés économiques régionales, on peut commencer par là pour mieux convaincre d’aller au bout de la mise en oeuvre, donc ce sont des décisions à prendre.
Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a dressé un tableau très sombre de la situation de l’Afrique – les guerres au Soudan et en Libye, les violences à l’Est de la RDC, le retrait des pays de l’AES (Alliance des États du Sahel qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ndlr) de la Cédéao, les changements anticonstitutionnels qu’il juge plus nombreux que jamais – alors que justement, vous le souligniez comme une victoire, il y a eu l’adhésion de l’Union africaine au G20. De quelle manière l’Union africaine, l’Afrique, pourrait s’imposer sur la scène internationale d’une seule voix ?
C’est une bonne question. Ce que l’on peut constater, c’est que malgré ces problèmes, le G20 nous a fait comprendre que ce sont des problèmes africains, et c’est à nous de trouver les solutions, mais ça n’empêche pas de coopérer avec l’Afrique. Le tableau que Moussa Faki a fait, je le partage parfaitement. Au début des indépendances, il y avait des conflits intra-États, ou inter-États. Ce qui aurait pu laisser croire qu’avec cette indépendance récemment acquise, on n’était pas encore suffisamment mûrs pour gérer nos pays. Mais comment peut-on expliquer qu’on a évolué pendant soixante ans et que c’est maintenant qu’on est en chute libre ? C’est la question à se poser.
Et personnellement, comment l’expliquez-vous ?
J’assume ! C’est de notre faute. Peut-être qu’on a trop regardé vers l’extérieur et pas assez devant soi. On avait tendance à coopérer avec les partenaires extérieurs et on a oublié le voisin. Maintenant, on se rend compte que la coopération régionale est très importante. On aurait pu penser qu’en évoluant, l’Afrique allait se débarrasser de ses fléaux d’insécurité. Malheureusement, l’Afrique devient aujourd’hui le dénominateur commun du terrorisme. Il s’est invité chez nous alors qu’il était ailleurs. A nous désormais de prospecter de façon approfondie les raisons de l’insécurité, des guerres intra-Etat comme au Soudan, ou encore les changements anticonstitutionnels.
La France annonce vouloir mettre fin au droit du sol à Mayotte, une île dont l’Union des Comores revendique la souveraineté. Votre réaction à cette annonce ?
J’ai peur de vous le dire car ça risque c’être mal interprété, mais d’une certaine manière, cette annonce m’a fait plaisir. Aujourd’hui, la France qui a des départements partout dans le monde décide que seul Mayotte sera interdite du droit du sol. Ça veut dire que Mayotte ne leur appartient pas, de façon subconsciente, l’État français accepte l’idée que Mayotte ne fait pas partie de son territoire. Comment peut-on prendre une mesure qu’il veut constitutionnelle par rapport à un seul département ? Non, ce n’est pas la France telle qu’on la connait. Celle que l’on connait est un pays souverain où les droits et les devoirs s’appliquent à tout le monde. Quoiqu’il en soit, cette mesure ne concerne pas les Comoriens, car ceux qui sont à Mayotte, nés à Mayotte ou partis à Mayotte sont chez eux. Que la France le veuille ou non, le droit international leur donne leur droit d’y vivre. Cette mesure n’honore pas la France, ça ne nous concerne pas. Peut-être que d’autres citoyens venus d’ailleurs en Afrique ou dans le monde qui se rendent à Mayotte pour acquérir la nationalité française, mais nous Comoriens sommes déjà chez nous.
Vous venez d’être réélu à la tête de l’Union des Comores, des résultats contestés par l’opposition qui a saisi la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. Le journal Le Monde s’appuie sur des documents et des témoignages qui indiqueraient une fraude électorale. Monsieur le Président, ne craignez-vous pas de souffrir d’un manque de légitimité ?
Un journal comme Le Monde, ou comme RFI, ils devaient venir, participer aux élections et voir ce qu’il se passait. Le Monde n’a pas été à Moroni pour investiguer.
Les journalistes du Monde et de RFI, tous les deux, étaient sur place le jour de l’élection, Monsieur le Président.
Le constat qu’il a fait, c’est un constat qui a été dit par les opposants, mais ces derniers devaient porter plainte auprès de nos instances nationales.
Ce qui a été fait, à la Cour suprême.
Et la Cour suprême a décidé. En 2025, nous avons des élections législatives, pourquoi ne pas venir discuter et me dire : « Attention Azali ! Il y a eu des erreurs, il y a eu des bêtises, il faut corriger pour que ces bêtises-là ne reviennent pas » ? Donc la solution est comorienne. Ils peuvent aller où ils veulent – les médias, Le Monde, vous-mêmes – mais tout ça, ça ne donne pas de résultats. Les résultats, c’est s’asseoir entre Comoriens, face à face, les yeux dans les yeux, et se dire la vérité. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de maladresses, ça je ne le nie pas, mais on ne peut pas prendre un cas exceptionnel qui s’est passé quelque part, pour dire que toutes les élections se sont passées comme ça. Moi, ce que je vois, c’est l’avenir, c’est 2024 et 2029, et 2029, je ne serai pas candidat. Ce que je recommande, c’est que les opposants viennent et qu’on discute de l’avenir.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne